CONCLUSION
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Cette étude s'est attelée à montrer
comment la démarche judiciaire s'est mobilisée dans le processus
de justice transitionnelle au Rwanda. Au pays de milles collines, la justice
transitionnelle a émergé de la nécessité de
confronter les legs des abus sérieux de droits de l'homme avec des
mesures judiciaires telles que des poursuites criminelles, des
réparations pour des victimes et des reformes institutionnelles. Les
abus les plus graves et les violations des droits de l'homme ont
été au coeur du génocide rwandais et en ont
constitué la conséquence. Le génocide au Rwanda fut
certainement le plus rapide de l'Histoire : 800 000 rwandais, essentiellement
des tutsi, ont été tués en cent jours ainsi que des hutu
modérés considérés comme traitres à la cause
du `Hutu Power'. En plus du génocide, environ plus d'un million et demi
de morts ont été déploré au Rwanda, plus de deux
millions de réfugiés, des centaines de milliers de malades, de
blessés, la guerre civile, des massacres, la famine, les
épidémies et tout ceci sur une population estimée à
7, 5 millions de personnes. Le Rwanda a ainsi eu recours à une gamme des
approches pour contribuer à un sens holistique de justice pour tous les
citoyens, d'établir ou remplacer la confiance citoyenne, pour
réconcilier des personnes et des communautés, et pour
empêcher de futurs abus. La mobilisation de la démarche judiciaire
dans le processus de justice transitionnelle s'est située au centre des
actions entreprises pour les gérer. Répondre aux dilemmes et
contradictions que représentent les caractéristiques d'une
société en fin de conflit nécessite la prise en compte de
la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle pour
harmoniser et arbitrer les intérêts de toutes les couches
sociales. On a vu que la justice transitionnelle permet de mettre en place un
certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans
le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes.
La répression, les réparations et la réconciliation sont
les maîtres mots de cette entreprise, la consolidation de ces acquis et
leur pérennité appelant un certain nombre de réformes dans
les appareils de l'Etat.
Le Rwanda s'est inspiré de deux modèles de
justice transitionnelle : d'une part la justice restaurative et de l'autre, la
justice retributive. Autrement dit, suite au génocide de 1994, un
tribunal ad hoc chargé de juger les responsables des massacres
et des violations graves perpétrés dans le contexte du
génocide a été mis en place. Le Rwanda a également
recouru aux tribunaux locaux traditionnels pour juger les personnes ayant de
près ou de loin pris part au génocide. Ces tribunaux ont fait
naître une forme de justice qui a marié la rétribution et
la reconstruction des liens sociaux.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
L'analyse de la présente étude est
divisée en deux grandes parties égales et quatre chapitres au
total. La première partie a mis en exergue le déploiement de
l'institution judiciaire dans le contexte post-génocide au Rwanda. Elle
a porté d'une part sur la démarche judiciaire dans le processus
de justice transitionnelle dans la société rwandaise et d'autre
part, sur la mobilisation de la démarche judiciaire centrée sur
la justice internationale notamment le Tribunal pénal international pour
le Rwanda. De façon générale, dans cette première
partie de l'étude, l'accent a tout d'abord été mis sur la
mise à l'écriture de l'histoire du génocide de 1994
à la mise en place des institutions de la justice transitionnelle. Nous
avons évoqué la société rwandaise et l'impact de la
colonisation ou la construction d'une mythologie culturelle ; le mythe
hamitique et le mythe bantou ont été mis en lumière.
