I. Importance et intérêt du sujet
Une principale raison motive et sous-tend le choix du
présent sujet
La justice transitionnelle est apparue ces vingt
dernières années comme une discipline en plein essor des champs
plus vastes des droits de l'homme et de résolution de
conflits6. Elle est axée sur la manière dont les
sociétés en transition de la guerre à la paix ou d'un
régime autoritaire à la démocratie abordent le legs des
exactions passées. Dans son rapport relatif au «
rétablissement de l'Etat de droit et administration de la justice
pendant la période de transition dans les sociétés en
proie à un conflit ou sortant d'un conflit », l'ancien
Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan,
présente la justice transitionnelle comme un moyen de consolidation de
la paix. Il affirme :
il ressort clairement de notre expérience de ces
dernières années qu'il n'est pas possible de consolider la paix
dans la période qui suit immédiatement la fin du conflit et de la
préserver durablement, que si la population est assurée d'obtenir
réparation à travers un système légitime de
règlement des différends et l'administration équitable de
la justice 7.
De cette déclaration, il apparaît clairement que
pour sortir durablement de la violence, et mettre en place une paix durable, il
est judicieux de recourir à des mesures de réparation
réellement adaptées : celle de justice transitionnelle qui prend
en compte les commissions de vérité et réconciliation, les
programmes de réparations, les poursuites pénales8 et
de nos jours, les besoins sexospécifiques9. La justice
transitionnelle lutte en effet contre l'impunité pour des crimes
effectués durant la période de conflit ; c'est ainsi que Ban
Ki-Moon, Secrétaire
6 Depuis la fin de la guerre froide, la justice
transitionnelle est devenue le nouveau mantra des relations internationales. En
effet, en l'espace de deux décennies, la justice pénale
internationale a connu un développement sans précédent,
les commissions vérité se sont multipliées aux quatre
coins du monde, les paroles de repentir et l'octroi de réparations aux
victimes de violations des droits humains se sont multipliés.
7 Rapport du Secrétaire
Général des Nations Unies devant le Conseil de
sécurité, « Rétablissement de l'Etat de droit et
administration de la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit
», Doc. S/2004/616, 23 août 2004, p. 7, paragraphe 8.
8 Les poursuites pénales des crimes les plus
graves sont des outils essentiels dans l'établissement d'un Etat de
droit et d'une paix durable dans les sociétés sortant d'un
conflit.
9 Il est en fait impératif de bien
comprendre comment la guerre, le conflit ou la dictature affectent de
manière différenciée les femmes, les hommes, les enfants
et les personnes âgées. Sans mesures spécifiques pour les
uns et les autres, on pourra difficilement mener à bien la
réhabilitation des victimes. Il faudrait tenir compte des nouveaux
rôles et fonctions assumées par les uns et les autres pendant de
longues années de conflit, notamment en matière de division des
rôles entre femmes et hommes peut s'avérer être une nouvelle
épreuve douloureuse.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
général des Nations Unies réaffirme avec
vigueur « le refus collectif de l'impunité pour les auteurs de
crimes contre l'humanité »10. A cet outil de nature
répressive fondée sur les poursuites des auteurs d'exactions
massives, s'ajoute la justice restauratrice qui vise davantage la
réconciliation nationale.
La justice transitionnelle relève donc d'une importance
particulière en ce sens qu'elle punit les criminels mais aussi
établit une paix durable en faisant la lumière sur ce qui s'est
passé et en permettant une réconciliation pour les
sociétés divisées et meurtries par des abus et violations
massives de droits humains lors d'un conflit. Selon les Normes de formation
aux opérations ONU de maintien de la paix préalable au
déploiement, modules pour la formation obligatoire préalable au
déploiement, la violation des droits de l'homme est un terme qui
indique que « les droits de l'homme ont été
violés par l'action (ou l'omission) d'un responsable ou agent de l'Etat,
par exemple un agent de police, un soldat, un juge, un administrateur local ou
un parlementaire dans l'exercice réel ou présumé de ses
fonctions »11. L'abus des droits de l'homme pour sa part
est un terme général qui englobe « les abus des droits
de l'homme commis par des acteurs non affiliés à l'Etat tels que
les groupes rebelles, les personnes morales etc. »12.
Sujet d'actualité, la justice transitionnelle devient
un moyen de consolidation de la paix qui attire notre attention d'où
l'importance de cette étude qui s'attèle à montrer comment
la démarche judiciaire se mobilise dans le processus de justice
transitionnelle. Il s'agit de voir à travers un cas de figure si les
institutions de la justice transitionnelle ont aidé et servi à la
consolidation de la paix et à la réconciliation en situation post
génocide.
