B. Les violations du droit international humanitaire et
des droits de l'homme
Les abus et les violations du droit international humanitaire
sont au coeur du génocide rwandais et en constituent la
conséquence. Suite à la description ci-dessus concernant le
génocide au Rwanda, on pourrait simplement constater que le droit
international humanitaire, droit qui s'applique dans des situations de conflit
armé international ou non international et contenu dans les quatre
Conventions de Genève de 194995 et les deux
protocoles additionnels de 197796 n'a pas été
respecté lors de la guerre civile et du génocide au Rwanda. Le
droit
93 Véronique Tadjo, L'ombre d'Imana :
Voyages jusqu'au bout du Rwanda, Paris, Actes du Sud, 2000, p. 124
94 Ibidem.
95 Les blessés et malades dans les forces
armées en campagne (1ère Convention), les
blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer
(2ème Convention), les prisonniers de guerre
(3ème Convention) et les personnes civiles en temps de guerre
(4ème Convention). Pour le génocide au Rwanda c'est la
quatrième convention qui nous intéresse.
96 En 1977, les Conventions de Genève de
1949 ont été complétées par deux protocoles
additionnels sur la protection des victimes de conflits armés
internationaux et non internationaux. Toutefois, nous soulignons qu'en 2005, un
troisième protocole consacré à la question de
l'emblème s'est ajouté. Nous rappelons que le conflit rwandais
est non international ; c'est un méso conflit complexe.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
international humanitaire est conçu pour
protéger ceux qui ne participent pas ou ne participent plus aux actions
hostiles et pour garantir les droits fondamentaux des civils, les victimes et
les non-combattants dans un conflit armé.
Au Rwanda, les femmes et les enfants étaient une cible
directe des génocidaires pour le meurtre, le viol et la mutilation. Les
femmes Tutsis étaient violées systématiquement et
mutilées sexuellement comme une arme de génocide. « Dans
les camps par exemple, 500 000 femmes victimes ont été
violées ; beaucoup furent violées brutalement et à
plusieurs reprises, souvent par des hommes qui étaient connus comme
séropositifs »97. Ici, l'article 3 commun
aux quatre Conventions de Genève applicable aux conflits
armés non internationaux qui énonce en quoi consiste un minimum
de traitement humain a été violé. En effet, selon cet
article, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu : les
atteintes portées à la vie et à l'intégrité
corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les
traitements cruels, tortures et supplices etc. Malheureusement, les
génocidaires torturaient à morts les victimes. La torture et les
autres traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdits en tout
temps et en toutes circonstances, à la fois par le droit international
coutumier et par les conventions internationales comme la Convention contre
la torture de 1984, les Conventions de Genève et les
Protocoles additionnels qui s'y rapportent. Pendant les conflits
armés, la torture est considérée comme un crime de guerre,
et si elle a lieu dans le cadre d'une attaque généralisée
ou systématique contre la population civile, à l'instar du
Rwanda, elle est considérée comme un crime contre
l'humanité98.
Pendant le génocide au Rwanda, l'un des supplices
préférés infligés aux Tutsi était les pieds
et les mains coupées. On coupait les tendons des victimes pour les
empêcher de s'enfuir ; on les attachait et on les frappait. Elles
devaient attendre, sans secours, d'être frappées avec une massue,
violées ou tailladées à la machette. Dans le site de
génocide de l'Eglise de Nyamata par exemple, se trouve Mukandori, la
femme âgée de vingt-cinq ans ligotée et exhumée en
1997. On lui avait ligoté les poignets et on les avait attachés
à ses chevilles. Elle a les jambes largement écartées. Son
corps est penché sur le côté. On dirait un énorme
foetus fossilisé. Elle a été violée. Un pic fut
enfoncé dans son vagin. Elle est morte d'un coup de machette à la
nuque. Parfois, les victimes étaient jetées vivantes au fond de
profondes latrines et des rochers lancés les uns après les autres
jusqu'à ce que le silence de la
97 Fresque Gigozi, 2012.
98 Voir la Convention contre la torture de
1984, les Conventions de Genève et les protocoles
additionnels qui s'y rapportent.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
mort recouvre enfin leurs cris déchirants. La mort
était devenue une fin douloureuse, agonisante, effrayante et humiliante.
Les femmes et les enfants n'étaient pas seulement des victimes du
génocide mais ils en étaient également des auteurs. Les
enfants étaient fréquemment forcés à participer
souvent en tuant leurs amis ou leurs voisins. Or l'enrôlement des enfants
dans de tels actes est considéré comme crime de guerre.