Ainsi, nous avons parlé de la dynamique de l'histoire de la
société rwandaise ; de l'impact de la colonisation notamment avec
les allemands et les belges ; de l'idéologie rwandaise après la
colonisation, de la république hutue et ses conséquences. Nous
avons évoqué en passant, les années Kayibanda, les
réfugiés, le régime Habyarimana, la crise et les
préparatifs du FPR, en Ouganda ; la guerre civile et l'offensive du FPR
; les négociations de paix ; la montée de l'extrémisme, la
MINUAR ; la mort énigmatique du président Habyarimana ; le
génocide ; ses organisateurs ; ses assassins ; ses victimes ; la
victoire du FPR ; la multiplication des réfugiés ; le nouveau
gouvernement et enfin les institutions de la justice transitionnelle : les
juridictions nationales ou classiques ; les Juridictions Gacaca et le
Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
En fait, pour arriver au processus de justice transitionnelle,
nous nous sommes bien servi de l'approche historique en montrant comment la
colonisation avait renforcé les clivages ethniques, la puissance
coloniale s'étant très longtemps appuyé sur la monarchie
tutsi pour faire fonctionner son administration puis fit un revirement de
dernière minute pour soutenir le parti principalement hutu et
représentant la majorité de la population. Mais, plus qu'une
histoire ethnique, le génocide a été le fruit des
profondeurs du mal être de ceux qui luttent pour le pouvoir et profitent
des vieux démons tribaux pour monter aux cieux. Le problème de
clivage ethnique avait abouti au génocide puis le génocide a
abouti à la mise en place des institutions de la justice
transitionnelle. La démarche historique s'est
révélée nécessaire ici dans la mesure où
elle a permis de montrer comment le Rwanda est marqué par la
répétition des crimes graves depuis 1959, couronné par le
génocide de 1994 pour arriver aux institutions de la justice
transitionnelle.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
S'agissant des juridictions classiques, nous en avons
montré l'impuissance et les limites qui ont débouché sur
la mise en place des Juridictions Gacaca. Face à
l'incapacité des tribunaux ordinaires, il fallait continuer à
chercher dans le passé des solutions pour le présent. Avec la
justice officielle, il aurait peut être fallu attendre plus de cent ans
pour juger tous les prisonniers. Les Gacaca ont eu pour but d'ouvrir
une partie de la justice à la population, rendre aux citoyens le
privilège de juger. On a vu que ces juridictions comportaient en
même temps la justice rétributive et la justice restaurative. Nous
avons analysé l'insertion du système hybride dans le
système judiciaire comme facteur de vérité, de justice, de
pardon et de réconciliation. L'étude a porté de même
sur les perceptions des Juridictions Gacaca dans la
société rwandaise. Nous avons analysé les avantages et les
limites du recours aux mécanismes de la justice traditionnelle dans la
démarche judiciaire. Après l'analyse des Juridictions
Gacaca, nous notons que de par le monde, le mécanisme de
justice transitionnelle locale le plus ambitieux a été les
Gacaca, où 11 000 tribunaux communautaires ont
été lancés pour juger les suspects de moindre niveau pour
leurs actes génocidaires. Par opposition aux stratégies
d'amnistie ou de poursuites sélectives choisies par d'autres pays
africains faisant face à de nombreux coupables, le gouvernement rwandais
a choisi de chercher la responsabilisation par le biais de tribunaux
Gacaca, avant de transmettre les dossiers aux tribunaux nationaux aux
fins de procès. Toutefois, les Gacaca gratifient ceux qui
plaident coupables de peines réduites, notamment des peines de travail
d'intérêt général au lieu de peines de prison. La
justice transitionnelle au Rwanda s'est uniquement axée sur la
responsabilisation du génocide de 1994 et non pas sur les accusations de
crimes de guerre pendant la guerre civile de 1990-1994. De plus, les tribunaux
communautaires ont certes aidé la population rwandaise à faire
face au génocide de 1994 mais n'ont pas réussi à fournir
des décisions et une justice crédibles dans certaines
affaires.
Pour ce qui est du TPIR, nous avons montré la
passivité de la communauté internationale face au génocide
de 1994, la négligence de l'ONU, le mandat restreint de la MINUAR pour
aboutir à l'établissement du TPIR. En analysant la justice
transitionnelle au Rwanda à travers le recours à la justice
internationale, l'objet d'étude a tout d'abord porté sur le TPIR
comme élément de la justice rétributive et facteur de
reconnaissance du génocide de 1994. Nous avons étudié le
TPIR et les poursuites pénales ; l'accent a été mis sur
quelques procès phares qui ont constitué un message contre
l'impunité.
