SECTION II : LA JUSTICE TRANSITIONNELLE A TRAVERS LE
RECOURS AUX JURIDICTIONS NATIONALES
Paragraphe I : Le système judiciaire
Dans le cadre de la justice transitionnelle, le droit à
la justice s'analyse tout d'abord comme l'obligation qu'ont les Etats de mener
rapidement des enquêtes judiciaires approfondies, indépendantes et
impartiales sur les violations des droits de l'homme et du droit international
humanitaire. C'est dans ce contexte que lorsqu'une guerre civile, un
génocide ou une dictature brutale s'achève, la question se pose
inévitablement de savoir comment traiter les auteurs de graves
violations des droits humains. De fait, une société sortant d'un
conflit a
104 Gacaca : terme en « Kinyrwanda »
désignant les cours de justice traditionnelles. Actuellement, ce terme
fait référence aux tribunaux populaires supplétifs
prévus par le gouvernement du Rwanda pour rendre la justice sur les
collines.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'obligation morale de juger et de punir les coupables, car
c'est précisément une réparation qu'attendent les
victimes. Celle-ci les aide à guérir leurs blessures et à
reprendre confiance en elles. La quête de la justice est ainsi
nécessaire après le génocide, pour mettre fin à
l'impunité, pour s'assurer qui a été directement
responsable et honorer les rescapés avant la dignité de voir un
jugement juste et équitable.
Dans le contexte rwandais, en vue de régler le
contentieux généré par le génocide, les
autorités rwandaises ont opté dans un premier temps pour les
poursuites pénales qui contribuent à l'adhésion de la
population à des valeurs démocratiques et démontrent la
désapprobation du gouvernement envers des violations et abus de droits
humains. Au Rwanda, la responsabilité criminelle a donc d'abord
été établie au niveau national en ce sens que les
poursuites pénales représentent une des premières
catégories de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle.
A. Le système juridique classique : la justice
pénale rwandaise
Le recours aux juridictions nationales est régi par la
conception actuelle du droit pénal international qui habilite, voire
oblige, les Etats à traduire en justice devant leurs tribunaux les
personnes suspectées d'avoir commis les crimes internationaux les plus
graves. En guise d'illustration, en matière de génocide par
exemple, l'article V de la Convention sur le génocide prescrit
que les personnes accusées de génocide ou de quelconque des
autres actes énumérés à l'article III seront
traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire
où l'acte a été commis. En outre, le Statut de
Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI) accorde une
priorité juridictionnelle aux Etats dans la répression des crimes
qu'il prohibe.105 A travers donc ces instruments internationaux, on
se rend aisément compte que les tribunaux étatiques ont un
fondement juridique solide en droit international pour réprimer les
crimes internationaux tel que le génocide. Cela étant,
l'obligation de l'Etat rwandais d'enquêter sur les atteintes aux droits
de l'homme et de prendre des sanctions contre les personnes responsables
découle du droit international des traités et Conventions de
Genève de 1949. Les personnes jugées par les tribunaux
ordinaires au Rwanda font partie de la Catégorie 1 qui
mentionne ce qui suit :
- La personne que les actes criminels ou de participation
criminelle
rangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les
incitateurs, les
105 Ici, c'est le sens qu'il convient de donner au principe
fondamental de la complémentarité de la CPI par rapport aux
juridictions étatiques. Voir Statut de la Cour pénale
internationale du 17 juillet 1998 et le Statut de Rome de 2002.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou
des crimes contre l'humanité, ainsi que ses complices ;
- La personne qui, agissant en position d'autorité
au niveau national, au niveau de la Préfecture, au niveau de la Sous-
Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de
l'armée, de la gendarmerie, de la police communale, des confessions
religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou a encouragé les
autres à les commettre, ainsi que ses complices ;
- Le meurtrier de grand renom qui s'est distingué
dans le milieu où il résidait ou partout où il est
passé, à cause du zèle qui l'a caractérisé
dans les tueries ou de la méchanceté excessive avec laquelle
elles ont été exécutées, ainsi que ses complices
;
- La personne qui a commis les actes de torture quand bien
même les victimes n'en seraient pas succombées, ainsi que ses
complices ;
- La personne qui a commis l'infraction de viol ou les actes
de tortures sexuelles ainsi que ses complices ;
- La personne qui a commis les actes dégradants sur le
cadavre ainsi que ses complices106.
Le Parlement rwandais avait adopté une loi
spéciale sur le génocide qui classait la responsabilité
selon la position du coupable dans la hiérarchie homicide, et offrait
des réductions de peine aux moindres criminels qui avouaient leur faute.
Bien que tous les meurtriers soient passibles de la peine de mort, selon le
code pénal du pays, la loi sur le génocide ne réservait
l'exécution qu'aux élites appartenant à la
catégorie numéro un : planificateurs, organisateurs,
instigateurs, contrôleurs et dirigeants au niveau de la nation, de la
préfecture, de la commune, du secteur ou de la cellule, ainsi que les
meurtriers notoires qui se sont distingués par l'ardeur ou la
cruauté excessive avec laquelle ils ont commis des atrocités, et
les auteurs d'actes de torture sexuelle. Pour les innombrables tueurs
ordinaires et leurs complices- les suiveurs-, la peine maximum de prison
à vie pourrait, après avoir fait une confession valide et
plaidé coupable, être diminuée jusqu'à sept ans. Les
condamnations pour attaques non mortelle et crimes contre les biens
étaient pareillement réductibles.
Le recours aux juridictions nationales par le gouvernement
rwandais a eu pour but l'instauration et le maintien de la paix et de la
stabilité politique ce d'autant plus que dans cette optique, les
poursuites judiciaires évitent les vengeances privées
effrénées. Sans cela, les victimes pourraient être
tentées de rendre elles-mêmes justice. Les risques seraient alors
une justice de légitime défense, des exécutions sommaires
et une spirale de vengeances. De plus, cette « justice
d'autodéfense » peut encore déclencher des troubles sociaux
et politiques. La survie du régime nouvellement établi
dépend d'actions judiciaires promptes et fermes à
106 Voir la Loi organique n° 8/96 du 30 août 1996 sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité à partir du
1er octobre 1990.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'encontre des responsables des violations des droits humains les
plus graves. Ce point est considéré comme un moyen d'obtenir une
sécurité physique minimale.
|