II. Limitation du sujet ou champ d'analyse
La présente étude analyse les institutions de la
justice transitionnelle au Rwanda. En relation avec la consolidation de la
paix, elle ressort leurs effets et leur portée sur les plans
théoriques et pratiques. Elle fournit à la fois une étude
des objectifs et des mécanismes principaux de la justice transitionnelle
et une évaluation de certaines contraintes et certains dilemmes
entravant l'accomplissement de ces objectifs. Notre délimitation est
spatiale et temporelle.
S'agissant de la dimension spatiale, nous avons porté
notre choix sur le Rwanda. Ce choix est motivé par le fait que ce pays a
eu recours aux mécanismes de justice transitionnelle, inspirés
d'une part du droit pénal international et de l'autre, de la tradition
africaine, dans le but de redresser des situations exceptionnelles où
des crimes d'une gravité inouïe ont été commis.
15 Les tribunaux militaires de Tokyo et de Nuremberg,
les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie
et la Cour Pénale Internationale.
16 La Cour spéciale pour la Sierra Leone, les
chambres spéciales des cours serbes et kosovar ainsi que les chambres
extraordinaires des cours cambodgiennes.
17 Les poursuites devant les juridictions nationales
au Rwanda, au Chili et en Argentine, le procès Papon et Touvier en
France.
18 Les plus remarquées ont été
créées en Afrique du sud, en Sierra Leone, au Liberia, au Chili
et au Maroc
19 Les réformes du secteur de la
sécurité, les programmes DDR etc.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Pour ce qui est de la dimension temporelle, au Rwanda, la
justice transitionnelle est axée presque exclusivement sur les
poursuites pénales du génocide de 1994. Nous nous situons donc
dans la période allant d'après le génocide où les
mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place
jusqu'à l'année 2012. Mais, nous restons attentives à
l'ère du génocide au cours de laquelle les violations massives
des droits de l'homme ont été commises. L'analyse
présentera la structuration de la justice transitionnelle dans ce pays,
son évolution et son dynamisme.
III. Revue de la littérature (Etat de la
question)
Cette étude s'inscrit dans la filiation d'autres
travaux qui ont déjà été faits par le passé
sur la justice transitionnelle. Elle soulève certains problèmes
qui ont déjà été documentés par d'autres,
mais s'efforce d'analyser spécifiquement la mobilisation de la
démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle dans sa
globalité dans le contexte post-génocide rwandais. La
présente étude met en relief les réalisations, les
succès enregistrés et les sujets de préoccupations et
formule des recommandations spécifiques visant à renforcer les
institutions de la justice transitionnelle au Rwanda. En effet, quelques
études ont été faites sur la justice transitionnelle en
Afrique20 mais nous prenons appui aux actes de la première et
la deuxième conférence sur la justice transitionnelle
organisées par Le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et
la Démocratie en Afrique centrale, respectivement en 2007 et en 2009
ainsi qu'aux textes précis de quelques auteurs.
La première conférence internationale a
porté sur l'état des lieux de la justice transitionnelle dans
le monde francophone21. La spécificité des actes
de cette conférence réside dans le fait qu'ils font l'état
des lieux des initiatives de justice transitionnelle dans les
sociétés du monde francophone notamment africain. Il s'agissait
au cours de ce séminaire international entre autres de
réfléchir aux modalités pratiques d'application de la
justice
20 Citons notamment David Hazan, Juger la
guerre, juger l'histoire. Du bon usage des commissions Vérité et
de la justice internationale, Paris, PUF, 2007 ; Claire Auzias, Odile
Belinga et al., Crimes de masse au XXe siècle :
Génocides, Crimes contre l'humanité, Lyon, Aléas,
2008 ; Pierre Hazan, « Measuring the impact of punishment and forgiveness
: a framework for evaluating transitional justice » dans le volume 88,
N° 861, mars 2006, pp. 343-365, de la International Review of the Red
Cross; Christian Nadeau, « Responsabilité collective, justice
réparatrice et droit pénal international » in Revue
française de science politique, juin 2008, Volume 58, p. 915- 931 ;
Eric Brahm, « Getting to the Bottom of Truth : Evaluating the Contribution
of Truth Commissions to Post-Conflict Societies », paper presented at the
International Studies Association Annual Meeting, Honolulu, Hawaï, March
1-5, 2005; International for Transitional Justice, « Etude de cas de
tribunaux hybrides : le tribunal spéciale pour la Sierra Leone sur la
sellette », ICTJ, 5 mars 2006. Nous ajouterons de même les
Conventions de Genève, les principes du droit international, le Statut
de Rome et la création de la Cour pénal internationale qui ont
permis de faire un pas en avant sur la justice transitionnelle.
