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La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

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par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

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SECTION II : LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA ET
LA VERITE JUDICIAIRE

L'urgence de la création du TPIR résultait au premier chef du souci de combattre l'impunité au Rwanda et à ce titre, d'utiliser l'instrument judiciaire au service de la réconciliation afin de contribuer au rétablissement et au maintien de la paix ainsi qu'à la réconciliation. De ce fait, le gouvernement rwandais collabore avec le TPIR dans la période initiale pour prouver la réalité du génocide face aux thèses négationnistes et à ceux qui doutaient. Une fois cet objectif rempli et lorsqu'il voit que certaines personnalités du régime sont menacées d'inculpation pour les crimes qu'elles auraient commis, il mène une politique d'obstruction active envers le TPIR. Cette politique réussit : plus de dix ans après la création du TPIR, celui-ci n'a pas émis un seul acte d'accusation pour les crimes commis en représailles au génocide. Autrement dit, les criminels de guerre et autres criminels contre l'humanité d'origine ethnique tutsie restent impunis ; le TPIR n'a presque jamais poursuivi un Tutsi malgré l'existence d'éléments des preuves qui auraient fondé ce genre de poursuites188. Or, pour effectivement lutter contre l'impunité au Rwanda, le Tribunal avait jugé nécessaire d'ouvrir des poursuites contre le Front patriotique rwandais, pour les crimes de guerre ou contre l'humanité commis lors de son avancée vers Kigali en 1994 ; seulement, sous pression du gouvernement rwandais, la diplomatie a ralentit l'action du TPIR pour des crimes du FPR. Cette situation crée des ressentiments envers les victimes non reconnues ; elle présente potentiellement un risque pour la paix, la réconciliation et la stabilité de la société.

188 Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda soumis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994, Doc. NU E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996 : Tumba-De-Mukose, « Génocide rwandais : pourquoi Carla Del Ponte été jetée du TPIR par l'ONU ? », Afrique Education, Bimensuel International Indépendant, n°195-196 du 1er au 30 janvier 2006 ; voir en ligne : Bimensuel International Indépendant http://www.afriqueeducation.com/archive/sommaire/article.php?=298&version=195-196 .

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

Paragraphe I : Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et les crimes du FPR

A. L'obligation d'établir la vérité sur les crimes du FPR

Le 13 décembre 2000 la procureur du TPIR, Carla del Ponte, avait annoncé publiquement, au cours d'une conférence de presse, son intention d'inculper des gens proches du régime ; des dossiers d'enquête avaient été constitués contre des membres du FPR189. Quelques jours avant la déclaration publique du procureur général, les autorités rwandaises définissaient ainsi leur position : « Quelle est la mission du TPIR ? Si cela tombe dans sa mission, il doit poursuivre. Si Carla del Ponte le demande, nous collaborerons »190, soulignait le ministre de la Justice. Le procureur général du Rwanda, dont les services avaient déjà été mis au courant des poursuites à venir, affirmait : « Le FPR a commis des violations des droits de l'homme. Des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, mais pas de génocide. La cour internationale devrait traiter des gens se trouvant à l'extérieur. On ne peut pas poursuivre tout le monde »191.

Nous notons que certes, il y a la difficulté d'évoquer en même temps et le génocide et les crimes de guerre ; car on serait tenté de dire qu'il n'y a pas eu de génocide, ou qu'il y a eu un double génocide. Notre position est qu'il faut tout de même oser parler des actes qu'il y a eu en représailles du génocide, tout en précisant qu'il n'y a bien eu qu'un génocide. Ces actes de représailles doivent être jugés, ceux qui les ont subis doivent pouvoir parler et ils sont certes à différencier de tous les génocidaires. C'est ainsi qu'on avancera dans le processus de justice et de réconciliation. Le procureur général du Rwanda à l'époque semble ignorer que le TPIR a également compétence à juger des crimes de guerre et crimes contre l'humanité en plus du génocide. L'enquête sur les crimes du FPR s'est annoncée particulièrement difficile de même que sur l'attentat contre l'avion présidentiel d'Habyarimana. Par la suite, le gouvernement de Kigali avait cherché la démission de la procureur, et avait fini par l'obtenir même si les formes diplomatiques du départ de Carla del Ponte étaient respectées. De fait, les relations entre le TPIR et le gouvernement rwandais ont été difficiles, essentiellement en raison du fait que le Tribunal pouvait également enquêter sur les crimes de guerre commis par les soldats du FPR et leurs chefs. On peut souligner en fin de compte que le gouvernement rwandais a un intérêt inévitablement ambigu dans le Tribunal et tout particulièrement dans le

189 Dès octobre 2000, le procureur général avait déjà discrètement déposé ses demandes d'enquêtes auprès de la justice rwandaise.

190 Entretien mené par International Crisis Group avec Jean de Dieu Mucyo à Kigali le 2 décembre 2000, ICG, op. cit., p. 10.

191 Entretien entre International Crisis Group et Gérald Gahima le 5 décembre 2000, ICG, op. cit., p. 10.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

parquet. Car, en même temps que le TPIR lui sert politiquement en réduisant les anciens dirigeants hutu rwandais à des criminels poursuivis pour génocide, il représente une menace, du fait des mises en accusation qu'il peut et devra émettre contre des militaires du Front patriotique rwandais, désormais au pouvoir. L'actuel régime rwandais porte d'ailleurs l'incontestable légitimité d'avoir arrêté la poursuite des massacres à grande échelle au Rwanda et d'avoir secouru les quelques dizaines de milliers de Tutsi menacés de mort en avril 1994. Plus de deux ans plus tard192, la même armée a mené au Kivu des offensives contre les camps de réfugiés parmi lesquels se trouvaient des milliers de hutus rwandais exécuteurs du génocide et qui menaçaient d'envahir le Rwanda et de le reconquérir193. Les succès de cette offensive ont permis le rapatriement de centaines de milliers d'hutu civils et militaires, entraînant aussi l'arrestation de nombreux suspects de génocide. Une enquête sérieuse sur les responsabilités de hauts officiers du FPR dans les massacres de populations qui ont accompagné sa campagne militaire en 1994 pourrait entacher l'image du régime de manière significative. De même, la portée des crimes présumés du FPR a été atténuée avant même qu'ils soient précisément identifiés. Les massacres des populations civiles perpétrés en 1994 par le FPR sont présentés par les autorités de Kigali comme relevant de bavures militaires mais en aucun cas comme ayant été commis de façon délibérée et systématique. Il est donc peu probable qu'un gouvernement en exercice acceptera de lever l'impunité de ses officiers supérieurs. Il est clair que le gouvernement du Rwanda cherchera par tous les moyens à diminuer l'impact d'une telle annonce sur sa propre base politique, le FPR, mais surtout l'armée. La capacité d'obstruction de la justice internationale par le gouvernement du Rwanda a fonctionné d'autant mieux que les graves dysfonctionnements qui ont entaché les premières années du TPIR avaient affecté sa crédibilité. Dans cette optique, la vérité produite ne peut satisfaire l'objectif de réconciliation nationale en ce sens que seule une partie des crimes internationaux a fait l'objet de poursuites judiciaires.

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