SECTION II : LA PRESERVATION DE L'INTERET ECONOMIQUE
GENERAL.
Les enjeux de la mondialisation et de la libéralisation
internationale des échanges ne sont plus à
démontrer206. Les défis liés à la faible
puissance économique des Etats, la volonté de puissance des
firmes multinationales de plus en plus présente et la
préservation de l'intérêt général se posent
comme un impératif de sécurité économique national.
Le cadre commercial local est en effet menacé de disparition, à
défaut, d'instrumentalisation à la gloire économique tant
des entreprises que des Etats étrangers, inexorablement
L'impératif souverain de protection de l'espace économique
national dans ce contexte de concurrence internationale, de plus en plus
déloyale, oblige l'Etat à activer des mesures de défense
commerciale (Paragraphe II), pour contrecarrer toute pratique reconnue nocive
à l'économie nationale. (Paragraphe I).
PARAGRAPHE I : L'INCRIMINATION DES PRATIQUES NOCIVES A
L'ECONOMIE NATIONALE
La régulation juridique vise en effet l'encadrement des
pratiques déloyales aussi bien des entreprises que des Etats en
matière de prix. Les entreprises développent en
réalité la pratique du dumping (A), alors que les Etats, non
seulement subventionnent nuisiblement leurs produits à l'importation,
mais également peuvent excessivement et volontairement importés
vers le Cameroun dans un but de désorganisation du marché
intérieur (B). Toutes ces
206 Lire ADDA (J), La mondialisation de l'économie,
Op-cit, TAMBA (I), Les enjeux de la mondialisation sur
l'économie camerounaise, Op-cit.
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manoeuvres sont prohibées dans l'ordonnancement
juridiquement interne, conformément aux règles de
l'OMC207.
A- LA CONDAMNATION DU DUMPING DOMMAGEABLE.
Une bonne appréhension du caractère dommageable
du dumping, suppose une préalable élucidation sémantique
de ce concept.
1- Elucidation sémantique du dumping.
Attribut de la liberté du commerce et de la
concurrence, le dumping est réglementé tant sur le plan interne
qu'international. L'Arrêté du 07 mars 1991 définissant les
pratiques anticoncurrentielles en fait une pratique déloyale, entendue
comme vente à perte (titre 2 conformément à l'article 14
de la loi régissant l'activité commerciale au Cameroun). Sous
l'angle international, le dumping renvoie à une pratique
orchestrée par les entreprises étrangères, situées
ou non, au Cameroun sur la base de liberté des politiques commerciales.
Elle est définie par l'Accord de Marrakech sur le dumping
dommageable208 comme le fait d'introduire « sur le
marché d'un autre pays à un prix inférieur à sa
valeur normale, [un produit] si le prix à l'exportation de ce produit,
lorsqu'il est exporté au cours d'opérations commerciales
normales, par le produit similaire destiné à la consommation dans
le pays exportateur est supérieur ». Cette
définition est assurément la meilleure qui permet de comprendre
ce concept. Elle l'est d'autant de plus que, celle retenue dans le cadre de la
loi relative au dumping et à la commercialisation des produits
d'importation subventionnés209 permet de tirer des
conclusions plus déconcertantes. En premier lieu, cette
définition semble complexe et inutilement longue. Elle nécessite
par ailleurs des éclaircissements quant au
207 Mme FONE née NDONTSA (A-M), « la loi n°98/12
du 14 juillet 1998 relative au dumping et à la commercialisation des
produits d'importation subventionnés : une loi entre protectionnisme et
libre échange », juridis périodique n°43,
juil-Sept 2000, PP97-103
208 Il s'agit en fait de l'accord sur la mise en oeuvre de
l'article 4 du GATT (Accord Général sur les Tarifs douaniers et
le Commerce) de 1994
209 Article 3 de la loi n°98/012 du 14 juillet 1998 relative
au dumping et à la commercialisation des produits d'importation
subventionnés « le dumping consiste à introduire dans le
marché intérieur, un produit à l'importation, acquis
auprès d'un fournisseur étranger à un prix
inférieur à la valeur normale pratiqué par le fournisseur
au cours d'opérations commerciales normales par ce produit ou un produit
similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur
»
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concept de « valeur normale
», d'« opération commerciale normale
», de « produit similaire
», etc.210
Cette définition laisse entendre que les produits non
destinés à la consommation ne sont pas concernés par le
dumping, alors même que les effets du dumping, concernent davantage les
entreprises que les consommateurs. Par ailleurs, la loi amène à
se demander ce qui est constitutif de dumping entre le fait d'introduire sur le
marché intérieur un produit acquis dans les conditions
décrites, et le fait de l'avoir acquis auprès d'un fournisseur
étranger à un prix inférieur à la valeur dite
normale, pratiqué par le fournisseur au cours d'opérations
commerciales normales. Sous cet angle, la loi semble condamner le moyen
plutôt que les effets. En fait, ni l'une ni l'autre de ces deux
hypothèses ne peut prospérer. Ce n'est nullement le fait
d'introduire sur le marché un produit qui en fait un dumping. Même
cette introduction peut être entendue comme la vente. C'est plutôt
le prix par lequel ce produit est introduit sur le marché qui doit
être considéré. Ce n'est non plus l'acquisition à un
prix inférieur à un prix normal, qui est
répréhensible mais plutôt la revente à un prix
inférieur au prix d'acquisition.
