B. Les violences sexuelles, la collaboration des
prisonniers et la corruption
Les femmes violées éprouvent toujours des
difficultés pour expliquer ce qui leur est arrivée : le stigma,
la discrimination et le mal traitement de leurs conjoints constituent quelques
obstacles quand elles expliquent la situation qu'elles ont vécue. L'une
des victimes du viol que nous avions rencontré à Kigali
témoigne : « Il est extrêmement difficile de savoir
comment telle ou telle a été violée. Ce crime n'est
passible d'aucune amende et on ne trouve pas d'intérêt à
accuser quelqu'un qui vous a `connue'. On rigole sur vous et des fois c'est
déshonorant devant ceux qui auraient besoin de toi, tes connaissances et
tous les participants »256.
Suite à nos entretiens menés avec l'ONG
Ibuka257, la principale organisation des rescapés du
génocide, il nous a été révélé que
les suspects génocidaires détenus dans différentes prisons
collaborent étroitement entre eux dans l'effacement des traces du
génocide. L'un des moyens utilisés par ces prisonniers dans
l'effacement des traces du génocide c'est qu'ils encouragent «
les membres de leurs familles à participer activement aux
Juridictions Gacaca, avec l'objectif de donner les témoignages à
décharge et de dominés les rescapés » ; un autre
moyen se manifeste « à travers un accord à se faire
mutuellement des témoins à décharge, certains acceptent la
responsabilité des autres, ou encore jeter la faute à ceux qui
sont morts ou fui pour ainsi rester comme des innocents
»258.
La corruption est aussi un moyen utilisé dans
l'effacement du génocide. Même s'il est difficile de connaitre le
corrupteur et les conditions y relatives, suite à notre passage sur le
terrain, il ne nous est pas interdit de souligner que la corruption se
manifeste du côté des responsables du génocide et celui des
rescapés du génocide. Même si le Gouvernement du Rwanda ne
cesse de lutter contre la corruption, cette dernière compte parmi les
moyens importants dans l'effacement des traces du génocide contre les
tutsi. Selon le recueillement des informations sur le terrain, la corruption
est associée à la pauvreté. Par exemple, une femme avait
raconté comment son oncle a été tué. Par la suite,
lorsqu'on a voulu mettre l'affaire devant les Juridictions Gacaca, les
Inyangamugayo de Gacaca (les juges) avaient
256 Entretien à Kigali, 22 février 2012.
257 Ibuka, qui signifie « souviens-toi » en
kinyarwanda, a été créé fin 1994 pour traiter les
questions de « justice, mémoire, problèmes sociaux et
économiques rencontrés par les rescapés».
Ibuka est une organisation qui recouvre des associations de
rescapés du génocide au Rwanda et agit souvent comme le principal
porte-parole des rescapés du génocide dans le pays. Elle a
souvent joué un rôle fortement politisé. L'organisation a
des antennes dans plusieurs autres pays où résident des
rescapés du génocide, notamment la Belgique et la France.
258 Notre entretien avec un membre de Ibuka, Nyanza, le
25 février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
exigé de préciser l'auteur de l'information.
Elle n'avait plus voulu témoigner car, ayant été
corrompue, elle était obligée de changer d'avis et de devenir un
témoin à décharge en plaidant pour leur innocence, nous
révèle Macika259.
En fin de compte, pour un impact positif de la justice
transitionnelle, nous suggérons la dénonciation constante de ceux
qui veulent effacer les traces de génocide ; c'est le seul moyen
d'accéder à l'unité solide en tant que rwandais.
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