B. Le TPIR et l'oubli des victimes
Au Rwanda, depuis la création du Tribunal, la
frustration des victimes est massive et participe de façon cruciale au
sentiment selon lequel le TPIR ne leur appartient pas, n'est fait ni par elles
ni pour elles. De nos jours, la question n'a toujours pas connu
d'évolution notable. Le 26 septembre 2000, l'ancien greffier du TPIR
Agwu Okali lançait officiellement au Rwanda un « programme
d'assistance aux témoins et témoins potentiels ». Il
comprend plusieurs volets : l'assistance médicale psychologique ; la
sécurité physique des personnes et
248 Notre entretien mené auprès d'un ancien
prisonnier, Kigali, le 23 février 2012.
249 Voir la photo aux annexes.
250 Nous faisons recours au procès du premier
accusé transféré par le TPIR. En effet, pour la
première fois, un accusé, Jean Uwinkindi transféré
par le TPIR, a comparu jeudi 26 avril 2012 devant un tribunal au Rwanda qui
doit le juger pour génocide et crime contre l'humanité.
Après en fait une série de réformes judiciaires, le TPIR
accepte de transférer les dossiers vers le Rwanda. Deux autres dossiers
ont été également déjà renvoyés
à Kigali : ceux d'un ex-inspecteur de police judiciaire, Fulgence
Kayishema, et d'un ancien maire Charles Sikubwabo, tous les deux en fuite. Le
Rwanda a adressé des demandes de renvoi à plusieurs pays
occidentaux, parmi lesquels la France, la Grande Bretagne, les Pays-Bas, les
Etats-Unis et le Canada. Ce dernier a expulsé en janvier Léon
Mugusera, inculpé depuis pour planification du génocide,
incitation à participer au génocide et distribution d'armes. Les
Etats-Unis ont eux aussi procédé à l'extradition de deux
personnes, tandis que, fin mars, la justice française a, pour la
première fois rendu un avis favorable à l'extradition de Claude
Muhayimana, soupçonné d'avoir pris part au génocide. Le
transfert de dossiers vers les juridictions nationales fait partie de la
stratégie de fin de mandat du TPIR dont les procès de
première instance doivent prendre fin en juillet 2012. De plus,
l'arrivée (mardi 3 juillet 2012) d'une mission officielle de la justice
française concernant les poursuites contre les Rwandais vivant en France
et suspectés d'être impliqués dans le génocide de
1994, a été saluée vendredi 6 juillet par la justice
rwandaise. En clair, une quinzaine de Rwandais, installés en France en
1994, sont visés par des enquêtes de la justice française
ou inculpés par leur participation présumée au
génocide, aucun n'a encore été jugé.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
des biens ; le conseil psychologique ; la
sécurité physique des personnes et des biens ; le conseil
juridique ; l'assistance financière après procès, la
réinstallation et le relogement. Dans une note du 22 juin 1998, Agwu
Okali soulignait qu' :
Il s'agissait d'une assistance spécifiquement
orientée, par différents moyens, afin de permettre au groupe
ciblé- les victimes et les rescapés, notamment les veuves et les
orphelins- de participer de façon plus effective au travail du TPIR
d'enquêter, de poursuivre et de juger les auteurs présumés
du génocide. Ce n'est pas un programme d'aide économique et
sociale généralisée pour le peuple du Rwanda et ce n'est
pas non plus un programme d'indemnisation251.
Ce programme est présenté comme une
manifestation de la nécessité de développer une justice
réparatrice, parallèlement à la fonction de
rétribution que représentent les procès. Mais il a fait
l'objet d'une ancienne et grave controverse. Trois années ont
été nécessaires pour que ce programme voie le jour ; cette
initiative a soulevé et continue d'ailleurs de soulever de lourdes
craintes. Ces préoccupations sont diverses. Il s'agit du risque de
subordination de témoins, de l'impression donnée que le programme
ne bénéficie qu'aux témoins de la poursuite, de la
dilution de la confidentialité sur l'identité des témoins
protégés et, au-delà, d'un éclatement un peu plus
prononcé encore de la responsabilité concernant la protection des
témoins. Brièvement, le grief contre ce programme est
particulièrement sérieux puisque, en apportant une réponse
qui n'est pas judiciaire, l'administration onusienne serait sortie du mandat du
Tribunal, provoquant une dérive dangereuse de l'institution. «
Il n'y a aucun mal pour un tel organe à être associé ou
à fournir de l'aide à un tiers, comme une organisation non
gouvernementale, dans l'assistance à ses victimes, surtout lorsque ces
activités sont menées par l'intermédiaire d'un organe
neutre comme le Greffe », s'était défendu Agwu
Okali252. Le gouvernement rwandais avait approuvé clairement
cette initiative du greffe du Tribunal. Ce programme a aussi reçu le
soutien de plusieurs organisations internationales de défense des droits
des femmes.
Cependant, plusieurs critiques ont été faites :
J'ai été surpris qu'il soit ouvert aux
collectifs des femmes plutôt qu'au collectif des victimes du
génocide... Il y a risque de confusion. Il faut différencier
l'assistance et la réparation. L'assistance est un acte volontaire et
louable. La réparation, c'est autre chose : on donne un dû. Ce que
nous
251 En effet, le budget total de ce programme s'élevait
à 300 000 dollars tirés du Fonds de contribution (Trust Fund) du
TPIR et le restant d'autres donateurs.
252 Réponse du greffier aux avocats de Jean-Paul Akayesu,
le 5 octobre 2000.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
attendions du tribunal ce n'était pas une assistance.
Il devrait davantage nous aider à recouvrir nos créances en nous
associant aux jugements253.
Telle est la réaction d'Anastase Nabahire, membre de
l'association Ibuka, nous avions eu le privilège de la
rencontrer. Pour certains, ce programme ne répond en fait pas à
la question de fond des victimes. Si tout les rwandais militent pour que le
droit des victimes ne soit plus ignoré, le problème est de mieux
y répondre. Donc, le Tribunal devrait étudier concrètement
et sérieusement les choix en matière d'aide aux victimes.
|