En clair, le dumping apparaît comme le fait pour une
entreprise, de vendre sur le marché intérieur, un produit
étranger, à un prix inférieur à son prix
d'acquisition ou à celui pratiqué par la même entreprise
dans les mêmes conditions et pour le même produit dans son pays
d'origine ou dans un autre pays. Toutefois, ce n'est point le dumping en
lui-même qui est répréhensible. Seul son caractère
dommageable l'amène à devenir répréhensible.
2- L'incrimination du dumping.
Seul le caractère dommageable du dumping justifie sa
répression. Cette répression obéit à certaines
conditions déterminées par l'article 5 de la loi de 1998,
relative au dumping211. Les conditions que dégage cet article
sont conformes à celles de l'accord même s'ils ne précisent
pas à partir de quel critère le marché intérieur
peut être considéré comme étant normal. Le
préjudice ainsi exigé peut être éventuel ou
réel, mais il doit être certain sur une branche de production
nationale, ou en retarder le développement. Il doit être personnel
et
210 Le décret d'application n°2005/1362/PM du 06 mai
2005 fixant la composition, les modalités de fonctionnement et de
saisine du comité antidumping et de subvention apporte sur ces points
d'importants éclaircissements à l'article 13 al (1) et (2).
211 La pratique du dumping est interdite « lorsqu'elle
entame le fonctionnement normal du marché intérieur. Soit en
causant ou menaçant de causer un dommage important à la
production nationale, soit en retardant la création d'une production
nationale des produits similaires ou directement concurrents ».
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réel. La loi définit la branche de production
nationale comme étant l'ensemble des producteurs nationaux des produits
similaires dont les productions additionnées constituent une proportion
majeure de la production nationale totale de ces produits. Le décret
n° 2005/1362 précise que la proportion est au moins de
25%.212 De même définit-elle en son article 13 (2), la
notion de produit similaire. Il s'agit en effet d'après ladite loi de
produits identiques, semblables à tous égards aux produits
considérés ou, en l'absence d'un tel produit, tout autre produit
non semblable à tous égards présentant les
caractéristiques similaires. Cette conception apparaît comme une
contribution majeure du législateur camerounais, à la recherche
du critère de similarité si problématique en droit
international économique. Elle ne peut, malheureusement que faire long
feu. Car en effet, il aurait fallu qu'elle intégra dans son champ
sémantique, l'interchangeabilité des produits qui peuvent en
matière d'utilisation se suppléer. L'importance du dumping et
l'effectivité de son caractère dommageable s'apprécient en
fonction de la marge de dumping213 par rapport à la
considération d'un certain nombre d'éléments, au nombre
desquels, la comparaison à un niveau commercial tant avec un prix de
référence à l'exportation du produit similaire vers un
pays tiers, qu'à son coût de production dans les pays d'origine,
majoré des frais généraux et du bénéfice.
Le caractère dommageable du dumping se dégage de
la considération des éléments fondés sur
l'importance et l'évolution du volume des produits, objets de dumping
tel que l'effet desdites importations sur le prix d'un produit similaire ou
l'incidence desdites importations sur la production nationale du fait de leur
subventionnement, ou du fait de leur quantité nuisiblement accrue par
l'Etat importateur.
B- L'INCRIMINATION DES SUBVENTIONS INTERDITES ET
D'IMPORTATIONS EXCESSIVES.
La régulation des prix ne vise pas uniquement la
pratique déloyale des entreprises, elle vise également à
encadrer les pratiques des Etats, découlant d'une manipulation des prix
ou du moins ayant un effet sur les prix. Le but poursuivi est celui de la
prohibition de certaines subventions mais surtout le contrôle des
importations.
