La consommation d'alcool en milieu scolaire : cas de la ville de Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Ulrick Lilyan MVE ONA Institut Sous-régional des Statistiques et d'Economie Appliquée (ISSEA) - Ingénieur 2006 |
SECTION 3 : LES PROBLÈMES FAMILIAUX LIÉS À L'ALCOOLISMELa consommation d'alcool est à l'origine de nombreux troubles au sein des familles. Elle affecte négativement tous les membres de la famille (père, mère, enfants...). 1. L'alcool et la vie familiale Les conflits familiaux causés par l'alcoolisme sont connus de tous. Cependant, c'est souvent l'alcoolisme du chef de ménage qui semble le plus dangereux. En effet, lorsque ce dernier entre en phase de dépendance, il devient incapable de gérer son foyer. Ses revenus sont destinés à satisfaire sa « soif » avant qu'il ne perde son emploie. De plus, « les déchéances physiques de l'alcoolique sont malheureusement héréditaires »35(*). Par ailleurs, le sujet alcoolique développe une jalousie pathologique et a souvent beaucoup d'enfants. D'après l'ONG Oasis (op. cit.), 60 à 70% des enfants d'alcooliques connaissent une déperdition scolaire et 85% des couples séparés plongent dans l'alcoolisme au Cameroun. 2. Les résultats de l'EDSC-III36(*) Il ressort de cette enquête que l'usage abusif des boissons alcoolisées est un facteur explicatif de la violence conjugale. Cette situation s'observe dans le tableau 5. Tableau 4 : Violence conjugale au Cameroun en pourcentage
Source : EDSC-III, 2004 D'après ce tableau 5, la femme et l'homme subissent tous les deux des violences liées à l'alcool. Cependant, la femme subit plus de violence qu'elle n'en fait. Il s'agit particulièrement de la femme dont le mari « est souvent soûl » (72,8%) ; de même, du fait des ripostes, ces dernières femmes sont les plus violentes (9,6%). D'une manière générale, ce tableau montre que le niveau de violence conjugale augmente en fonction de la quantité d'alcool consommée par l'un et/ou l'autre des deux partenaires. Section 4 : LA LUTTE CONTRE L'ALCOOLISME JUVENILE« Une détonation formidable que nul n'entendra - et la Terre à l'état de nébuleuse, continuera sa course dans les cieux délivrée des hommes - sans parasites, sans maladies». Italo SVEVO, « La conscience de Zeno » Les jeunes sont naturellement moins conscients du danger de l'alcoolisme et donc plus vulnérables aux attaques des incitateurs à la consommation des boissons alcoolisées. Nous verrons succinctement les différents agents économiques qui s'impliquent (ou doivent s'impliquer) à la non consommation des jeunes, les obstacles à cette lutte et les résultats des études spécifiques sur l'alcoolisme juvénile.
1. Les contributions des agents économiques La lutte contre l'alcoolisme, en tant que problème de santé publique, ne peut se faire sans le concours de tous les agents économiques. Au Cameroun, nous pouvons citer comme principaux intervenants les agents suivants :
Nous avons vu, en d'autres termes, au chapitre I que face au fléau que constitue l'alcoolisme, les économistes recommandent aux pouvoirs publics, soit d'adopter une attitude autoritaire en limitant l'accès aux boissons alcoolisées ou de taxer au prix fort les alcools afin de décourager les demandeurs. Le Gouvernement retient ces deux politiques précitées. En effet, la vente des alcools est interdite dans certains lieux publics (établissements scolaires, complexes sportifs...) et certaines boissons alcoolisées sont taxées au prix fort (liqueurs, champagnes...). C'est par cette approche que le Cameroun lutte contre la consommation d'alcool des jeunes. À titre d'exemples, nous avons : Ø les attitudes autoritaires · L'Article 35 de la loi n°98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'éducation au Cameroun s'énonce comme suit : « L'intégrité physique et morale des élèves est garantie dans le système éducatif. Sont de ce fait proscrits : [...], la vente, la distribution et la consommation des boissons alcooliques ». · Le Cameroun s'est engagé dans un plan d'action37(*) à « l'élaboration et l'application stricte par les États membres, de normes pour la publicité et la vente du tabac et de l'alcool. » · Afin d'augmenter le taux de réussite aux examens officiels dans les établissements secondaires de la ville d'Ébolowa ; en début d'année scolaire 2004-2005, la vente des boissons alcoolisées à proximité de ces établissements a été interdite. Ø la taxation · La taxation à l'importation des boissons alcoolisées a été revue à la hausse à la suite de la décision ministérielle n° 660 /cf/ MINEFI du 29 décembre 2004. Cette taxation s'est effectuée comme suit : Tableau 5 : Taxation des boissons alcoolisées à l'importation
Source : MINEFI, 2004
Les organisations travaillent souvent en partenariat. À travers des enquêtes et l'examen de documents officiels ; ils fournissent des informations sur la consommation d'alcool des jeunes et interpellent les autorités compétentes sur la gravité du fléau. Par ailleurs, les alcoologues sensibilisent régulièrement les jeunes sur les moyens de prévention. C'est dans cette optique que l'OMS fait de « la lutte contre l'alcoolisme »38(*) l'une de ses priorités.
