Paragraphe II : Le TPIR et la connaissance de l'histoire du
génocide
A. L'existence de planification sans planificateur du
génocide contre les Tutsi
A l'aune de la fermeture du TPIR, on remarque encore le timide
établissement de l'existence d'un plan visant à l'extermination
des Tutsi. Dans divers procès, les Chambres du TPIR reconnaissent certes
que certains faits peuvent être interprétés comme
établissant l'existence d'un plan visant à commettre le
génocide notamment en tenant compte de la rapidité avec laquelle
les meurtres ciblés ont été perpétrés
immédiatement après que l'avion du Président eut
été abattu.
Dans le premier procès historique du TPIR contre
Akayesu, la Chambre conclut que le génocide commis contre les Tutsi au
Rwanda en 1994 parait avoir été méticuleusement
organisé. Un certain nombre d'indices plaident en effet en faveur de
cette préparation du génocide. Il y a d'abord l'existence de
listes de Tutsi à éliminer, étayée par de nombreux
témoignages. Selon la Chambre, le génocide aurait
été organisé et planifié non seulement par
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
des membres des FAR, mais aussi par des forces politiques
regroupés autour du « Hutu power », aurait été
ensuite exécuté pour l'essentiel par des civils, dont notamment
des citoyens ordinaires, les voisins tuant leurs voisins mais aussi par des
miliciens armés. S'y ajoute, surtout, que les victimes tutsies furent en
grande majorité des non combattants, dont des milliers de femmes et
d'enfants.
Ernest Mutwarasibo, dans son article intitulé «
L'héritage du TPIR dans la connaissance de l'histoire du génocide
perpétré contre les Tutsi »194, remarque que
malgré les vicissitudes du système judiciaire international qui
émaillèrent sa création, le TPIR constitue un outil de
premier plan dans la reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi. Mais, l'auteur y relève aussi
des contradictions. Selon lui, après le procès historique
d'Akayesu qui montre clairement la planification du génocide rwandais,
cette affirmation, loin d'être renforcée par d'innombrables
preuves apportées par le Procureur, l'idée de la planification
allait en s'étiolant. Il relève par exemple que dans les affaires
Kayishema, Ruzindana, Bagosora et autres, le TPIR part de la gravité des
faits allégués pour conclure timidement en une possible
planification du génocide contre les Tutsi. La conséquence de
cette impasse est qu'aucun accusé n'a jusqu'à présent
été reconnu vraiment coupable de cet acte, malgré la
constitution des preuves variées.
Mutwarasibo note :
Aussi étrange que cela puisse paraître,
même le Colonel Bagosora, qui est considéré par plusieurs
personnes comme `le cerveau' du génocide perpétré contre
les Tutsi- qui était surtout accusé d'avoir participé
à la planification, à la préparation et à
l'exécution d'un plan permettant de perpétrer ledit
génocide- n'a pas été qualifié coupable de ce
crime. Dans son arrêt contre Bagosora et ses co-accusés, la
Chambre déclare que le Procureur n'a pas pu établir des preuves
irréfutables de l'entente entre eux, condition indispensable à la
planification, en vue de commettre le génocide195.
Il poursuit :
La Chambre a conclu que certains des accusés ont
joué un rôle dans la création de milices civiles ainsi que
dans la distribution d'armes à leurs éléments et dans les
actions de formation militaire organisées à leur intention, tout
aussi bien que dans la tenue de listes de personnes soupçonnées
d'être de complices du FPR, ou d'autres opposées au régime
en place (...). Par contre, la Chambre n'est pas convaincu que le
Procureur
194 Ernest Mutwarasibo, « L'héritage du TPIR dans
la connaissance de l'histoire du génocide perpétré contre
les Tutsi », in Dialogue : 16ème
Commémoration du Génocide contre les Tutsi, mars 2010,
N°190, Kigali, Minespoc, PP. 65-85.
195 Ernest Mutwarasibo, Op. cit., PP. 77- 78.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
a établi au-delà du doute raisonnable que la
seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des éléments de
preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux,
ou avec d'autres, pour commettre le génocide avant qu'il ne
s'étende à partir du 7 avril 1994196.
Pour Mutwarasibo, il est ainsi scientifiquement regrettable
que malgré les preuves fournies, aucune Chambre du TPIR ne soit
arrivée à établir pour irréfutable le fait que le
génocide perpétré au Rwanda ait fait objet d'une
planification à l'avance. Comment peut-on en effet commettre un
génocide sans l'avoir planifié ? Telle est peut être la
question lancinante qui découle du TPIR de n'être en mesure
d'établir des preuves inébranlables pour la planification et les
planificateurs du génocide. D'après Mutwarasibo,
Il est inconcevable, comme l'affirme ironiquement la
Chambre qui statua sur l'Affaire Bagosora et ses coaccusés, que des
actes d'assassinats ciblés se soient systématiquement
été méthodiquement produits dans divers endroits du pays,
dans les mêmes circonstances et souvent par des mêmes personnes,
sans que ces actes ne soient inscrits dans une planification préalable
de destruction197.
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