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La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

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par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

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CHAPITRE PREMIER :

LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE AU PLAN NATIONAL

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

SECTION I : DU GENOCIDE A LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA

Paragraphe I : Des divisions ethniques aux massacres multiples

Le génocide au Rwanda s'est déroulé dans un contexte de guerre civile et de tentative d'introduction d'une démocratie multipartite. Il constitue le point culminant de la violence dans une histoire nationale marquée par des épisodes sporadiques de massacres (195964, 196365, 196766, 197367), conséquence d'une lutte incessante pour le pouvoir (et les richesses), greffée sur la bipolarité ethnique hutu-tutsi qui a caractérisé le paysage socio-politique rwandais. Selon nos différentes lectures68, le Rwanda fut d'abord occupé par des pygmées troglodytes ; leurs descendants, les Twa, forment aujourd'hui un groupe marginalisé qui représente moins de un pour cent de la population. Hutu et Tutsi arrivèrent ensuite, mais on ne sait pas précisément d'où ni dans quel ordre. Si l'histoire souligne que les Hutu sont des Bantous qui s'établirent les premiers au Rwanda depuis le sud et l'ouest, et les Tutsi des Nilotiques venus du nord et de l'est, ces théories historiques reposent plus sur la légende que sur des faits documentés. Le temps passant, Hutu et Tutsi finirent par parler la même langue, pratiquer la même religion, se marier ensemble et vivre sans distinctions territoriales, sur les mêmes collines, en partageant la même culture sociale et politique, au sein de petits royaumes. Les chefs, les mwamis, étaient tantôt hutu, tantôt tutsi ; Hutu et Tutsi combattaient côte à côte dans leurs armées ; par le mariage et le patronage, un Hutu pouvait devenir héréditairement tutsi et vice versa. En raison de tous ces mélanges, ethnographes et historiens ont fini par conclure qu'on ne pouvait à proprement parler considérer les Hutu et les Tutsi comme des groupes ethniques distincts. Mais, les noms hutu et tutsi sont restés. Ils signifient quelque chose, et bien que ce qu'ils recouvrent précisément ne fasse pas l'unanimité, classes, castes et rangs sont les plus souvent évoqués, nul ne conteste la distinction : les Hutu étaient des cultivateurs et les Tutsi les éleveurs. Telle était l'inégalité primitive : le bétail est un bien plus précieux que les produits du sol, et quoique certains Hutu aient possédé des vaches tandis que certains Tutsi cultivaient la terre, le mot tutsi devint synonyme d'élite politique et

64 Révolution sociale. Une classe sociale contre une autre ; les Tutsi ont dominé le Rwanda pendant quatre siècles. C'est cette révolution qui porta Grégroire Kayibanda au pouvoir.

65 Tueries massives à Bufundu Gikongoro.

66 Massacres incessants à Bugesera.

67 Massacres dans tout le pays.

68 Nous pensons notamment aux ouvrages de Gérard Prunier : Rwanda, 1959- 1996 : Histoire d'un génocide, Paris, Dagorno, 1997 et Philip Gourevitch, Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles, Paris, Denoël, 2002.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

économique. Dans la diversité des caractéristiques rwandaises, la question des apparences est d'autant plus délicate qu'elle a souvent signifié la vie ou la mort : trapus, les Hutu ont la peau sombre, le visage rond, le nez plat et les lèvres épaisses ; tandis que les Tutsi, élancés, ont la peau plus claire, le visage allongé, les lèvres minces, le nez et le menton étroits. A ce propos, dans une partie de son Journal intitulée « La Faune », Speke notera par exemple qu'il trouva « une race supérieure d'hommes aussi différents que possible de la classe ordinaire des indigènes dont le beau visage ovale, les grands yeux et le nez haut dénotent le meilleur sang de l'Abyssinie »69. D'après les termes de Philip Gourevitch70, cette race comprenait nombre de tribus, et notamment les Watutsi- les Tutsi-, qui toutes élevaient du bétail et dominaient généralement les masses négroïdes. Selon une classification, un recensement des Belges fait en 1933- 1934, dans le but de délivrer des cartes d'identités ethniques, les Bahutu, groupe ethnique majoritaire, représentent environ 84 % de la population, les Batutsi 14 % et les Batwa 1 %. En réalité, ces cartes d'identités rendaient virtuellement impossible aux Hutu de devenir Tutsi, et permirent aux Belges de parfaire un système d'apartheid sur le mythe de la supériorité tutsie.