L'enseignant est une personne ressource dans la lutte contre l'alcoolisme juvénile. En effet, dans l'Article 37 de la loi n°98 (op. cit.) « L'enseignant est le principal garant de la qualité de l'éducation. » Ce qui veut dire qu'en procédant à l'éducation à la santé, l'enseignant apprend à l'élève les dangers de l'alcool et lui donne les moyens de prévention. Cependant, nous observons que l'alcoolisme est un sujet qui n'est pas assez abordé dans nos salles de classe.
Les parents ont un rôle fondamental dans l'éducation de leurs enfants. Cependant, il s'avère que c'est la « mère de famille » qui soit la mieux placée pour éviter l'alcoolisme des enfants. Elle peut réduire les risques de consommation des alcools en rangeant les bouteilles hors de la portée des enfants, en prenant l'habitude de servir des boissons sans alcool aux visiteurs. Elle peut aussi encourager sa famille à la pratique des activités sportives (jogging, football...). Ainsi, chaque agent à un rôle primordial à jouer dans la lutte contre l'abus d'alcool. Cependant, nous verrons à la suite qu'il s'agit d'un combat très difficile. 2. Les limites des politiques de prévention contre l'alcoolisme au Cameroun La lutte contre l'alcoolisme des jeunes est très difficile. En effet, d'une part, les moyens mis en place par les alcooliers (industriels) sont nombreux (annonces publicitaires, promotion de vente, jeux-concours...) ; d'autre part la consommation d'alcool se fait souvent de manière séculaire et dont l'enracinement tient à la tradition (vin de palme), la religion (vin de messe), les manifestations (foire, caravane)...
Les supports publicitaires apparaissent comme les outils les plus attractifs à l'alcool. En effet, grâce aux médias tels que la télévision, la radio, les journaux, les affiches publicitaires... les agents buveurs et non buveurs apprennent à se familiariser à la boisson. Au Cameroun, la publicité sur les boissons alcoolisées a atteint son paroxysme. C'est dans cette optique que Bertrand BOUGHA a initié le forum « Une nouvelle monnaie d'échange au Cameroun : Les capsules de bière ont remplacé le franc CFA dans la capitale »39(*). En effet, ce forum est très révélateur puisque tous les participants s'accordent à reconnaître l'agressivité des alcooliers qui ont les moyens de leurs politiques « presque tous les consommateurs de bière au Cameroun ont une chance de gagner ». Autrement dit sachant que ce qui empêche certains jeunes de boire est le manque d'argent alors « pourquoi ne pas boire si c'est gratuit ?» et lorsqu'on peut gagner un véhicule Toyota Prado ? Les jeunes semblent ne pas comprendre les raisons de cette générosité (Foire Promote, Festival Guinness, bouteilles gagnantes...) et pourtant la stratégie est simple : « ces brasseries sont gagnantes à long terme, car une fois la dépendance installée, les alcooliques ne pourront plus se passer de ses poisons ». Par ailleurs, les incitateurs savent que de nombreux jeunes qui refusent l'alcool pratiquent des activités sportives. Ils attaquent de plus en plus ce domaine par le sponsorat. Comment expliquer que le « Supporter n°1 du football »40(*) au Cameroun soit un industriel d'alcool ?
