Paragraphe II : Le Tribunal Pénal International pour
le Rwanda et les poursuites pénales
Notre passage de juillet à septembre 2002 au TPIR en
tant que stagiaire au sein de la bibliothèque du TPIR, nos
différentes lectures et entretiens nous ont permis de mieux
appréhender quelques résultats symboliques du Tribunal à
l'instar des procès qui ont véhiculé un message contre
l'impunité. Par ses poursuites, le TPIR a jeté le
discrédit sur les dirigeants hutu au pouvoir pendant le génocide
de 1994.
A. Le TPIR et la neutralisation politique du `Hutu
Power'
De manière générale, après la mise
en place et le fonctionnement du TPIR, les dirigeants hutu au pouvoir au Rwanda
pendant le génocide se sont retrouvés soit traînés
en justice, soit identifiés et traqués comme des criminels en
fuite, soit réduits au silence. Ainsi, le TPIR a contribué de
manière déterminante à la neutralisation sur
l'échiquier politique de l'extrémisme hutu et de
l'idéologie radicale dite `hutu power' qu'il véhiculait. Certes,
il n'a pas anéanti la survivance de cette idéologie ce d'autant
plus, qu'elle s'est propagée et diffusée en République
démocratique du Congo et au Burundi. En clair, le TPIR a beaucoup
contribué à renforcer l'autorité du pouvoir de Kigali en
traquant les têtes du régime déchu. Son action avait
provisoirement contribué à éliminer de l'échiquier
politique une bonne partie des anciens leaders de l'extrémisme hutu.
179 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
B. Des procès pour l'exemple : un message contre
l'impunité
Les procès devant le TPIR ont commencé le 9
janvier 1997. De 1997 à 2000, environ huit individus ont
été jugés par les chambres de première instance.
Cinq d'entre eux : Jean-Paul Akayezu180 (L'affaire Akayezu,
premier jugement sur le génocide), Clément Kayishema et Obed
Ruzindana181 (L'affaire Kayishema/Ruzindana : le génocide
de Kibuye), Georges Rutaganda182 (L'affaire Rutaganda, au
nom des Interahamwe) et Alfred Musema183 (L'affaire Musema,
preuve orale contre preuve écrite), l'ont été
à l'issue d'un procès à fond. Les trois autres : Jean
Kambanda, Omar Serushago et Georges Ruggui184, avaient plaidé
coupable.
En plus de ces quatre jugements à fond, il y a eu trois
aveux de culpabilité. Parlant de Kambanda, dans L'affaire Kambanda,
aveu et désaveu, Jean Kambanda, ancien Premier ministre du
gouvernement intérimaire entre avril et juillet 1994, est le plus haut
responsable jugé à ce jour devant le TPIR. Il est aussi le
premier repenti de l'histoire de la justice internationale puisque l'ancien
Premier ministre a plaidé coupable de génocide. Coopérant
avec le procureur, l'accusé avait alors décidé de
témoigner à charge dans d'autres procès. Reconnu coupable,
le 1er mai 1998, sur la base de ses aveux, il est condamné
quatre mois plus tard à la peine maximale de la prison à vie. Les
aveux de Jean Kambanda sont présentés par le TPIR comme son plus
grand succès. Cependant, selon un rapport de International Crisis Group,
« Bien que Kambanda soit le plus haut responsable jugé par le
TPIR, il n'est pas un planificateur du génocide, et son procès ne
peut pas avoir la valeur d'exemple qu'on a voulu
180 Reconnu coupable de génocide et de crimes contre
l'humanité pour extermination, assassinats et viols, Jean-Paul Akayezu a
été condamné à l'emprisonnement à vie.
181 Clément Kayishema, ancien préfet de Kibuye a
été jugé, entre avril 1997 et novembre 1998, aux
côtés d'Obed Ruzindana, commerçant de la même
région. En mai 1999, les deux hommes étaient tous deux reconnus
coupables de génocide et respectivement condamnés à la
prison à vie et à 25 d'emprisonnement. La région de Kibuye
fut celle où se commirent parmi les plus grands massacres de Tutsi,
notamment dans la ville de Kibuye (commune de Gitesi) et la région
montagneuse de Bisesero où plusieurs dizaines de milliers de personnes
s'étaient réfugiées et furent exterminées. Plus de
cinquante témoins de l'accusation sont venus déposer à la
barre. Obed Ruzindana était le seul accusé à ne pas avoir
témoigné pour lui-même. Le 1er juin, la chambre
d'appel avait confirmé intégralement et définitivement le
jugement et les peines rendus par la chambre de première instance.
182 Rutaganda, l'un des cinq membres du comité national
des Interahamwe, il a été le seul être poursuivi
par le TPIR. Le procès de l'ancien deuxième vice-président
des Interahamwe a été le plus long et le plus discontinu
de ceux s'étant tenus depuis 1997 à Arusha. Entamé en mars
1997, il ne s'est achevé qu'en juin 1999. En décembre 1999,
Rutaganda était reconnu coupable de génocide et de crimes contre
l'humanité et condamné à la prison à
perpétuité pour des actes commis à Kigali.