21 Ce séminaire a eu lieu du 4 au 6
décembre 2006 au Mont Fébé à Yaoundé au
Cameroun.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
transitionnelle dans les régimes de tradition
française et dans les différents contextes juridiques, culturels
et politiques africains. Les actes de ce colloque identifient ainsi les
concepts, les leçons apprises et les bonnes pratiques en matière
de justice transitionnelle ; identifient les principaux défis qui se
sont posés aux initiatives prises en matière de justice
transitionnelle dans les sociétés du monde francophone, comme les
mécanismes de recherche de la vérité dans plusieurs pays
africains, les efforts engagés dans la lutte contre l'impunité et
les tensions entre la paix et la justice qu'elle engendre dans certains pays en
transition. Ils identifient également un certain nombre de
stratégies à mettre en oeuvre à court et à moyen
terme, qui permettent de développer de meilleures pratiques sur le
terrain, des échanges d'expériences, le renforcement des
capacités et des connaissances des acteurs, des praticiens et des
décideurs politiques, ainsi que la recherche dans le domaine de la
justice transitionnelle. Après lecture de ces actes, il ressort que les
experts et praticiens de la justice transitionnelle ont approfondi la
réflexion sur les exigences de la paix, de la réconciliation et
de la justice, qui sont de grande actualité dans de nombreux pays du
continent africain et dans le monde francophone en général.
La deuxième conférence régionale quant
à elle a porté sur La justice transitionnelle : une voie vers
la réconciliation et la construction d'une paix
durable22. Les actes de cette conférence
présentent de manière diversifiée et cohérente, les
expériences faites dans l'application des mécanismes de justice
transitionnelle dans l'espace francophone, en référence aux
quatre volets principaux de la justice transitionnelle. Subdivisé en
deux parties, la première partie des actes du colloque fait office
d'introduction et elle est consacrée à des clarifications
conceptuelles tandis que la deuxième partie, s'intéresse aux
expériences de la mise en oeuvre des `piliers' de la justice
transitionnelle en Afrique francophone. Yaoundé II23 a
abordé des questions telles que : comment traiter du passé ?
Comment réconcilier les acteurs de conflits ? Comment développer
des mécanismes efficaces de promotion et de consolidation de la paix ?
Sur ce, les acteurs impliqués ont dégagé une
stratégie adapté à l'analyse et aux réalités
de terrain en vue de renforcer l'engagement des processus de paix et leur
impact. De façon générale, les actes de la deuxième
conférence se focalisent sur comment les pays tentant d'avancer vers la
démocratie et l'état de droit après un régime
autoritaire ou un conflit violent règlent concrètement
l'héritage des anciennes violations des droits de l'homme. Les
travaux
22 Cette conférence a été
organisée du 17 au 19 novembre 2009 au Mont Fébé à
Yaoundé au Cameroun par le Centre des Nations Unies pour les Droits de
l'Homme et la Démocratie en Afrique Centrale.
23 Yaoundé II en références
à la première conférence sur la justice transitionnelle
qui a eu lieu du 4 au 6 décembre 2006 à Yaoundé au
Cameroun.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
de Yaoundé II ont été abordés dans
le cadre de l'examen des enjeux de la justice et de la paix dans les situations
de conflit et post-conflit. Les travaux de Jean-Emmanuel Pondi24,
d'Alain Didier Olinga25 et de Carol Mottet26 pour ne
citer que ceux-ci ont été d'une grande richesse. En effet, dans
son article intitulé « Traitement du passé : quels
défis et quelles opportunités pour une paix durable ?