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En fait, les procès devant le TPIR et devant les
Gacaca sont des procès qui poursuivent plusieurs objectifs :
juger et punir les crimes de génocides pour bannir à jamais le
génocide. Ils se fixent un objectif, celui de donner une leçon de
justice à l'humanité. Certains procès d'Arusha marquent un
tournant dans l'émergence de la mémoire du génocide. Ces
procès montrent que le génocide est un crime de l'Etat qui
suppose une politique étatique d'extermination. La décision du
Conseil de sécurité de se focaliser par exemple sur les
responsables de l'Etat montre que l'Etat rwandais a voulu détruire un
groupe, les Tutsi. Les procès devant les Gacaca visent quant
à eux toutes les personnes subalternes présumées d'avoir
participé au génocide des Tutsi. Ces procès
obéissent à des impératifs de politique intérieure
et de politique extérieure. Il s'agit de montrer que l'Etat rwandais est
en mesure de se reconstruire sur de nouvelles bases de la justice et de la
réconciliation. Les procès dévoile au monde, jusqu'au plus
petit détail le crime de génocide, afin de rendre présent
dans les esprits la présence du passé. Dans ce sens, le seul
moyen de montrer la vérité des faits est d'appeler les
témoins, survivants et bourreaux à la barre. Le procès
fait accoucher de la mémoire du témoin les détails de ce
qu'il a vu et de ce qu'il a entendu. Toutes les dépositions de
témoins mises ensemble donnent ainsi l'image réelle du crime de
génocide. Il s'agit de faire visualiser le crime de génocide au
moyen de la parole des témoins. Avec donc les différents
procès du crime de génocide, et la parole du témoin, le
génocide devient une succession d'expériences individuelles. Un
éclairage est mis sur les responsables du génocide, et sur les
mécanismes qui ont permis le génocide.
La deuxième partie de l'étude à quant
à elle porté sur le bilan mitigé de la démarche
judiciaire dans le processus de justice transitionnelle au Rwanda. Cette partie
s'est focalisée d'une part sur la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle : une contribution significative à
la consolidation de la paix et au développement, et d'autre part, sur la
démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle : une
contribution insuffisante à la dynamique de retour à la paix.
Nous avons tout d'abord montré l'impact positif de la justice
transitionnelle sur le Rwanda à travers l'état de droit et la
réconciliation nationale où les progrès
réalisés ont été impressionnants. Ensuite, nous
avons étudié les effets bénéfiques de la justice
transitionnelle au Rwanda à travers la promotion de la gouvernance
inclusive et les reformes institutionnelles. Les droits des femmes et des
enfants ainsi que la lutte contre la corruption ont été mis en
exergue. La réforme du secteur de sécurité a
été au coeur des réformes institutionnelles. Nous avons vu
que la réforme du secteur de sécurité constitue une
composante essentielle des efforts visant à rétablir et à
renforcer l'Etat de droit.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Des progrès dans le domaine de la réforme du
secteur de sécurité sont une condition essentielle pour le
succès d'une sortie de crise, qui dépend largement de la
capacité des acteurs et des institutions chargées de la
sécurité nationale à fonctionner de manière
efficace. Après, nous nous sommes penchés sur la justice
transitionnelle comme contribution significative au développement. On a
réalisé que la bonne application des OMD a augmenté le
taux de confiance de la population et que le développement
socioéconomique est indispensable au succès d'une paix durable.
Cette deuxième partie de l'étude a aussi abordé les
obstacles qui entravent la bonne réalisation de la justice
transitionnelle au Rwanda, notamment, les faiblesses de Gacaca, le
manque de crédibilité et le coût élevé du
TPIR, le problème de l'existence de planification sans planificateur du
génocide contre les tutsi, l'effacement des preuves de génocide
ainsi que le négationnisme et la théorie du double
génocide, l'impact minimal du TPIR. Il a été
démontré au long de cette partie que le TPIR est un tribunal
isolé de la société rwandaise et oubliait les victimes
dans ses programmes. L'obligation d'établir la vérité sur
les crimes du FPR ainsi que l'obligation de juger et de sanctionner les membres
du FPR responsables de crimes de guerre et les crimes contre l'humanité
est nécessaire pour réduire l'impact minimal du TPIR. Toutefois,
nous avons souligné qu'au-delà de quelques limites, le TPIR a
connu des résultats symboliques en ce sens qu'elle a réussi
à imposer la reconnaissance juridique du génocide.
