B- LA JUSTICE DES PRIX
La justice des prix renvoie à l'ensemble des
institutions tant judiciaires que non judiciaires chargées de trancher
les litiges relatifs aux prix. Elle procède d'une juridictionnalisation
du prix et pose le problème de l'identification du juge des prix puisque
ce dernier partage cette fonction avec de nombreuses structures à
vocation juridictionnelle.
1- Le juge des prix
L'identification du juge des prix permet de mieux
délimiter ses pouvoirs.
249 Article2 du décret N° 2001/380 du 27 Novembre
2001 portant changement de nomination et réorganisation de la chambre de
commerce d'industrie et des mines du Cameroun.
117
a- Identification du juge des prix
La notion de juge de prix est un emprunt aux notions
similaires telles que celles de juge de l'impôt, de juge du contrat ou
encore de juge de la concurrence. Elle désigne ici, toute
catégorie de juge incidemment ou directement compétent en
matière de prix. L'intervention du juge pour connaître les litiges
en matière des prix est consacrée depuis 1972250.
Suivant les ordres de juridiction, le juge peut être judiciaire ou
administratif, le juge de droit commun des prix est le juge judiciaire
conformément à l'article 41 de la loi N°90/031
régissant de l'activité commerciale au Cameroun en tant que
composante de la justice commerciale à tous les
degrés251. Il peut être saisi pour plusieurs
causes252. Le juge des prix peut également être le juge
administratif à l'occasion notamment du contentieux de la concurrence ou
des voies de fait administratives. Le juge administratif est donc
compétent en matière de prix de façon incidente.
En dehors de ces aspects internes, le juge des prix peut
également être international, communautaire tel le juge de la cour
commune de justice et d'arbitrage de la CEMAC, le juge dans le cadre de
l'organe de règlement de différends (ORD) ; dans le cadre du
centre international de règlement des différends liés
à l'investissement (CIRDI).
Le juge des prix peut également épouser la forme
d'un arbitre. L'arbitrage est un mode alternatif de règlement des
différends consacré en matière commerciale au Cameroun
tant pour ce qui est du plan international que du plan
interne253.
Il importe de souligner que l'évolution contemporaine
du monde des affaires soumis à de nombreuses mutations juridiques et
économiques, révèle l'incapacité des juges actuels
à s'adapter à la vitesse des exigences de la mondialisation des
échanges. La non appréhension de la complexité du droit
OHADA, est fortement révélatrice de cette incapacité du
juge. D'où une nécessaire spécialisation du juge des
affaires, qui sera à même de résoudre les problèmes
relatifs à des domaines aussi techniques que les prix254. La
création de tribunaux de
250 Article 12 et 14 de l'ordonnance N°72/018 portant
régime général des prix.
251 Lire « la justice commerciale » In NYAMA
(JM), éléments du droit des affaires OHADA Cameroun Op. Cit. PP.
36 à 39
252 Actions civiles en réparation du dommage
causé par l'une des infractions à la loi commerciale.
Défaut ou refus du paiement du prix, défaut ou refus de paiement
d'amende suite à un procès verbal en bonne et due forme de
l'administration, réception de la prestation de serment des agents
assermentés compétents en matière de prix, défaut
de publicité des prix, etc...
253 Articles 11 et 12 de la charte des investissements
254 Il devient tout à fait pratiquement impossible, ou
du moins peut efficace que le même juge connaissant des matières
pénales, criminelles et même administratives se retrouve à
trancher des affaires emprunt de technicité et complexité telle
qu'en matière des prix.
118
commerce, distincts du Tribunal de Grande Instance (TGI) et du
Tribunal de Première Instance (TPI), au premier degré tout au
moins, semble s'imposer comme un impératif de la gouvernance
économique. A défaut, les efforts de formation, de diffusion et
de recyclage en matière de droit Organisation pour l'Harmonisation en
Afrique du Droit des Affaires. Toutes choses qui rendraient davantage efficaces
les pouvoirs du juge des prix.