»27, Carol Mottet a légitimé la prise en compte
des leçons apprises de la justice transitionnelle notamment dans trois
directions. Il s'est agi d'abord de s'interroger, du point de vue de la
participation, des consultations et de l'appropriation, sur les raisons qui
fondent le succès de certains processus. Ensuite, de faire le point sur
la justice transitionnelle dans sa relation avec les droits économiques,
sociaux et culturels. Enfin, l'urgence de la détermination et de
l'intégration des critères de la justice transitionnelle dans
tous les processus de désarmement, démobilisation et
réintégration. Jean-Emmanuel Pondi dans « Contexte moderne
de la justice transitionnelle », quant à lui dégage tour
à tour le poids du contexte, des acteurs et des enjeux dans le processus
de recherche d'une paix durable dans le cadre d'une justice transitionnelle.
Pour Pondi, la justice transitionnelle peut être définie de
façon succincte et sommaire comme un mécanisme qui accompagne le
passage d'une société donnée, vivant dans un espace temps
quelconque, d'un ordre chaotique vers un ordre apaisé. Elle est donc
l'outil et la modalité par lesquels la phase du consensus doit
succéder à la phase de l'affrontement. Et, comme telle, elle
appelle une étude extrêmement serrée du contexte, des
acteurs au conflit et des enjeux. Jean-Emmanuel Pondi parle ainsi d'une justice
particularisée et préconise qu'il ne s'agit guère
d'appliquer à l'aveuglette des concepts globaux et classiques du droit,
mais au contraire, de tenir compte, de façon systématique, des
enseignements que procure la culture, la sociologie et le droit coutumier du
lieu où elle s'applique. Alain Didier Olinga dans « Justice et paix
: comment se combinent-elles et s'enrichissent-elles mutuellement dans les
processus de paix ? » a proposé l'image tirée de la Sainte
Bible, de la justice et de la paix qui s'embrassent pour aiguiller l'analyse,
inviter à une attention particulière et à la prudence,
suggère fortement qu'il n'y a « ni schéma, ni mode
d'emboîtement, ni prêt-à-penser passe partout et
généralisable de la justice et de la paix
»28. Alain Didier Olinga a recommandé que la paix
soit abordée comme étant la permanence de la
24 Voir la contribution de Jean-Emmanuel Pondi,
« Contexte moderne de la justice transitionnelle » in La justice
transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction
d'une paix durable, Saint-Paul, Yaoundé 2011, pp. 27 à
29.
25 Voir la contribution d'Alain Didier Olinga, «
Justice et paix : comment se combinent-elles et s'enrichissentelles
mutuellement dans les processus de paix ?, Ibid., pp. 31 à
35.
26 Voir la contribution de Carol Mottet, «
Traitement du passé : quels défis et quelles opportunités
pour une paix durable ? », Ibid., pp. 43 à 55.
27 Idem.
28 Alain Didier Olinga, Op. cit., p. 35.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
justice dans une société
réconciliée. Selon Alain Didier Olinga, il convient
d'appréhender la justice transitionnelle comme « une
boîte à outils dans laquelle il faut puiser lucidement pour
constituer un cocktail opérationnel, en vue d'affronter chaque contexte
de transition vers la paix en fonction de sa configuration, de ses
réalités et de la pertinence opératoire de tel ou tel
outil »29.
Pour baliser notre étude, nous avons fait recours aux
travaux de Louis Joinet notamment dans son rapport Question de
l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme (civils et
politiques)30. En effet, à sa quarante-troisième
session (août 1991), la SousCommission31 a demandé
à l'auteur du présent rapport d'entreprendre une étude sur
la question de l'impunité des auteurs de violations des droits de
l'homme. Au fil des ans, l'étude a permis de constater que l'on peut
ramener à quatre les étapes qui ont jalonné
l'évolution de la prise de conscience, par la communauté
internationale, des impératifs de la lutte contre l'impunité.