De plus, parmi tant d'autres éléments, le Droit
International Humanitaire fait une distinction entre biens civils et objectifs
militaires. Au Rwanda, les actes de violences ont été
dirigés contre des biens civils. Les écoles, les églises
ont été attaquées ; les populations qui avaient
trouvé refuge en ces lieux ont toutes été
massacrées ; pourtant elles faisaient partie des personnes qui ne
participaient pas aux hostilités : des civils. A Nyarubuye, Kibungo par
exemple, l'église, le couvent et l'école de Nyarubuye furent
transformés en un lieu de massacre. A peu près 20 000 personnes y
ont été tuées99. A Nyamata, Bugesera, 10 000
personnes ont été tuées dans l'église et ses
alentours100. Les femmes étaient systématiquement
violées et abusées dans l'église pendant le massacre. A
Nyangue, 2000 fidèles avaient trouvé abri dans l'église
quand l'abbé Seromba donna l'ordre de démolir le bâtiment
au bulldozer ; il tua ses propres fidèles dans sa propre
église101. A Ntarama, Bugesera, des grenades furent
jetées dans l'église102. Les victimes
stupéfiées furent taillées en pièce ou
fusillées. Ici, les interahamwe n'ont pas pu
différencier les populations civiles des combattants du FPR afin
d'épargner les civils et leurs biens ce d'autant plus que l'objectif
était la destruction totale d'une ethnie. Or, ni la population civile
dans son ensemble ni des civils pris individuellement ne doivent faire l'objet
d'attaques. Les attaques ne peuvent viser que des objectifs militaires. En
gros, la protection des femmes et des enfants qui est un thème relatif
aux droits de l'homme n'a pas été respectée de même
que la Convention sur la prévention et la répression du crime
de génocide adoptée en 1948103 et signé
par le Rwanda le 16 avril 1975, entrée en vigueur le 15 juillet 1975
pour le Rwanda.
De même, dans le contexte rwandais, si l'on se
réfère à la Déclaration universelle des droits
de l'homme, pierre angulaire des normes internationales en matière
de droits de
99 Fresque Gigozi, 2012.
100 Idem.
101 Idem.
102 Idem.
103 Après l'Holocauste (1939-1945), les Nations Unies
ont introduit une Convention sur la prévention et la
répression du crime de Génocide. L'intention était
d'empêcher la continuation du génocide, mais la Convention
était d'application difficile et elle est restée en grande partie
inefficace. L'échec de la communauté internationale d'agir d'une
façon opportune et efficace au Rwanda et dans les Balkans doit
nécessiter à jamais le renouvellement des efforts pour trouver
des mesures préventives plus agissantes.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'homme, texte fondateur qui stipule que les droits de l'homme
et les libertés fondamentales sont universels et garantis par tous, lors
du génocide, ce sont les droits civiques et politiques qui ont
été le plus bafoués notamment : le droit à la vie,
le droit de ne pas être torturé et surtout le droit d'être
protégé de la discrimination. Environ 800 000 personnes
trouvèrent la mort dont une majorité de tutsis.
Au sortir du génocide, il fallait à tout prix
éradiquer la culture de l'impunité, permettre la poursuite et le
jugement des auteurs de génocide et autres crimes contre
l'humanité, distinguer dans cet immense chaos les innocents des
coupables, rendre justice aux victimes et reconnaître leurs droits, tout
en tenant compte de la nécessité de reconstruire la
société et de rétablir le dialogue social. Il fallait donc
reconnaître le mal, l'exorciser par la justice, par une tentative de
justice réelle car, tout crime non puni engendrera d'autres crimes.
Après la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), le gouvernement a
inscrit dans ses priorités la réconciliation et la lutte contre
l'impunité, conditions sine qua non de la reconstitution du tissu social
déchiré. Le gouvernement s'est demandé quel processus
mettre en oeuvre pour reconstruire la société et fonder les bases
d'un nouveau vivre ensemble. Ainsi, la démarche judiciaire a joué
un rôle important dans le processus de justice transitionnelle au Rwanda
en vue de la consolidation et du rétablissement de l'unité des
Rwandais qui va de pair avec l'éradication de l'idéologie du
génocide. Cette démarche s'est opérée sur trois
modèles notamment, les juridictions nationales, les Juridictions
Gacaca104 et le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda.
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