212 Article du décret n° 2005/1362.
213 Article 12 du décret 2005/1362 qui définit la
marge de dumping comme la différence établie à un niveau
commercial entre le prix fournisseur étranger et la valeur normale
comparable pratiquée par le fournisseur au cours d'opérations
commerciales normales par un produit de même nature destiné
à la consommation du pays exportateur.
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1- l'interdiction de subventions nuisibles.
Conformément à l'accord sur les subventions et
les mesures compensatoires de l'OMC, toutes les subventions ne sont pas
interdites. Seules sont prohibées celles ayant un effet
défavorable sur les produits du pays d'accueil du fait de l'écart
des prix entre ce dernier et les produits importés214. Ainsi,
l'article 9 de la loi n°98 relative au dumping et à la
commercialisation des produits d'importation subventionnés conformes
à l'article 5 de l'accord sur les subventions et les mesures
compensatoires, permet à l'Etat d'engager une action contre
l'écoulement d'un produit importé subventionné, lorsque
ladite subvention cause ou menace de causer un dommage à
l'économie nationale. Cependant, seules les subventions nuisibles sont
interdites aussi bien à l'échelle nationale, communautaire
qu'international. Ainsi, un produit certes subventionné mais ne causant
aucun tort à l'économie nationale ne pourrait être
condamné. L'article 10 de la loi n° 98 sus-cité est sans
ambiguïté. Les subventions pouvant donner lieu à une action
contre l'écoulement d'un produit importé sont celles ayant fait
l'objet d'une spécificité au sens des dispositions de l'accord
sur les subventions de l'OMC. Il s'agit notamment des subventions
subordonnées en droit ou en fait, exclusivement ou avec d'autres
conditions, au résultat à l'exportation, les subventions
subordonnées exclusivement ou avec d'autres conditions à
l'utilisation des produits nationaux, de préférence à des
produits importés, et enfin, des subventions accordées
expressément à certaines entreprises par les pouvoirs publics.
2- La prohibition des subventions excessives
nuisibles.
Sous réserve de quelques mesures prévues soit
par les lois et règlements, soit par les traités et accords
internationaux régulièrement ratifiés par le Cameroun, les
exportations et les importations sont libres215. Ainsi, la mouvance
libre-échangiste a trouvé un écho favorable au Cameroun.
C'est ce qui explique l'envahissement du marché local par les
commerçants étrangers de tous bords. Ces derniers sont libres
d'importer en qualité et en quantité au gré de
214 L'Article 9 de la loi n°98 relative au dumping et la
commercialisation des produits d'importation subventionnés. Dispose que
« lorsque la distribution des produits d'importation subventionnés
causent ou menacent de causer à la production nationale, ou à une
branche de celle-ci, des effets défavorables, consécutifs
à l'écart des prix entre les produits locaux et les produits
importés, un droit compensateur peut être imposé auxdits
produits afin d'annuler ses effets ».
215 Article 42 du décret de 1993 portant application de la
loi régissant l'activité commerciale au Cameroun.
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leurs intérêts et de leur puissance
économique216. Ainsi, les producteurs étrangers
bénéficient du principe de la liberté de choix des
stratégies de commercialisation. L'exercice de ce principe, peut
favoriser la pratique d'importations en quantité tellement accrue par
rapport à la production nationale qu'elle en désorganiserait le
marché .Il peut causer au passage un dommage grave à la branche
de production nationale des produits similaires ou directement concurrents.
L'article 12 de la loi n°98/012 qui se veut formellement conforme à
l'article 2 de l'accord sur les sauvegardes autant que l'article 13 conforme
à l'alinéa1 (a) dudit accord, dégage le souci de
précision qui anime le législateur camerounais. Ce dernier
définit en effet le dommage grave comme étant une
dégradation générale notable de la situation d'une branche
de production nationale tel que défini à l'article 7 sus
évoqué. Les conditions du dommage grave et du lien de
causalité régit par l'article 18 du décret sont les
mêmes que pour le dumping et les subventions.
Le souci de protection de l'économie nationale
correspond à une fonction d'arbitrage ou de conciliation des
intérêts tant des consommateurs que des producteurs locaux. Ces
derniers en appellent à plus de protectionnisme de l'Etat face à
cette déferlante que constitue pour eux la concurrence internationale.
Le rôle régulateur de l'Etat l'amène à identifier
conformément au cadre normatif des échanges internationaux, le
dumping dommageable, les subventions interdites, et les importations excessives
comme constituant des pratiques orchestrées autant par les Etats que par
les entreprises, nocives à l'économie camerounaise. Toutes choses
qui justifient, une prévision d'un ensemble de mesures de défense
commerciale en vue de sauvegarder l'économie locale.
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