L'ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de
l'homme par la lutte contre l'impunité de Louis Joinet se résume
ainsi en quatre éléments : le droit de savoir de la victime ; le
droit de la victime à la justice ; le droit à la
réparation de la victime et une série de mesures destinées
à garantir le non- renouvellement des violations. Pour ce qui est du
droit de savoir de la victime, il ne s'agit pas seulement du droit individuel
qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui s'est passé en tant
que droit à la vérité. Le droit de savoir est aussi un
droit collectif qui trouve son origine dans l'histoire pour éviter
qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent. Il a pour contrepartie,
à la charge de l'Etat, le "devoir de mémoire" afin de se
prémunir contre ces détournements de l'histoire qui ont pour nom
révisionnisme et négationnisme; en effet, la connaissance, par un
peuple, de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et
comme telle doit être préservée. Telles sont les
finalités principales du droit de savoir en tant que droit collectif.
Deux séries de mesures sont proposées à cet effet. La
première concerne la mise en place, en principe à bref
délai, de commissions non judiciaires d'enquête car - sauf
à rendre une justice sommaire, et ce fut trop souvent le cas dans
l'histoire - les tribunaux ne peuvent sanctionner rapidement les bourreaux et
leurs commanditaires. La deuxième série de mesures vise à
préserver les archives liées aux
29 Idem.
30 Louis Joinet, Question de l'impunité des auteurs
des violations des droits de l'homme (civils et politiques), Rapport final
révisé établi par Louis Joinet, en application de la
décision 1996/119 de la Sous Commission, Nations Unies,
E/CN.4/Sub.2/1997/20 et E/CN.4/Sub.2/1997.20/Rev.1.
31 Il s'agit de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des
droits de l'homme de l'ONU.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
violations des droits de l'homme. Le droit de la victime
à la justice pour sa part implique que toute victime ait la
possibilité de faire valoir ses droits en bénéficiant d'un
recours équitable et efficace, notamment pour obtenir que soit
jugé son oppresseur et obtenir réparation. Ainsi que le souligne
le préambule de « l'ensemble de principes », il n'est pas de
réconciliation juste et durable sans que soit apportée une
réponse effective au besoin de justice; le pardon, acte privé,
suppose en tant que facteur de réconciliation que soit connu de la
victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en
mesure de manifester son repentir : en effet, pour que le pardon puisse
être accordé, il faut qu'il ait été demandé.
S'agissant du droit à réparation pour la victime, il comporte
tant des mesures individuelles que des mesures de portée
générale et collective notamment, des mesures de restitution
(tendant à ce que la victime se retrouve dans la situation qui
prévalait auparavant); des mesures d'indemnisation (préjudice
physique et moral, ainsi que perte d'une chance, dommages matériels,
atteintes à la réputation et frais d'assistance juridique); et
des mesures de réadaptation (suivis médicaux y compris
psychologiques et psychiatriques). Au plan collectif, des mesures de
portée symbolique, à titre de réparation morale, telles
que la reconnaissance publique et solennelle par l'Etat de sa
responsabilité, les déclarations officielles rétablissant
les victimes dans leur dignité, les cérémonies
commémoratives, les dénominations de voies publiques, les
érections de monuments, permettent de mieux assumer le devoir de
mémoire. Louis Joinet est ainsi l'un des piliers de la justice
transitionnelle dans l'univers francophone. Son rapport s'inscrit donc dans la
mise en oeuvre du Programme d'action de Vienne et recommande, dans ce but,
l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un
ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme
par la lutte contre l'impunité.