S'agissant des faiblesses des tribunaux Gacaca, il
ressort par exemple que certaines personnes avaient avoué leurs crimes,
mais, elles ont quand même été condamnées à
mort. Les témoins à charge ont occupé les maisons des
rescapés et ont pris leurs biens. Dans ces tribunaux, il y a
également eu des graves lacunes, notamment l'intimidation de
témoins à décharge par des juges ou par des
autorités, la corruption par des juges et des parties aux affaires et
enfin les irrégularités de procédure dues à
l'utilisation de juges n'ayant en grande partie pas
bénéficié de la formation nécessaire. Certains
témoins potentiels ne se sont pas exprimés pour la défense
de suspects du génocide parce qu'ils craignaient des poursuites pour
parjure, complicité dans le génocide ; d'autres craignaient de
subir l'ostracisme social pour avoir aidé des suspects à se
défendre. Des crimes commis par des militaires du FPR, parti au pouvoir
depuis que le génocide a pris fin sont également exclus de la
compétence des Gacaca, ce fait a laissé les victimes de
ces crimes en attente de justice.
Parlant de l'effacement des preuves de génocide, la
mémoire, le témoignage, l'enseignement, l'histoire ont
été assumés par les survivants du génocide
perpétré contre les
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processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
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Tutsi. Ce génocide ne devait certainement avoir ni
témoin, ni histoire, ni mémoire ce d'autant plus que le projet
des concepteurs et planificateurs de ce génocide consistait à
effacer les tutsi de l'histoire du Rwanda. Le fait de noyer par exemple les
victimes tutsi dans les lacs et les rivières constituait des avantages
pour les génocidaires : on tue d'abord le Tutsi- ce qui est le principal
objectif- puis, en deuxième lieu, on se débarrasse
commodément de son cadavre emporté par le courant d'eau, ce qui
revient à effacer les traces du crime. La plupart des corps ont
été charriés par les eaux vers le lac victoria. Y
arrivées, certaines victimes ont été pêchées
et enterrées dans des sites mémoriaux construits à cet
effet en Ouganda. Certains de ces noyés, hommes, femmes et enfants,
reposent, si l'on peut dire ainsi, en terre étrangère : ils ont
à la fois perdu le droit à la vie et à la patrie. Pour
d'autres, l'eau restera pour l'éternité leur simple tombe fluide
: ils sont condamnés à n'avoir jamais une pierre tombale.
Pour ce qui est du négationnisme et de la
théorie du double génocide, on a vu que les massacres des
populations tutsi sont présentés comme simplement des actes de
légitime défense dans le contexte de la guerre menée par
le FPR. Le FPR est identifié très souvent comme l'auteur de
l'attentat de l'avion du Président Juvénal Habyarimana et
emporte, par là, la responsabilité du déclenchement des
massacres des Tutsi. En définitive, c'est l'attentat suite aux
enquêtes du juge Bruguière et l'interprétation pour le
moins partielle du travail du TPIR concernant les planificateurs du
génocide qui deviennent les deux clefs de voûte argumentatives de
la rhétorique négationniste.
En fin de compte, dans cette étude, en
générale, il est ressorti que dans une pratique de la justice
restaurative, il faut faire participer toutes les parties
intéressées par le règlement du conflit : la victime, le
contrevenant et la collectivité ; tous doivent intervenir dans le
processus et être habilités à y contribuer pleinement ;
c'est ce qui a justifié d'ailleurs le choix de l'approche holistique
dans le cadre de cette étude. Seulement, la participation ne doit pas
être le résultat de la coercition, de la crainte, de menaces ou de
manipulation, que ce soit à l'égard de la victime ou de l'auteur
du délit. Une pratique de justice restaurative doit exiger qu'on dise la
vérité. L'énoncé de la vérité sous
forme d'admission de responsabilité de la part du contrevenant est la
condition préalable à tout processus de réparation ; sous
forme de narration franche de l'expérience de chacun. Il faut
prévoir une rencontre (face à face, avec récit des
expériences mutuelles) entre la victime et l'auteur du délit
ainsi que la collectivité.