b- Les pouvoirs du juge des prix
Comme tout juge, le juge des prix détient
principalement un pouvoir disciplinaire et un pouvoir normateur. Le pouvoir
normateur du juge se dégage de son activité de création
à travers ses décisions dans les matières non
réglementées par le législateur. Son pouvoir disciplinaire
se résume en sa capacité à prononcer des sanctions suivant
le cas. Le titre 5 de l'ordonnance N°72/018 prévoit à cet
effet des sanctions judiciaires. Le juge des prix peut donc appliquer des
sanctions pénales, civiles, privatives de liberté,
pécuniaires, principales ou accessoires prévues par la
législation en vigueur255. La loi régissant
l'activité commerciale au Cameroun en ses articles 38 a
réglementé les sanctions du juge en matière d'infraction
sur les prix. Il faudrait relever qu'en matière de prix, les pouvoirs
des juges sont limités. En premier lieu, le juge ne peut s'auto-saisir
malgré l'abondance du contentieux des prix. En second lieu, l'action du
juge reste dépendante soit de l'aboutissement heureux de la transaction
entre le justiciable et l'administration des prix, soit simplement du paiement
de l'amende contestée. Cet état des choses subordonne le juge
à la volonté de l'administration ou du contrevenant. Mais ce qui
limite davantage le pouvoir du juge des prix, c'est l'action concurrente
d'autres institutions ayant vocation juridictionnelle en matière de
prix.
2- Les institutions à vocation juridictionnelle
en matière de prix
Il s'agit de toute institution ayant un rôle dans la
réalisation de la justice sur les prix. Nombre d'institutions en effet
interviennent dans ce cadre. Elles s'imposent comme auxiliaire du juge ou
à défaut d'en être des concurrents. Ceci permet de
distinguer les institutions pré-juridictionnelles et les institutions
quasi-juridictionnelles.
255 Une panoplie d'articles d'origine diverse fonde en effet
le pouvoir des sanctions du juge. Le code pénal prévoit
l'application suivant les cas, des articles154,155,156,157,216, 252,
256,257,258et 326 en tant que peine principale et les articles
30,34,35,36,37,39, 40 comme peine accessoire.
a- 119
Les institutions
pré-juridictionnelles
Il s'agit d'institutions appelées à agir avant
que le juge n'intervienne ou afin qu'il rende une décision juste. Sous
ce dernier aspect, peuvent être évoqués les Officiers de
Police Judiciaires (OPJ) en tant qu'auxiliaire du juge. Ils peuvent en effet
participer à la constatation des infractions relatives au
prix256 sous réserve de l'exigence d'aviser
immédiatement l'agent assermenté du service de commerce, des prix
ou de la concurrence.
Certains organismes doivent en effet se prononcer avant toute
saisine du juge. Il en est ainsi dans la plupart des cas du Comité
antidumping et des subventions, et de la commission nationale de la
concurrence. Cette institution joue un rôle d'expertise judiciaire en
termes d'assistance du juge à la prise des décisions en
matière de concurrence conformément à l'article 2,
alinéa 3 du décret fixant sa composition et ses modalités
de paiement qui reprend lui-même l'article 28 de la loi relative à
la concurrence. Il faudrait d'ailleurs noter que pour certaines infractions, la
plainte de l'autorité de tutelle doit obligatoirement requérir
l'avis de ladite commission conformément à l'article 18 de la loi
régissant l'activité commerciale au Cameroun. La CNC peut donc,
par l'absence de son avis empêcher la saisine du juge ou la rendre
irrégulière mais également, conditionner la
décision du juge par son expertise257. Dans le même
sillage, il faudrait se souvenir du rôle de la CNPH au sein duquel sont
réglés tous les conflits relatifs aux produits pétroliers
avant tout recours devant les tribunaux. Ces institutions
pré-juridictionnelles, non exhaustivement
énumérées, connaissent la concurrence d'institutions
quasi-juridictionnelles.
b- Les institutions
quasi-juridictionnelles
Ce sont les institutions statutairement habilitées
à trancher les litiges en matière de concurrence et donc
forcément de prix ou de tarif des services. Des structures diverses, ont
été en réalité créées à la
faveur de la libéralisation de l'économie. Elles disposent des
mêmes
256 Article 31, loi N° 90/031.
257 Il faudrait cependant regretter le manque de
précisions du législateur quant aux modalités de cette
assistance judiciaire. Est-elle subordonnée à la demande du juge,
ou des parties au litige ? A-t-elle des axes particuliers ou des
limites ? Est-elle systématique ? Le mutisme de la loi sur ces questions
est autant regrettable que la concurrence de ces fonctions de la CNC, avec
l'action d'autres institutions.