Le rapport de Human Rights Watch intitulé Justice
compromise : l'héritage des tribunaux communautaires gacaca du
Rwanda32 nous a été d'une utilité en ce
sens que sous un angle, ce rapport aborde la question de la justice
transitionnelle au Rwanda. Le rapport est basé sur l'observation par
Human Rights Watch de plus de 2000 jours de procès devant les
Juridictions Gacaca, sur l'examen de plus de 350 affaires, et sur des
entretiens avec des centaines de participants de toutes les parties prenantes
du processus Gacaca, notamment des accusés, des rescapés
du génocide, des témoins, d'autres membres de la
communauté, des juges, ainsi que des autorités locales et
nationales. Le rapport souligne que de 2005 jusqu'en 2009, un peu plus de 12
000 tribunaux Gacaca communautaires ont jugé environ 1,2
million
32 Human Rights Watch, Justice compromise :
l'héritage des tribunaux communautaires gacaca au Rwanda, New York,
ISBN 1-56432-758-2, mai 2011.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
d'affaires liées au génocide de 1994. Les
violences ont fait plus d'un demi-million de morts, appartenant principalement
à la population minoritaire tutsi du pays. Les Juridictions
Gacaca ont été créées en 2001 pour
répondre à la surcharge d'affaires dans le système
judiciaire classique et à une crise carcérale. Le gouvernement
rwandais a été confronté à des défis
énormes dans la création d'un système qui pourrait traiter
rapidement des dizaines de milliers d'affaires d'une manière qui serait
largement acceptée par la population. En effet, le rapport évalue
les réussites des tribunaux et souligne un certain nombre de graves
lacunes dans leur travail, notamment la corruption et des
irrégularités de procédure. Il s'agit surtout des erreurs
judiciaires dues à l'utilisation de juges n'ayant en grande partie pas
bénéficié de la formation nécessaire ; de fausses
accusations, dont certaines basées sur la volonté du gouvernement
rwandais de faire taire les critiques ; du détournement du
système Gacaca pour régler des comptes personnels ;
d'intimidation de témoins à décharge par des juges ou par
des autorités ; et de corruption par des juges et des parties aux
affaires. Le rapport examine la décision du gouvernement de
transférer les affaires de viols liées au génocide devant
les tribunaux Gacaca et d'exclure de leur compétence les crimes
commis par des militaires du Front patriotique rwandais (FPR). Dans le rapport,
Human Rights Watch souligne que des militaires du FPR qui ont mis fin au
génocide en juillet 1994 et ont formé ensuite le gouvernement
actuel, ont tué des dizaines de milliers de personnes entre avril et
décembre 1994. En 2004, la loi Gacaca a été
modifiée afin d'exclure de tels crimes, et le gouvernement a
veillé à ce que ces crimes ne soient pas abordés devant
les Gacaca. Ce rapport aborde ainsi la problématique de la
justice transitionnelle au Rwanda. Cependant, il se limite juste aux
Juridictions Gacaca.
Christian Nadeau dans « Quelle justice après la
guerre ? Eléments pour une théorie de la justice transitionnelle
»33 se penche sur les enjeux normatifs de la justice
transitionnelle, sur la justice pénale internationale, la justice
réparatrice et la délibération et la formation des
institutions. Dans ce texte, Nadeau se demande tout d'abord s'il est possible
après un conflit ou un génocide, de rendre justice et de
construire un nouvel ordre politique acceptable par ceux qui viennent de se
déchirer ou de s'entretuer. Prenant appui sur l'exemple de conflits du
Rwanda et de l'ex-Yougoslavie, Nadeau pose les fondements d'une théorie
de la justice transitionnelle : la réparation et la
délibération démocratique lui paraissent essentielles
à la réussite des processus de démocratisation. Pour
Nadeau, la justice transitionnelle est
33 Christian Nadeau, « Quelle justice
après la guerre ? Eléments pour une théorie de la justice
transitionnelle », in La vie des idées, édition
électronique, bibliothèque numérique les classiques des
sciences sociales, 23 mars 2009, voir : http://classiques.uqac.ca/
(consulté le 25 septembre 2011).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
généralement entendue comme la réponse
légitime aux violations systématiques des droits humains. Sans
représenter en elle-même une forme particulière des droits
et libertés de base, elle correspond aux efforts de justice- sur le plan
pénal ou sur le plan de la redistribution équitable des
ressources- et de démocratisation à la suite de crises politiques
majeures. La thèse de Nadeau repose sur trois principaux arguments. En
premier lieu, les crimes commis au cours des guerres relèvent à
la fois de la responsabilité du groupe, en tant que groupe, et des
individus. Il s'agit de comprendre l'interrelation des individus au sein d'un
groupe donné, ou de groupes entre eux. En second lieu, la notion
complexe de responsabilité apparaît plus clairement si l'on se
réfère aux théories de la justice réparatrice.