L'évaluation des pratiques qui se prétendent de
nature réparatrice doit se faire au cas par cas, en prêtant
attention à la structure et à son contexte. Cela étant, il
n'existe pas de modèle
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processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
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de justice restaurative idéal, transportable dans
toutes les sociétés. Concept et pratique en construction, la
justice restaurative doit s'adapter aux différentes cultures et
être appropriées par elles : elle n'est pas une carte mais une
boussole. Cela étant, dans la pratique, une formule à
succès unique pour rétablir la paix et un Etat de droit dans les
zones post-conflits ou postgénocide n'est pas vraiment utile puisque
chacune des situations pose ses propres contraintes et balises. Le processus
des Juridictions Gacaca renvoie par exemple à une
réalité quotidienne qui ne cesse d'évoluer, et que nul ne
peut prédire de ce qui adviendra dans les années à venir.
Toutefois, on peut s'inspirer des expériences passées ; ce qu'il
faut éviter c'est de faire du copier coller.
A travers les juridictions Gacaca, le Rwanda
constitue un modèle d'implication communautaire dans l'administration de
la justice pénale internationale. Même si les juridictions
Gacaca n'ont pas été très efficaces, le concept
est en soi séduisant et les pays qui doivent gérer un lourd
passé peuvent s'en inspirés. Ce mécanisme produirait de
bons résultats, à condition qu'il ne soit ni manipulé par
les autorités politiques ni dénaturé, notamment en lui
octroyant une compétence exorbitante qui dépasse ses
capacités.
A l'issue de cette étude, il convient de remarquer que
malgré les vicissitudes du système judiciaire international qui
émaillèrent sa création, le TPIR constitue un outil de
premier plan dans la reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi. Depuis sa création, le TPIR a
permis l'évolution de la responsabilité pénale
individuelle, ce qui est une bonne chose pour le droit international
pénal. Cette évolution a aussi permis de `décollectiviser'
le génocide perpétré au Rwanda en définissant ses
identifiants, ses victimes et en identifiant les responsabilités de ses
acteurs. En s'appuyant sur la Convention de 1948, le TPIR a permis de qualifier
et de réprimer de manière inégalée les actes de
génocide perpétré au Rwanda. La qualification de ces actes
de génocide permet de barrer la route au négationnisme. La
punition constitue quant à elle un outil de lutte contre
l'impunité et d'assurer la prévention contre la
répétition du crime.
Le travail des Juridictions Gacaca est remarquable
sur le plan qualitatif et quantitatif en dépit de quelques limites. Les
tribunaux Gacaca sont les plus efficaces et les plus dynamiques des
initiatives lancées après le génocide à des fins de
justice et de réconciliation. Ce système a obtenu beaucoup de
réussites, notamment la tenue de procès rapides avec la
participation populaire, une réduction de la population
carcérale, une meilleure compréhension de ce qui
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processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
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s'est passé en 1994, la localisation et
l'identification des corps des victimes et un éventuel assouplissement
des tensions ethniques entre le groupe majoritaire hutu et la minorité
tutsie.
S'agissant des techniques d'observation, dans cette
étude, nous avons utilisé deux techniques de collecte de
données : les techniques dites vivantes et les techniques dites
documentaires ou non vivantes. La classification de ces techniques a
été essentiellement qualitative. Les techniques qualitatives ont
pour ambition l'étude en profondeur des faits pour en dégager les
propriétés, les caractères et la nature. Nous nous sommes
servis de l'entretien individuel (interview) qui est un échange entre
nous chercheur et les personnes ressources. Il a fallu qu'on aille en
profondeur dans les échanges pour que l'enquête puisse fournir un
maximum d'information. Pour conduire ces entretiens, nous avions tout d'abord
procédé à l'identification des personnes ressources ; nous
avions pris les contacts nécessaires et enfin préparer un
protocole d'entretien. Etant donné que rien ne peut remplacer un contact
direct de
l'enquêteur avec son terrain et qu'il est difficile
d'imaginer une étude sérieuse oül'observation
directe ne jouerait aucun rôle, nous nous sommes rendus au Rwanda pour
toucher du doigt le processus de justice transitionnelle et
voir si réellement elle a contribué à une paix durable.