120
prérogatives que le juge. C'est ainsi que la CNC et
l'administration centrale sont chargées de rechercher, de
contrôler et le cas échéant, de poursuivre et de
sanctionner les pratiques anticoncurrentielles. Il s'agit des agences et des
autorités de régulation258 (ARSEL, AER, ART, AACC
etc.). Les agences de régulation ont effet compétence pour
connaître, dans leurs secteurs d'activités respectifs, des
différends nés entre différents agents
économiques.
La CNC entre également dans ce registre ; en tant
qu'organe de règlement des différends sur toute question relative
à la concurrence, au même titre que le juge. Seulement, ses
décisions sont des actes administratifs susceptibles de recours devant
le juge. A ce niveau, la CNC apparaît comme une instance de premier
degré dont les décisions sont connues en appel devant le juge qui
les tranche en premier et dernier ressort. La hiérarchie entre le juge
et la CNC semble donc nette. Reste toutefois à souligner que la saisine
du juge n'est nullement suspensive des injonctions adressées par la CNC.
En plus, au détriment de ce dernier, la CNC jouit d'un pouvoir
d'auto-saisine. Ceci ne peut que créer d'une part des conflits de
compétence entre la CNC et les agences de
régulation259 et entre elle et le juge. La nature tumultueuse
des relations entre ces autorités sectorielles et l'autorité
nationale de la concurrence que constitue la CNC tire ses origines de plusieurs
raisons260. Par rapport au juge, les conflits peuvent
découler de la divergence d'opinion entre ses décisions et celles
des agences de régulation. Mais, tous comptes faits, le juge garde le
dessus puisque connaissant, en appel et en dernier ressort, des
opérations desdites instances.
La multilatéralisation de l'encadrement des prix par la
régulation a ainsi consisté au renforcement, ou mieux, à
la précision du rôle et de la place des institutions publiques,
administratives ou juridictionnelles et même para juridictionnelles en
matière de prix. La marque même de la régulation est
désormais la participation systématique des institutions non
publiques ou quasi-publiques à l'encadrement des prix.
258 Dont la nature juridique a soulevé un controverse
doctrinal sur le plan local .un vrai- faux débat ; puisque le
législateur à pris le soin de déterminer la nature
juridique desdites institutions. En réalité, la doctrine ne peut
créer de catégories juridique ou, ne peut le faire que sous forme
de conjectures ; pour susciter une réaction du législateur ou du
juge .lequel juge ne peut lui-même le faire que lorsque le flou ou le
vide juridique laissé par le législateur l'exige.
259 ESTEGUET (P.E), « Relations entre l'autorité de
concurrence et les instances sectorielles de régulation... »Op.
Cit. 10. P.
260 La CNC est sous tutelle du MINCOMMERCE alors que les
agences sont sous tutelle des Ministères en charge des secteurs
concernés. Les agences sectorielles de régulation sont
financièrement dépendantes des redevances perçues sur le
chiffre d'affaire des opérateur exerçant dans leur secteur il y a
donc conflit d'intérêt dans la mesure où lesdits secteurs
se réduisent dans la plupart des cas en monopole ou en oligopole ; le
caractère récent et donc forcément mal
appréhendé du droit de la concurrence dans le paysage
économique camerounais ; le retard dans la mise en place de la CNC et
surtout l'absence d'un cadre de concertation entre ces différentes
autorités. Lire à ce propos ESTEGUET (P.E), Op.Cit. P.6.
121
PARAGRAPHE II : LA PARTICIPATION D'INSTITUTIONS QUASI
ET NON PUBLIQUES
La distinction privée/publique n'est pas du tout
étanche, il n'en demeure pas moins qu'une classification
académique est généralement opérée, sinon
tolérée, qui permet de distinguer les institutions organiquement
ou fonctionnellement privées de celles dites publiques. Les institutions
privées sont considérées comme celles ne concernant que
les intérêts personnels et particuliers alors que les institutions
publiques sont fondamentalement caractérisées par la recherche de
la satisfaction de l'intérêt général. La
difficulté provient de l'existence de structures ne pouvant être
rigoureusement rattachées à aucune de ces catégories. La
régulation de l'économie en général et celle en
particulier des prix est prolifique de formations participatives dont la nature
juridique reste une énigme parce qu'associant l'Etat et les autres
acteurs sociaux dans le processus d'encadrement (A) et de plus en plus l'Etat
laisse agir des structures avec lesquelles il n'a aucun lien (B).
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