Enfin, la délibération démocratique est l'articulation
essentielle entre les processus de démocratisation et de justice. Un
dialogue critique entre les parties touchées par le conflit est la
pierre de touche de la justice transitionnelle. Si ce dialogue est bien
encadré, il assure une coordination adéquate entre les objectifs
politiques et les obligations juridiques de la justice transitionnelle. Par
conséquent, il faudra faire appel à la délibération
au moment de la justice réparatrice et au moment des processus de
démocratisation à proprement parler. Il faut toutefois prendre
garde au fait qu'il n'y a pas antériorité chronologique, ni
primauté, de la réparation sur la démocratisation :
chacune se prolonge dans l'autre. En somme, le but de l'article de Nadeau est
de présenter un ensemble cohérent d'arguments moraux propres
à s'inscrire dans une théorie de la justice transitionnelle en
tant qu'elle s'applique aux contextes d'après-guerre.
L'article « La Chambre d'Appel du TPIR acquitte un
planificateur de premier rang du génocide Tutsi »34 de
Bideri Diogène a quant à lui un rapport avec la justice du TPIR.
Bideri, remet en cause la justice de l'après génocide telle que
faite par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Il
soulève le problème sérieux du dysfonctionnement de la
justice d'Arusha. En effet, l'auteur repasse en revue les arguments de la
Chambre d'Appel du TPIR et notamment dans le procès de Protais
Zigiranyirazo. La Chambre d'Appel, en cassant le jugement de la Chambre de
Première Instance commet, selon Bideri, une erreur judiciaire
d'appréciation en donnant plus d'importance à l'alibi de
Zigiranyirazo et en négligeant les témoignages de l'accusation.
Il est donc d'avis que la Chambre d'Appel a commis des erreurs
d'appréciation de droit et de fait en ce qui concerne ce
génocidaire, par conséquent, on voit la lutte contre
l'impunité s'éloigner. Il affirme que la décision de la
Chambre est arbitraire et
34 Diogène Bideri, « La Chambre d'Appel
du TPIR acquitte un planificateur de premier rang du génocide des Tutsi
», in Dialogue : 16ème Commémoration du
génocide contre les Tutsi, mars 2010, N°190, Kigali, Minespoc,
PP. 86-93.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
qu'elle a pris fait et cause pour Zigiranyirazo qu'elle a
épargné. L'auteur est d'avis que la décision de la Chambre
a été prise à la légère et que la Chambre
avait dans ce cas bien précis un comportement inhabituel. Et pour toutes
ces raisons, l'auteur pense que « l'arrêt de la Chambre d'Appel
constitue un déni de justice ce d'autant plus qu'il s'agit d'une
juridiction de dernier recours »35. Il est même
catégorique : « la Chambre d'Appel joue le jeu des
génocidaires »36.
Nous avons également fait recours aux travaux de
recherche d'Arnaud Meffre menés dans le cadre d'une note de recherche au
Centre d'études sur le droit international et la mondialisation. En
effet, dans son article intitulé « La Justice Transitionnelle
à l'épreuve de la Sierra Leone : analyse critique
»37, Meffre s'évertue à tester le concept de
justice transitionnelle à la lumière de l'un de ces
systèmes de justice post-conflit. Il y fait un bilan sur la pratique de
la justice transitionnelle en Sierra Leone et se contente de voir si les deux
institutions de la justice transitionnelle mis en place dans ce pays ont
connues une coordination ou une coopération.
La présente étude trouve son originalité
dans le fait que nous essayons de déterminer si toutes les institutions
de la justice transitionnelle mises en place dans le processus de justice
transitionnelle au Rwanda ont contribué à consolider et à
assurer une paix durable au pays des mille collines où il y a eu par le
passé, la perpétration des crimes odieux, les violations à
grande échelle ou systématique des droits de l'homme.
Après la revue de littérature, il est utile de
présenter nos questions de recherche ainsi que les hypothèses.
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