Nous avons adopté la démarche hypothético-déductive
qui a impliqué au départ, la formulation des réponses
provisoires à la question principale de la recherche qui consistait
à savoir si les institutions de la justice transitionnelle ont-elles
réellement contribué à consolider et assurer une paix
durable au Rwanda. Eprouvées empiriquement pour la vérification
de leurs véracités et validées à partir de la
technique de collecte des données, des approches et grilles
théoriques, nous confirmons nos hypothèses de départ selon
lesquelles :
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
seraient un mécanisme qui donne des résultats qui permettent de
consolider le processus de paix, de sécurité et de relance
économique pour le développement.
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
présenteraient encore des échecs au vu des programmes
inefficaces.
Suite à notre question de recherche et
hypothèses, on pourrait donc conclure que les institutions de la justice
transitionnelle ont assuré une paix durable au Rwanda en ce sens
qu'elles ont très bien réussi à établir la
vérité sur certains faits, elles ont traités de la
rétribution et de la punition des auteurs de l'infraction et ont
noblement essayé, mais échoué à court terme, dans
leur ambition plus large de la réconciliation. Ainsi, à cause de
quelques échecs de ces institutions, ce sont les années qui
viennent qui jugeront vraiment si ces
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processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
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institutions ont réellement contribué à
consolider une paix durable au Rwanda ce d'autant plus que la justice n'a pas
été encore rendue pour les crimes du FPR actuellement au pouvoir.
Que ce soit le TPIR ou les Juridictions Gacaca ; le défi majeur
revient à lutter efficacement contre l'impunité pour
développer la culture de la responsabilité. Malgré tous
ces mécanismes de justice transitionnelle déployés au
Rwanda, la réussite totale d'une justice transitionnelle demeure
excessivement complexe ; les problèmes sont multiples et les besoins
sont immenses. Ainsi, l'impact de la réconciliation n'est pas facile
à mesurer aujourd'hui. En somme, l'une des graves lacunes de la justice
transitionnelle au Rwanda est l'incapacité à assurer une justice
égale pour toutes les victimes de crimes graves commis en 1994 et cela
ne peut en aucun cas favoriser la réconciliation à long terme au
Rwanda et de fait, la réconciliation mise en avant par le gouvernement
rwandais et la communauté internationale a encore de longues
années devant elle.
Néanmoins, la justice transitionnelle aide, tout de
même, à analyser les situations et à préciser quelle
approche devrait être préconisée pour atteindre l'objectif
de reconstruire une paix durable et mettre en place un Etat de droit. Cela
étant, malgré les imperfections du TPIR et des tribunaux
Gacaca, on peut estimer et souligner qu'un effort de justice a
été effectué au Rwanda ce qui a abouti à une
société plus respectueuse du droit. Au Rwanda, depuis leurs mises
en place à nos jours, les institutions de la justice transitionnelle ont
assuré la paix, la sécurité et la relance
économique pour le développement ; la justice transitionnelle est
sans conteste un nouveau mécanisme de consolidation de la paix ; un
outil de résolutions de conflits et d'instauration d'une paix durable ;
un moyen de sortie de crise et de rétablissement de l'équilibre
social et sociologique de l'Etat.
L'unité nationale a grandi au Rwanda de nos jours par
la cohésion de tous Hutu, Tutsi. Les textes légaux, les
attributions de postes politiques et administratifs traduisent sans limitation
aucune cette avancée notoire de la conscience nationale. Nous croyons
vivement que les crimes graves ne se reproduiront plus aussi facilement,
à cause de la mise en place des institutions fortes, la justice et la
réconciliation nationale. Au Rwanda, on retrouve désormais une
justice assez crédible où les Rwandais se reconnaissent dans
cette justice. C'est vrai quand même que selon nos interlocuteurs, les
Hutu ne sont pas libres au Rwanda ; ils ont peur des Tutsi parce qu'ils sont au
pouvoir et les Tutsi ont peur des Hutu parce qu'ils peuvent s'emparer du
pouvoir. Les Rwandais cohabitent ensemble mais la plupart regardent encore dans
des directions opposées, la division est encore présente, aussi
bien que l'amalgame des
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coupables et de tout leur `groupe'. Il faut donc faire en
sorte que la haine ne possède plus les coeurs à travers une
justice crédible et équitable. Il faut désamorcer le cycle
de la violence. Continuer à dénoncer toute forme de
discriminations s'ils ont lieu. Bien qu'il serait faux de dire que les
souffrances sont vraiment éteintes au Rwanda ; mais, en aucun moment,
lors de notre passage au Rwanda, nous avons détecté un souci de
vengeance personnelle. Nous avons juste ressenti un besoin de justice
teinté de modération pour ne pas envenimer la situation.