183 Alfred Musema fut le premier accusé à
reconnaitre d'emblée l'existence du génocide. En janvier 2000, il
fut condamné pour génocide et crimes contre l'humanité,
dont un viol direct. Constituant le jugement le plus discuté entre les
trois juges l'ayant prononcé.
184 Un Européen dans les médias de la
haine, Georges Ruggui était jusqu'en 2000, le seul accusé
non-Rwandais devant le TPIR. Ancien employé de la sécurité
sociale belge, devenus trois mois avant le début du génocide
animateur de la radio extrémiste hutu RTLM, il était
arrêté au Kenya le 23 juillet 1997. Il plaida alors non coupable.
Après presque deux ans de prison, il passa aux aveux et accepta de
coopérer avec le procureur. Le 1er juin 2000, Ruggui, de
nationalité belge et italienne a été condamné
à 12 ans de prison pour incitation à commettre le génocide
et crime contre l'humanité pour persécution.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
lui attribuer »185. Mais, de nos
jours, Théoneste Bagosora s'est retrouvé de même à
Arusha et a été envoyé purger sa peine au Mali mercredi le
4 juillet 2012. Le colonel Bagosora était le chef de cabinet au
Ministère de la défense au début du génocide.
Cerveau présumé du génocide selon certaines sources, il a
fourni les armes et coordonné les interahamwe186.
Pour ces trois condamnés qui avaient plaidé
coupable, on peut dire que leurs aveux de culpabilité avaient permis de
fournir, a priori, une information nouvelle quant à
l'établissement des faits et la recherche de la vérité sur
le génocide, le rôle des acteurs et les moyens utilisés.
Les arrestations ont permis on peut dire d'adresser un message important
à tous ceux qui tentent d'accéder au pouvoir ou de s'y maintenir
en ordonnant et en planifiant des attaques contre les civils ; à tous
ceux qui, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la justice pénale
internationale, pour des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité
ou le crime de génocide, et pensent pouvoir miser sur la lassitude ou
l'inaction du Conseil de sécurité. A travers le TPIR, le Conseil
de sécurité démontre sa détermination à
lutter contre l'impunité.
En début juin 2001, pour soixante-cinq mises en
accusation, le TPIR avait déjà mis sous les verrous quarante-cinq
accusés représentés des cercles de pouvoir divers-
gouvernement, pouvoirs locaux, armée, médias, milices,
clergé et avait permis l'arrestation de personnalités de haut
rang187. Le Tribunal offre en fait une panoplie assez
complète des groupes et organisations impliqués dans le
génocide. Bien que très peu de cerveaux du génocide se
trouvent dans les prisons du Tribunal. Les jugements qu'il avait rendus avaient
néanmoins assuré une reconnaissance judiciaire du génocide
perpétré contre les Tutsi. Mais, jusqu'à notre
départ du Tribunal en octobre 2002, le TPIR n'avait pu juger que huit
individus. Entre juillet 1999 et octobre 2000, son activité judiciaire
au fond a été constituée par le procès d'un seul
accusé Ignace Bagilishema, ancien maire de la commune de Mabandza (de
la
185International Crisis Group, « Tribunal
pénal international pour le Rwanda : l'urgence de juger »,
Rapport Afrique, N° 30, 7 juin 2001, p. 6.
186 En effet, le plus en vue des responsables rwandais
condamné par le TPIR pour sa participation au génocide de 1994,
le Colonel Bagosora avait été arrêté au Cameroun le
09 mars 1996. Condamné à la perpétuité en
première instance, celui qui avait été
présenté comme le `cerveau' du génocide a vu sa peine
réduite de 35 ans de prison par la chambre d'appel le 14 décembre
2011. Les juges d'appel du TPIR avaient en décembre dernier
confirmé la responsabilité de Théoneste Bagosora pour
génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, mais ils
avaient annulé plusieurs conclusions factuelles de la chambre de
première instance. In fine, sa responsabilité n'a
été retenue que pour n'avoir pas prévenu les crimes commis
par des militaires et pour n'avoir pas puni les auteurs, alors que les juges de
premier degré avaient conclu qu'il a ordonné les crimes.
Toutefois, la chambre d'appel a maintenu une conclusion de jugement de
première instance selon laquelle Bagosora était la plus haute
autorité militaire du Rwanda entre le 6 et le 9 avril 1994.
187 Le gouvernement en charge du pouvoir au lendemain de
l'attentat contre l'avion présidentiel du 6 avril 1994, dans lequel
périt le président Juvénal Habyarimana. Les anciens
membres de ce gouvernement ont été accusés devant le TPIR
d'avoir conçu et supervisé le génocide contre les membres
de la communauté tutsi.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
préfecture occidentale de Kibuye). Ainsi, pour beaucoup
de rwandais, en réalité, la création du TPIR est une
marque de la mauvaise conscience internationale. Ayant tragiquement failli
à son devoir d'intervention pour arrêter le génocide de
1994, la communauté internationale a voulu aider à sanctionner le
crime une fois celui-ci commis. Le TPIR a aussi fait l'objet de plusieurs
polémiques sur sa vérité judiciaire.
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