L'importance scientifique et
académique de ce sujet est d'enrichir des travaux
académiques portant sur la justice transitionnelle et notamment sur le
Rwanda. En effet, il sied de souligner que la justice transitionnelle est une
discipline relativement récente ; ce n'est qu'à partir des
années 2000 qu'elle est désormais enseignée dans certaines
universités de par le monde. C'est aussi dans cette logique que
s'inscrit notre recherche puisque la justice transitionnelle occupe maintenant
une place considérable dans le milieu universitaire; elle affirme les
nouvelles valeurs des sociétés et de la communauté
internationale13. Il est donc
10 BAN KI-Moon, « L'ère de
l'impunité des bourreaux doit se clore », Le Monde,
1er juin 2010.
11 Normes de formation aux opérations ONU
de maintien de la paix préalables au déploiement, modules pour la
formation obligatoire préalable au déploiement, DOMP et DAM
des Nations Unies, 1e éd., 2009.
12 Idem.
13 Il ressort de nos différentes lectures que
la communauté internationale a investi financièrement,
politiquement et symboliquement dans les programmes de DDR ainsi que dans les
politiques de pardon et de châtiment
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
nécessaire pour nous de faire une étude
approfondie afin que les politiques à venir en matière de justice
transitionnelle aient les meilleures chances d'atteindre les buts
immédiats tels que mettre fin à l'impunité et restaurer la
dignité des victimes, ainsi que les buts à plus long terme de
stabilisation, prévention des conflits, réconciliation et
restauration de la confiance au sein des populations. Cette étude permet
de comprendre comment les expériences de la justice transitionnelle
contribuent au renforcement des droits de l'homme et à la promotion de
la réconciliation au Rwanda. Elle permet également de voir la
manière dont l'ONU14, à travers les mécanismes
judicaires tels que les tribunaux pénaux internationaux s'y prend pour
résoudre les conflits et consolider la paix. Ce travail met en exergue
les forces et les faiblesses de la justice transitionnelle au Rwanda et
précise à travers nos recommandations quelles mesures devraient
être préconisées pour atteindre l'objectif de
reconstruction d'une paix durable.
Intérêt de l'étude :
cette étude revêt pour nous un double intérêt : d'un
côté, un intérêt personnel et de l'autre, un
intérêt théorique et pratique. Au plan personnel, ayant
perdu un grand frère qui a été exécuté et
enterré dans une fosse commune lors de la guerre civile de 1997-1998 au
Congo Brazzaville, ce dernier comme beaucoup d'autres congolais n'ont jamais
connu de justice transitionnelle qui a pour but de s'attaquer à des
évènements survenus en contexte de crise, afin de concilier les
impératifs de justice (lutte contre l'impunité) et de
réconciliation, seule garantie de paix et de protection des droits de
l'homme (droit à la vérité, réparation dues aux
victimes etc.). Suite à cet évènement tragique que nous
avions vécu, il nous apparaît clairement qu'en situation
post-conflit, la justice transitionnelle est l'unique voie pour panser les
blessures et les rancoeurs du passé, pour surmonter les traumatismes
physiques et psychiques survenus lors des événements
tragiques.
Au niveau théorique, cette étude présente
la justice transitionnelle comme l'ensemble des mécanismes mis en place
par une société donnée pour faire face à un
passé marqué par des abus et des violations graves des droits de
l'homme et /ou du droit international humanitaire. Dans la présente
analyse, ce passé est caractérisé par le génocide
et la guerre civile. De façon globale, trois types de mécanismes
de justice transitionnelle ont souvent été mis en place : des
mécanismes de justice pénale qui consistent à créer
des juridictions
14 Les Nations Unies sont les acteurs essentiels de
la justice transitionnelle. En effet, sous l'égide du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies, le Conseil de Sécurité des Nations
Unies a crée des instruments de la justice pénale internationale
à l'instar du tribunal ad hoc du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
pénales- internationales15,
hybrides16 ou nationales17 pour poursuivre
pénalement ceux qui sont soupçonnés d'avoir commis des
abus ; des institutions de justice réparatrice ou de
réconciliation comme des commissions vérité et
réconciliation18, et des programmes des réformes des
institutions19. Dans nombre de sociétés qui sont
sorties d'une période de conflits meurtriers, on a assisté au
déploiement de toute une gamme de mesures visant à faire face au
lourd héritage d'un passé de violations massives et
systématique des droits de l'homme. Il s'agit d'efforts pour engager des
poursuites judiciaires contre les auteurs des plus graves violations, de
commissions de vérité et réconciliation qui sont mises en
place pour rapprocher les communautés, d'efforts visant à
indemniser les victimes ou leurs survivants et à honorer la
mémoire des personnes tuées et des disparus. L'on est en droit de
constater que la justice transitionnelle occupe désormais une place de
plus en plus importante dans les analyses sur les mécanismes de
résolution de conflits et d'instauration d'une paix durable ; elle a
influencé la dynamique de résolution des conflits.
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