Malgré quelques petites imperfections, du reste
mineures, nous soulignons avec force que la justice transitionnelle constitue
une importante contribution à la paix, à la reconstruction
post-conflit dans l'histoire du Rwanda. Les réformes institutionnelles
ont défini un cadre institutionnel clair pour assurer la
sécurité, qui permette d'intégrer la politique de
sécurité et celle du développement qui fasse appel
à tous les acteurs concernés et soit centré sur les
groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants et les
minorités. Ces réformes institutionnelles ont renforcé la
gestion et la supervision des institutions chargées de la
sécurité ; elles ont constitué des forces de
sécurité compétentes et professionnalisées qui
soient responsables devant les instances civiles et ouvertes au dialogue avec
les organisations de la société civile. En gros, les
réformes institutionnelles au Rwanda sont désormais
centrées sur l'être humain, sont appropriées localement, et
se fondent sur les normes démocratiques, le respect des droits de
l'homme. Les réformes offrent désormais l'opportunité
à l'Etat rwandais de réfléchir aux moyens de régler
les divers problèmes de sécurité auxquels leur population
et eux-mêmes sont confrontés, grâce à une
intégration plus étroite des politiques de développement
et de sécurité ainsi qu'à un renforcement de la
participation des civils et de leur pouvoir de contrôle.
De plus, chaque année, les Rwandais rendent visite
à des sites de mémoire pour rendre hommage aux victimes. C'est
à travers ces sites mémoriaux que la mémoire du
génocide a été préservée. Ainsi, il faut
bien préserver tous les sites du génocide qui en constituent la
mémoire afin de le prévenir. La fonction de la mémoire est
d'éviter en fait aux générations présentes et
futures la répétition du mal commis dans le passé. Elle
reprend le passé pour corriger le présent et assurer un avenir
meilleur. La mémoire doit constituer pour les générations
successives un rappel permanent de ce qu'il ne faut plus jamais faire. En
effet, la mémoire à conserver est destinée à
remplir diverses fonctions salutaires pour la société, notamment
la conservation des souvenirs, la reconnaissance morale et la justice aux
victimes, la contribution à la repentance et au pardon aboutissant
à la réconciliation nationale. La
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
mémoire du génocide touche ainsi à
plusieurs domaines tels qu' : une bonne politique de la mémoire, la
réhabilitation (morale, juridique et matérielle) des victimes,
l'éducation de la population aux valeurs de tolérance, la
solidarité, le respect des droits et des libertés
fondamentaux.
En définitive, nous réitérons encore
quelques imperfections de la mobilisation de la justice transitionnelle dans le
processus de justice transitionnelle au Rwanda. Qui punira par exemple les
crimes de guerre commis pendant la prise de Kigali ? Le TPIR tend à sa
fermeture et les Juridictions Gacaca ont été
clôturées le 18 juin 2012, alors, qu'adviendra t-il des meurtres
perpétrés en signe de représailles ? Toutes les personnes
qui ont participé à des massacres avant le génocide de
1994, vont-elles aussi être punies ? Suite à ces interrogations,
nous soulignons que cette étude s'inscrit dans une problématique
encore inépuisée, qu'il ne peut en cerner toutes les dimensions,
mais tout au plus faire le point à un moment donné, sur un
processus en cours de réalisation. Toutefois, nous nous
attèlerons à répondre à ces questions dans des
travaux ultérieurs où nous nous pencherons non plus uniquement
sur le Rwanda mais, sur une étude comparative des institutions de
justice transitionnelle en Afrique.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
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