Une dichotomie existe entre les réponses
données par les cadres de santé et les professionnels quant
à la connaissance du projet de vie par les familles et le
résident. Je me suis demandée quelles en étaient les
raisons.
Pour le cadre de santé, l'accueil
représente le début du projet de vie. Considère-il alors
que l'information donnée à ce moment là est suffisante ?
Pense-t-il aussi que les familles doivent elles-mêmes se renseigner
?
Le système actuel de santé étant
de responsabiliser tous les acteurs, c'est peut être une démarche
personnelle informelle. Mais ce n'est pas suffisant, puisque les professionnels
donnent un autre avis. Ils sont plus proches des résidents souvent, les
voyant plus quotidiennement que les cadres de santé, ainsi que les
familles en EHPAD. Les familles les questionnent, s'inquiètent de
l'état de santé de leur aïeul. Elles ne s'interrogent pas
sur le projet de vie. Elles ne le connaissent pas.
Ce manque d'informations lors de la
pré-admission est un handicap pour la future prise en charge du
résident. Des conditions sont remplies certes : remise du livret
d'accueil, du contrat de séjour, du règlement de fonctionnement
et remise de la charte des droits et libertés de la personne accueillie.
Cette rétention d'information par le cadre a deux conséquences
directes :
· Les familles ne font pas de différence
dans les diverses prises en charge : le projet de vie est ramené
à un projet de soins. Ils s'informent plus sur les besoins de bases de
tout individu, besoins classés par Virginia Henderson : respirer,
boire et manger, éliminer, se mouvoir et maintenir une bonne posture,
dormir et se reposer, se vêtir et se dévêtir, maintenir la
température du corps, être propre soigné et protéger
ses téguments, éviter les dangers, communiquer, agir selon ses
croyances et ses valeurs, s'occuper en vue de se réaliser, se
récréer, apprendre. Les familles ne font plus de
différences entre un secteur hospitalier et l'EHPAD. La
médicalisation de certains EHPAD leur donne cette impression. C'est au
cadre de santé de leur expliquer qu'un EHPAD est un lieu de vie, dans
lequel des soins peuvent être donnés, comme à
domicile.
· Les professionnels eux aussi ne font pas la
différence. Les soins ont une grande place dans les sondages. Les
soignants ne sont pas en capacité de bien informer les familles sur le
projet de vie.
95 AMYOT Jean-Jacques, MOLLIER Annie,
op.cit.
Le conseil de vie sociale peut aider les familles et
les résidents à s'informer. C'est au cadre de santé de les
inciter à y participer. Elles sont parfois sollicitées lors
d'animations, ce bénévolat est intégrateur mais peu
développé encore dans tous les EHPAD. Il s'adresse aux enfants
sexagénaires le plus souvent, les autres étant en
activité.
> L'espace `'laissé» aux
résidents
Les résidents, quel qu'ils soient ne sont pas
informés non plus. Ils ne sont pas non plus informés du fait
qu'ils gardent leurs droits civiques. Souvent leurs papiers sont pris par leur
famille qui considère qu'ils n'en ont plus l'utilité dans ce
lieu.
Pense-t-on qu'ils ne sont plus capables de comprendre,
du fait de leur venue en EHPAD ?
Que le passage de la porte d'entrée les a rendus
inaptes ?
Se sentiraient-ils plus impliqués en étant
informés ?
Certes, le cadre de santé organise les soins,
planifie, mais il est essentiel que le résident garde une place unique
et soit le centre de cette organisation. Il arrive souvent que l'on pense pour
lui, que l'on agisse pour lui. Je me demande où se trouve le respect
à donner à la personne âgée. « Associer les
résidents au projet de vie, c'est créer un temps et un espace de
rencontre entre la parole du résident et celle du
professionnel96 ».
Respecte-on vraiment ces temps en EHPAD actuellement
?
Les impératifs croissants de performance et
d'efficience se ressentent dans le secteur médico-social. N'est-on pas
en train de modifier le paysage de l'EHPAD, ce qui pourrait être un
facteur de non information du projet de vie ?
> L'accompagnement des professionnels
Une catégorie de professionnels a
répondu à plus de 50 % ne pas connaitre le projet de vie : les
auxiliaires de vie. Je me suis demandé s'il s'agissait d'un
problème de compétences, d'une reconnaissance de leur
métier ou d'un manque d'informations reçues.
Cette méconnaissance du projet de vie est
reprise lors de la question sur les acteurs du projet de vie. Certaines
catégories n'incluent pas le résident, d'autres la famille dans
le projet de vie. Certaines s'arrêtent aux infirmières et aux
aides-soignants. Il semble y avoir une amalgame entre le projet de vie et le
projet de soins au regard des réponses, par les professionnels. Je me
pose cette question : Quel est le sens donné au projet de vie par les
soignants ? Sans informations sur le projet de vie, les professionnels
peuvent-ils s'impliquer suffisamment dans ce travail ?
Le cadre de santé est là pour «
favoriser la spécificité des diverses approches
professionnelles pour construire le projet de vie personnalisé.
Ainsi
96 AMYOT Jean-Jacques, MOLLIER Annie,
op.cit.
chaque professionnel reste bien dans son coeur de
métier en apportant ses compétences
spécifiques97 ».
Quel que soit son niveau de compétences,
chacun apporte au résident une part du projet de vie. Il s'agit de
« travailler ensemble aux niveaux les plus humbles de la prise en
considération et de l'accompagnement de la personne98
». Etablir des échanges, de la communication est vital face aux
problèmes rencontrés par les professionnels pour vraiment
s'impliquer dans le projet de vie.
La démotivation des professionnels est
perceptible dans le rendu des questionnaires. Ce taux de 65,6 % de non
réponses est significatif. Dans un premier temps, j'ai pensé que
cette question était inadaptée, que la formulation était
erronée. Puis, au regard de la problématique du manque de temps
rencontré par ces mêmes professionnels, l'envie de répondre
à cette enquête était faible. Leur implication est faible
dans le projet de vie, liée à d'autres facteurs : le turn over,
le manque de temps.