B. Le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda et la justice rétributive
Dans le cadre de la justice transitionnelle, la justice
internationale fait partie de la justice rétributive qui se focalise sur
les poursuites judiciaires visant à rendre justice aux victimes et
à les aider à reconstruire leur vie. Ici, intervient le
deuxième pilier de la justice transitionnelle notamment le droit
à la justice et plus précisément la compétence
subsidiaire des tribunaux pénaux internationaux. Le TPIR établit
les responsabilités individuelles. Cet aspect est essentiel pour
éradiquer la perception dangereuse selon laquelle une communauté
tout entière (« les Hutus » ou « les Tutsis », par
exemple) est responsable de la violence et des atrocités. L'idée
de culpabilité collective est souvent à l'origine de
stéréotypes négatifs, qui provoquent ensuite un regain de
violence. Les poursuites judiciaires au sein du TPIR sont
considérées comme le moyen de persuasion le plus efficace contre
les futures violations des droits humains. Les actions pénales à
l'encontre des auteurs de crimes de guerre, de génocide et de crimes
contre l'humanité sont rendues obligatoires par le droit
international.
L'institution la plus importante de la justice
rétributive au Rwanda reste sans conteste le TPIR, qui introduit un
facteur explosif dans un système international fondé sur les
Etats. En poursuivant le crime contre l'humanité, elle donne à
cette dernière une signification tangible qui transcende les nations. En
clair, l'action du tribunal, voire sa raison d'être, dépasse la
dimension strictement judiciaire de la poursuite des auteurs du
génocide. Les objectifs édictés par la résolution
955 du Conseil de sécurité de l'ONU, réconciliation
nationale, maintien de la paix, lutte contre l'impunité et appui aux
tribunaux et l'appareil judiciaire rwandais
176 Le génocide commis en 1994 est appelé
`génocide perpétré contre les Tutsi' parce que le groupe
cible était individualisé et identifié comme un groupe
ethnique et sa destruction fut massive. De plus, les criminels se percevaient
et s'identifiaient comme Hutu et ciblaient leurs victimes en raison de leur
appartenance au groupe présenté et perçu comme
étant Tutsi. Cette qualification n'exclut toutefois pas la bravoure de
certains hutu tués ; des hutu modérés.
177 Ce fut sans doute l'une des raisons qui poussèrent le
Rwanda, alors membre du Conseil de Sécurité, à s'abstenir
de voter en faveur de la Résolution créa le TPIR qu'il avait
lui-même ardemment réclamé.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
démontrent une volonté internationale d'apporter
une réponse pénale et symbolique forte à ce
génocide. Par Ailleurs, c'est aussi au TPIR que le viol a
été reconnu comme véritable arme de guerre ; en donnant
une définition du viol comme crime contre l'humanité et crime de
génocide. Le TPIR a jugé que le discours raciste à
l'encontre des femmes tutsi constituait une incitation criminelle : dans une
certaine mesure, cette idéologie sous-jacente a rendu les femmes tutsies
« disponibles » au viol. En conséquence, le tribunal a tenu
pour responsable les personnes impliquées dans la propagation d'un tel
discours. Dans « l'affaire Akayezu », par exemple, premier
jugement sur le génocide, la Chambre établit une
définition qui exclut l'alibi du consentement et qui fait entrer le viol
dans les actes constitutifs même du génocide
perpétré contre les Tutsi :
Une invasion physique de nature sexuelle commise sur la
personne d'autrui sous l'empire de la contrainte. L'agression sexuelle, dont le
viol est une manifestation, est considérée comme tout acte de
nature sexuelle, commis sur la personne sous l'empire de la contrainte. Cet
acte doit être commis : a) dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique ; b) sur une population
civile ; c) pour certains motifs discriminatoires, notamment en raison de
l'appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse de la
victime178.
S'agissant du viol constitutif de génocide, dans la
même « affaire Akayezu », la Chambre a fixé,
à la lumière du génocide perpétré contre les
Tutsi, pour de bon des limites infranchissables. Les viols et violences
sexuelles sont constitutifs de génocide, au même titre que
d'autres actes, s'ils ont été commis dans l'intention
spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe
spécifique, ciblé en tant que tel :
En effet, les viols et violences sexuelles constituent
certainement des atteintes graves à l'intégrité physique
et mentale des victimes et sont même, selon la Chambre, l'un des pires
moyens d'atteinte à l'intégrité de la victime, puisque
cette dernière est doublement attaquée : dans son
intégrité physique et dans son intégrité mentale.
Au vu de l'ensemble des éléments de preuve qui lui ont
été présentés, la Chambre a constaté que les
actes de viols et de violences sexuelles décrits ci-dessus
étaient exclusivement dirigés contre les femmes tutsies, qui ont
été très nombreuses à être soumises
publiquement aux pires humiliations, mutilées et violées. La
finalité de ces viols était très clairement
d'anéantir non seulement les victimes directes, mais également de
porter atteinte aux proches des victimes, leurs familles et leur
communauté, en les soumettant à une telle humiliation. Ainsi
donc, pardelà les femmes victimes, c'est tout le groupe Tutsi qui
faisait l'objet de ces crimes. En ce sens, il apparaît clairement
à la Chambre que les viols et violences sexuelles correspondraient, au
même titre que d'autres atteintes
178 Voir Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
résumé du jugement d'Akayezu.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
graves à l'intégrité physique et
mentale commises à l'encontre de Tutsi, à la volonté de
faire souffrir et mutiler les Tutsi avant même de les tuer, dans le
dessein de détruire le groupe Tutsi tout en faisant
terriblement179.
De même, depuis fin 2000, le Tribunal avait lancé
le démarrage de nouveaux procès, l'annonce des poursuites
entamées contre des éléments de l'Armée patriotique
rwandaise (APR) bien que celles-ci sont restées presque sans suite. Le
TPIR a également permis par ailleurs que soient traduits en justice des
individus qui y aurait échappé si la juridiction internationale
n'avait pas existé. En cela, le TPIR a rempli l'une des tâches de
la justice transitionnelle notamment le droit à la justice. Dans ce qui
suit, sans prétendre à l'exhaustivité, nous
évoquerons quelques procès phares.
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