La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda( Télécharger le fichier original )par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012 |
C. Les principes de vérité, de pardon et de réconciliationLes juridictions Gacaca sont également fondées sur le principe de l'aveu, du plaidoyer de culpabilité, du repentir et des excuses de la part des accusés ainsi que le pardon offert par les rescapées, qui constituent un pas vers la `réconciliation'. Sans justice ni vérité, les déchirures profondes du tissu social rwandais ne guériront pas et par conséquent, il n'y aura pas de paix. Les Gacaca penchent donc pour un souci permanent de protéger les intérêts de la société. En effet, les structures traditionnelles de règlement des conflits favorisent la réconciliation et privilégient les intérêts du groupe et la conciliation au conflit. On vise l'harmonie sociale tout en réglant les différends qui opposent des membres d'une communauté donnée. Les mécanismes de juridiction envisagent des solutions dans une perspective futuriste et transformative en insistant sur les valeurs auxquelles devraient désormais adhérer les membres de la communauté où les crimes ont été perpétrés. La loi organique établissant ces juridictions instaure une procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité. Au cas où les aveux de l'accusé corroborent les éléments de l'accusation, il y a réduction de peine, dont l'importance dépend du moment où il est passé aux aveux c'est-à-dire avant ou après le début du procès. Par ailleurs, les personnes faisant ces aveux renoncent à leur droit d'appel. L'accusé devait donner autant de détails que possible sur l'infraction (comment, où, quand, victimes, complices, dégâts causés, etc.) et présenter des excuses publiques afin que ses aveux soient acceptés et sa peine diminuée. Grâce à un décret présidentiel de 2003, on pouvait en principe bénéficier d'une réduction de peine en révélant des informations sur les crimes commis. Des aveux jugés complets et sincères, accompagnés d'une demande de pardon, étaient une condition sine qua non de mise en liberté provisoire. 147 Entretien à Kigali, 23 février 2012. La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda. Cela encouragea les aveux dans les Gacaca dès 1998. À l'origine, les aveux étaient motivés par la pression de l'État, via des campagnes de sensibilisation ; les membres du nouveau gouvernement sillonnaient le pays pour répandre l'évangile de la réconciliation par l'aveu de sa responsabilité. Mais les aveux avaient aussi une forte connotation religieuse. Si un grand nombre de détenus ont fait des aveux « complets », on estime généralement que ces témoignages ne sont en fait que partiels, reconnaissant des crimes mineurs et accusant de complicité certaines personnes (pour la plupart défuntes ou « disparues » après le génocide) tout en gardant le silence sur d'autres participations. Ces deux pierres angulaires facilitent la découverte de la vérité, qui fonctionne par la suite comme base du cadre intégral de la justice transitionnelle dans le Rwanda post-génocide. Parlant de la vérité, ce sont des informations qui permettent en clair, d'établir la culpabilité ou l'innocence, d'organiser le procès des prévenus, de révéler les lieux où l'on peut exhumer les victimes, d'identifier les modalités de réparation, de générer des connaissances sur le passé en général et de reconfigurer et rétablir les relations sociales. Ces éléments caractérisant la vérité se rapportent ici au droit de savoir des victimes : dernier axe du droit de savoir, premier principe de la justice transitionnelle. En effet, le droit de savoir des victimes est spécialement reconnu aux victimes, à leurs familles ou à leurs proches a été formulé en vue de leur permettre de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises les violations. En vertu de ce droit, les familles et les proches doivent connaître le sort qui a été réservé à la victime. De plus, l'institution des juridictions Gacaca répond à l'impératif de réconciliation nationale en impliquant activement dans le processus judiciaire la population qui a été témoin des évènements. Toutefois, la Gacaca n'est pas un tribunal à proprement parler, il est un forum de résolution des conflits par voie de conciliation. C'est ce que le Lawyers Committee on Human Rights (actuellement Human Rights First) confirme dans un de ses rapports sur le Rwanda : «A traditionnal system of justice known as Gacaca covers land dispute, family matters and small disagreements; its purpose is to resolve problems while promoting reconciliation148». Dans la même lancée, Rusagara estime que « Gacaca se présente comme 148 Lawyers Committee for Human Rights, Prosecuting Genocide in Rwanda : the ICTR and national trials, July 1997. La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda. stratégie de gestion de conflits par le biais de sa justice restauratrice, tout en jouant son rôle historique de lubrifiant assurant l'unité et la cohésion dans la société »149. On pourrait ainsi remarquer que les Juridictions Gacaca sont très productives comparativement au système de tribunaux classiques étatiques qui se sont révélés ineffectifs. De nombreux Rwandais sont d'accord pour dire que la justice communautaire a fait connaître ce qui s'est passé dans leurs communautés locales pendant les 100 jours de génocide en 1994, même si toute la vérité n'a pas été révélée150. Ils disent que cette expérience a aidé certaines familles à retrouver les corps de parents assassinés qu'elles ont pu enfin enterrer avec une certaine dignité. Elle a également veillé à ce que des dizaines de milliers de criminels soient traduits en justice. Certains Rwandais disent que le processus a aidé à mettre en mouvement la réconciliation au sein de leurs communautés151. En plus des Gacaca, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été l'un des mécanismes clés du processus de justice transitionnelle au Rwanda. Ce tribunal a-t-il pour sa part permis de consolider la paix et de réconcilier les rwandais ? . 149 Frank Rusagara, « Gacaca, stratégie de réconciliation et de développement national au Rwanda d'après le génocide » (2005) 2 Conflict Trends Magazine, p. 20 : http://www.accord.org.za/ ct/2005-2FR.htm. 150 L'expérience du Rwanda en justice communautaire de masse a été un succès mitigé nous y reviendrons dans la deuxième partie de l'étude. 151 Nous ajouterons que dans un communiqué de presse à l'occasion de la cérémonie de clôture des Juridictions Gacaca, le Président Kagamé a déclaré : « la date d'aujourd'hui ne marque pas seulement la clôture des tribunaux Gacaca, mais reconnait également la valeur, sur le long terme, du processus, c'est la célébration du rétablissement de l'unité et de la confiance parmi les Rwandais et la réaffirmation de notre capacité à trouver nos propres réponses à des questions apparemment insolubles ». « Nous avions trois choix : le premier, le plus dangereux, était le chemin de la revanche, et le deuxième celui d'une amnistie générale mais nous avons choisi la troisième voie, la plus difficile celle consistant à traiter la question une fois pour toute et de rétablir l'unité et l'intégrité de la nation » a précisé Paul Kagamé. Voir : http// fr.ighe.com/politique/les-juridictions-gacaca-ontété-clôturées.html (consulté le 24 juin 2012). |
|