A. La colonisation et le principe de « diviser pour mieux régner »

Le Rwanda fut d'abord colonisé par l'Allemagne (1897-1916), avant de devenir officiellement une colonie belge en 1919. Plusieurs réformes de fond, et notamment la méthode « d'indirect rule » (domination indirecte) employée par les colons belges, allaient transformer la société rwandaise. Conformément aux idées anthropologiques de l'époque coloniale71, les Belges croyaient en une classification des races selon des critères de supériorité et d'infériorité des êtres. Ils sont parvenus à la conclusion que la « race » tutsie était mieux adaptée pour régner, que les Bahutu étaient des créatures inférieures uniquement aptes à être gouvernées et à effectuer des travaux manuels. En réalité, les colonisateurs adoptèrent l'absurde prétexte hamitique72 pour diviser la société rwandaise. La colonisation

69 John Hanning Speke, Journal de la découverte de la source du Nil, cité par Philip Gourevitch, Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles, Paris, Denoël, 2002, p. 70-71.

70 Voir Philip Gourevitch, Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles, Paris, Denoël, 2002.

71 Lorsqu'ils arrivaient au Rwanda à la fin du XIXe siècle, les Européens découvrirent une race majestueuse de rois guerriers, au milieu de troupeaux de bovins aux longues cornes, et une race subordonnée de paysans petits et sombres, cultivant des tubercules à la houe et cueillant des bananes. Les Européens en déduisirent que telle était la tradition du pays et ils y virent une situation naturelle. Voir Philip Gourevitch, Op. cit., p. 69-70.

72 Le prétexte hamitique est ce mythe qui préconise que la formation du Rwanda s'est réalisée grâce aux qualités guerrières supérieurs de la dynastie tutsie ayant conquis les états primitifs des Hutu. L'hypothèse hamitique a été proposée en 1863 par l'anglais John Hanning Speke, surtout connu pour avoir `découvert' le grand lac africain qu'il baptisa Victoria et qu'il considéra comme la source du Nil. L'essentiel de sa théorie anthropologique, qu'il

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

est violence, et il y a bien des manières d'appliquer cette violence. Outre des cadres militaires et administratifs, et une véritable armée de missionnaires, les Belges expédièrent des scientifiques au Rwanda. Dûment équipés de balances, mètres à ruban et compas, ces derniers entreprirent de peser les Rwandais, de mesurer leur capacité crânienne et de comparer le relief de leur nez. Ainsi, les Tutsi avaient des caractéristiques plus nobles, plus naturellement aristocratiques que les Hutu grossiers et bestiaux. Les Belges utilisèrent alors les dirigeants tutsis, les chefs tutsis qu'ils qualifiaient plus intelligents, plus actifs, plus capables d'apprécier le progrès pour mettre en oeuvre leurs politiques coloniales. C'est ainsi que les structures administratives villageoises traditionnelles, qui offraient aux Hutu leur autonomie locale, furent systématiquement démantelées, tandis que les élites tutsies obtenaient le pouvoir presque illimité d'exploiter le travail des Hutu et de lever l'impôt sur eux.

De plus, les écoles catholiques, qui dominaient le système éducatif colonial, pratiquaient une discrimination flagrante en faveur des Tutsi, lesquels disposaient du monopole des emplois administratifs et politiques, tandis que les Hutu voyaient se réduire toujours davantage leurs espérances de promotion déjà limitées. Rien ne marquait la différence de manière plus éclatante que le régime belge du travail forcé, où des armées de Hutu trimaient en masse dans les plantations, construisaient les routes et abattaient les arbres, sous la surveillance de contremaîtres tutsi. Chaque écolier étant élevé dans la doctrine de la supériorité et de l'infériorité raciales, l'idée d'une identité collective nationale se dissolvait peu à peu, et de part et d'autre de la ligne de partage, Hutu et Tutsi prônaient l'exclusion mutuelle.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery