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La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

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par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

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B. Gacaca : outil qui divise au lieu d'unir

De plus, la réconciliation entre les Hutus et les Tutsis n'est pas vraiment très perceptible. La plupart des Hutus perçoivent les Gacaca comme un instrument d'injustice et d'oppression. Pour certains rwandais, la façon de fonctionner des mécanismes judiciaires traditionnels est très critique pour leur légitimité ainsi que leur crédibilité. En effet, si les citoyens-juges exercent un large pouvoir discrétionnaire à la manière d'un procureur international en opérant une distinction nette entre le groupe des victimes et le groupe d'auteurs alors que les suspects criminels et les victimes se comptent de part et d'autre, cela risque de perpétuer le conflit et la violence tandis que les procédures ont pour but d'y mettre fin. Au Rwanda, les juridictions jugent uniquement les suspects `génocidaires'. Ceux-ci s'identifient clairement aux membres du groupe ethnique hutu tandis que les victimes

234 Responsable de quartier dont le pouvoir se limite à 10 familles.

235 Agence d'Information Grands Lacs Lamuka, Règlement de compte judiciaire au Rwanda, Droits de l'Homme au Rwanda, Kigali, AGIIL, 2007.

236 Pour Lars Waldorf «such a policy could exacerbate ethnic tensions as it could be seen as a return to the colonial-era forced labor system under which Hutu clients worked for Tutsi patrons», « Mass Justice for Mass Atrocity : Rethinking Local Justice as Transitional Justice » in Temp, 2006, 79: 1, p. 59.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

s'identifient au groupe ethnique tutsi. Cette justice sélective porte alors un coup dur à la légitimité du mécanisme puisqu'on observe un niveau élevé de stigmatisation ethnique hutu relativement aux crimes commis en 1994 qui fait songer à une sorte de « collective hutu guilt ».

Pour Pierre Célestin Bakunda dans « Les mécanismes de résolution de conflits au Rwanda : le cas de Gacaca », « le recours à Gacaca par les autorités rwandaises semble un subterfuge afin de juger une population initialement acquise à la cause du gouvernement déchu237 ». Il poursuit en soulignant que « cette dynamique doit humilier non seulement les présumés génocidaires mais contribue aussi à perpétuer une haine inter-ethnique. On passe de la phase d'emprisonnements sans dossier à charge à celle de l'aveu où l'accusé reconnaissant ses torts à la promesse de bénéficier d'une réduction de la peine238 ».

Pour emprunter à Pierre Célestin Bakunda, la population n'était pas préparée à l'introduction de la Juridiction Gacaca comme solution ultime pour juger les hommes et les femmes incarcérés sans trace de charge. Voici comment cela a été vécu par un citoyen rwandais souligne Bakunda :

Depuis mai 2002 nous avons entendu les autorités rwandaises sensibiliser la population au sujet des tribunaux Gacaca. A cette époque, puisqu'on parlait de l'éligibilité des anciens réfugiés de 1959 rapatriés comme juges Gacaca, il était très difficile pour le citoyen de s'imaginer quel serait le jugement ou le témoignage de la part d'une personne qui n'était pas au Rwanda en 1994. Le moment est venu, et les élections des juges Gacaca ont eu lieu. La première phase de ses élections consistait à choisir au moins une trentaine de personnes intègres élues par la population : ces 30 personnes intègres ou plus devaient élire parmi elles celles qui travailleront au niveau communal (district), au niveau du secteur et au niveau de la cellule. Pour l'élection de ces personnes intègres, l'on croyait qu'il s'agissait d'élire vraiment des personnes intègres ; ce qui veut dire : une personne qui défend la vérité, qui refuse toute malhonnêteté239.

A la lumière de l'analyse de Pierre Célestin Bakunda, ce qui est ressorti de ces élections c'est que ce ne sont pas vraiment les personnes intègres qui y ont été élues comme cela avait été prévu. Ces élections ont été à plusieurs endroits supervisées par les conseillers et

237 Pierre Célestin Bakunda, op. cit., p.7.

238 Idem.

239 Ibid.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

les responsables des cellules. Bakunda souligne que continuant son témoignage, le citoyen déclare qu':

Il était prévu que c'étaient les citoyens qui fourniraient les candidats, mais nous avons vu le conseiller de secteur donner des injonctions à quelqu'un en disant : `toi tu peux passer devant, n'estu pas intègre' ? Selon leur arrangement, le conseiller s'adressait à la population en soulignant : `Telle personne est intègre et nous devons l'élire'. Il est compréhensible que personne ne pouvait risquer de contredire le conseiller. (...) Pour chaque candidat, la population était invitée à apprécier et à émettre des critiques afin que le candidat puisse être qualifié d'intègre ou non. Ici le constat est que ni l'appréciation ni les critiques n'ont été tenues en considération, parce que seul le candidat favori des autorités locales était applaudi malgré les critiques de la population qui étaient ignorées.

Par ailleurs, le gouvernement n'a pas fourni aux juges Gacaca une formation et des conseils juridiques suffisants, en dépit de la complexité des concepts pénaux auxquels ils allaient être confrontés. Il ne les a pas non plus payés pour leur travail. Avec des juges élus par leurs communautés locales, il était éminemment prévisible qu'il serait difficile, voire impossible, pour nombre d'entre eux d'empêcher leur propre point de vue sur le génocide, leurs relations avec les membres de la communauté et leurs propres intérêts économiques d'interférer avec leur prise de décisions. Un cadre juridique plus solide et plus robuste était nécessaire pour assurer l'impartialité des juges et pour insister sur des jugements motivés et basés sur des faits.

Selon les propos recueillis auprès d'un chauffeur de taxi au Rwanda, « Gacaca est un outil qui divise au lieu d'unir les Rwandais »240. De plus, au Rwanda, les tribunaux ont garanti l'anonymat des témoins victimes. Malheureusement, certaines d'entre elles, ont vu leur identité dévoilée et ont subies des menaces de mort sur eux-mêmes et leur famille, les contraignant parfois à la fuite. Cette mise en danger affecte la dimension thérapeutique, car elle participe à déstabiliser le témoin et le replonge dans sa souffrance passée.

Dans cette optique, il nous est difficile de conclure que les Juridictions Gacaca ont bien atteint leurs objectifs ; qu'elles ont été une vraie réussite en ce sens que la manière de faire des juridictions présente un risque pour la paix, la réconciliation et la stabilité de la

240 Entretien avec un chauffeur de taxi, Kigali, 25 février 2012.

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société241. Le système Gacaca peut avoir placé les Rwandais sur la voie de la réconciliation, au moins superficiellement, en leur permettant de vivre ensemble dans une paix relative et de se saluer les uns les autres ou d'échanger quelques mots, mais on constate que 18 ans après le génocide il existe encore de la méfiance au sein des communautés entre les deux principaux groupes ethniques. Toutefois, les Gacaca ont joué un rôle prépondérant qu'il faut reconnaitre dans la société rwandaise. A juste titre, à l'occasion de la cérémonie de clôture des juridictions Gacaca, le 18 juin 2012, le Président Kagamé a reconnu la valeur, sur le long terme, du processus, le rétablissement de l'unité et de la confiance parmi les rwandais et la capacité du Rwanda à trouver ses propres réponses à des questions apparemment insolubles. En comparaison avec le TPIR, il a rappelé que le TPIR n'a jugé que 60 procès dont le coût a été exorbitant alors que les Gacaca ont au total jugé près de deux millions de personnes pour un taux de condamnation de 85%242.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway