SECTION II : LE NEGATIONNISME ET LA THEORIE DU DOUBLE
GENOCIDE
Paragraphe I : La dissimulation, le détournement ou
la destruction d'informations corroborant l'existence du génocide
De prime abord, au sens de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide
à l'article 2 que l'on retrouve à l'article 6 du Statut de Rome,
le crime de génocide se définit « comme l'un quelconque
des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout
ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel
». Cette définition est suivie d'une série d'actes qui
représentent de graves violations du droit à la vie et à
l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe.
La Convention prévoit également que sont
punissables non seulement l'exécution en tant que telle, mais aussi
l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et
publique, la tentative et la complicité. C'est l'intention
spécifique de détruire un groupe mentionné en tout ou en
partie qui distingue le crime de génocide du crime contre
l'humanité. Le négationnisme du génocide commis en 1994
à l'égard des Tutsi au Rwanda désigne sa négation,
sa contestation ou sa minimisation.
A. Le négationnisme et le crime de
génocide
Le négationnisme a pour but de transformer le
génocide de 1994 à l'égard des Tutsi au Rwanda en un
massacre interethnique pour disculper le gouvernement intérimaire
rwandais de 1994 dont les membres sont poursuivis par le TPIR. Elle a aussi
pour objectif de disculper les autorités occidentales accusées de
l'avoir soutenu passivement ou activement260. Ce
négationnisme est par conséquent exprimé par le pluriel :
les génocides au Rwanda. Philip
259 Notre entretien avec Macika, une habitante de la ville de
Nyanza, le 25 février 2012.
260 En effet, pour Marie Fierens, les acteurs du
génocide sont au nombre de sept notamment : « les
génocidaires, la communauté internationale, les medias (au Rwanda
et à l'étranger), l'Eglise, les intellectuels, les sympathisants
et la diaspora rwandaise », p. 194.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Gourevitch souligne que selon les diplomates français et
les vieux routiers de l'Afrique qui adoptaient la position officielle du
gouvernement du génocide rwandais :
Loin d'être le fruit d'une décision
politique, les massacres de Tutsi traduisaient la colère du peuple
après l'assassinat d'Habyarimana ; la `population' s'était
soulevé comme un seul homme pour se défendre ; le gouvernement et
l'armée ne voulaient que rétablir l'ordre ; les tueries
étaient un prolongement de la guerre contre le FPR ; le FPR avait
déclenché le conflit et était le principal coupable- en
bref, les Rwandais ne faisaient que s'entre-tuer comme ils en avaient
l'habitude, pour des raison tribales primordiales, depuis la nuit des
temps261
La constitution de la République du Rwanda interdit
désormais les actes de négationnisme, d'idéologie de
génocide et de divisionnisme. Le négationnisme est interdit
et sanctionné par la loi N°33 Bis du 6/9/2003 réprimant
le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les
crimes de guerre. Son article 4 édicte que sera poursuivie toute
personne qui « aura publiquement manifesté, dans ses
paroles, écrits, images ou de quelque manière que ce soit,
qu'il a nié le génocide survenu, l'a minimisé
grossièrement, cherche à le justifier ou à approuver
son fondement ou celui qui en aura dissimulé ou détruit les
preuves ». Les peines prévues vont d'un «
emprisonnement de dix à vingt ans et les associations ou les
partis politiques qui seront reconnus coupables de cette infraction sont
passibles de la dissolution ». En conformité donc avec la
Constitution, le législateur rwandais a adopté des textes
qui érigent ces actes en infractions punissables. Une partie de
l'opinion rwandaise et étrangère, composée d'opposants
politiques et de quelques ONG, critique sévèrement ces textes, en
les accusant d'être des instruments répressifs qui seraient
conçus pour limiter la liberté d'opinion et d'expression des
journalistes critiques et des opposants au régime rwandais. Ainsi,
selon par exemple Human Rights Watch, « le FPR a intensifié
la répression des opposants politiques et de la société
civile indépendante, en invoquant la nécessité de
combattre le négationnisme et le divisionnisme ethnique et plus
récemment, `l'idéologie génocidaire
»'262. Pour Madame X que nous avions rencontré,
« Le Gouvernement rwandais se sert de la loi sur le divisionnisme
et le négationnisme pour manipuler les questions d'ethnicité
à des fins politiques, afin de taxer les politiciens hutus comme
tutsis ne faisant pas partie du FPR de divisionnisme
»263. Reporters Sans Frontières exige à la
justice rwandaise « de cesser de
261 Philip Gourevitch, op. cit., p. 215.
262 Human Rights Watch, « La Loi et la
réalité. Les progrès de la réforme judiciaire au
Rwanda », juillet, 2008.
263 Entretien avec Madame X, travaillant pour le TPIR, Kigali, 22
février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
s'appuyer sur des lois comme celle de l'idéologie du
génocide afin de réprimer la libre expression des
opinions264 ».
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