Nous avons vu que les pouvoirs publics mettent en place des politiques autoritaires pour éviter l'alcoolisme juvénile. Là où le bât blesse, c'est la bévue des revendeurs des boissons alcoolisées (bars, boîtes de nuits, snack-bars, foires...). Ces derniers exercent même à proximité des établissements scolaires et offrent la boisson aux mineurs. L'action des forces de l'ordre à Yaoundé, qui consiste à fermer les débits de boissons à minuit, n'aide en rien les jeunes buveurs qui boivent aisément plus tôt (avant 24 heures) ou changent de débits (boîtes de nuits, bars dancing...).
Le refus d'alcool ne peut se faire sans une volonté manifeste de la victime. Cependant, dans le cas particulier des hommes, l'alcool est un indicateur de virilité. Un jeune qui ne boit pas n'est pas un « Homme ». Cela s'observe le plus souvent lors des consommations de masse (fêtes, anniversaires, balades...) où chaque jeune qui veut se sentir admiré doit montrer le niveau maximum de sa tolérance à l'alcool.
La consommation d'alcool des jeunes revient dans diverses études au Cameroun, parmi lesquelles l'EDSC-III réalisée en 2004 Cette enquête relate les risques des MST et des grossesses non désirées (occasionnant des avortements à risque) chez les jeunes de 15 à 24 ans. En effet, le consommateur d'alcool devient excité et perd son contrôle. Dans ce cas, le jeune peut oublier l'utilisation du préservatif. Le tableau 7 traduit le désir sexuel des jeunes après une prise d'alcool. Tableau 6 : Pourcentage de jeunes ayant eu des rapports sexuels dans les 12 derniers mois après avoir bu de l'alcool.
Source : EDS-III, 2004 D'une manière générale, nous pouvons dire à travers ce tableau, que les rapports sexuels après consommation excessive d'alcool sont très appréciés par les jeunes. Entre autres : · la fréquence des rapports évolue avec l'âge ; · les jeunes ayant un « petit ami » (ou une « petite amie ») se livrent les plus aux rapports ; · le milieu rural est le lieu privilégié des rapports sexuels ; · les jeunes mieux instruits sont plus préventifs contre les pratiques sexuelles à risque. En somme, ce chapitre II nous montre que les européens sont les plus grands offreurs et consommateurs des boissons alcoolisées. Mais la consommation d'alcool est un danger pour la santé de la victime elle-même et de son entourage. De plus, l'alcool est à l'origine de nombreux troubles sociaux (accidents, chômage...) et familiaux (séparation, enfant en difficulté) ; et dans tous les cas, les femmes et les jeunes sont plus vulnérables aux nuisances de l'alcoolisme. C'est le cas au Cameroun où quelques études ciblées montrent l'état aggravé de la consommation d'alcool. Il ressort, entre autres, que le sexe, l'âge, le type de famille, le niveau d'instruction, le lieu de résidence, le statut matrimonial sont des facteurs explicatifs de la consommation d'alcool chez les jeunes. CONCLUSION PARTIELLE Au terme de cette première partie, nous pouvons dire que les problèmes de santé intéressent de plus en plus les économistes. À propos du sujet d'alcoolisme, des modèles illustrent le fait qu'il constitue une externalité négative contrairement à l'éducation qui permet l'amélioration du capital humain. En effet, alors que les coûts sociaux et sanitaires de l'alcoolisme sont de plus élevés, la production des boissons alcoolisées continue d'augmenter malgré les mesures de lutte entreprises par certains agents économiques. En particulier, les jeunes disposent de plus en plus des moyens et des opportunités de s'offrir des alcools. De plus, les techniques de ventes des alcooliers sont de mieux en mieux élaborées ; les jeunes s'en trouvent les premières victimes. Par ailleurs, de nombreuses études interpellent d'ores et déjà les autorités compétentes à faire de la lutte contre l'alcoolisme juvénile une de leur priorité en matière de santé publique. C'est l'étude des politiques de cette lutte contre les boissons alcoolisées qui sera l'objet de la deuxième partie. * 35 J. M. Boutot, « Aide-mémoire d'hygiène alimentaire », Lanore, page 50 * 36 Troisième Enquête Démographique et de Santé au Cameroun réalisée en 2004 * 37 OUA / UA, « Déclaration et du Plan d'action sur la lutte contre l'abus et le trafic illicite de la drogue en Afrique (2002-2004) », adoptés lors de la 38ème session ordinaire de la Conférence tenue à Durban (Afrique du Sud) * 38 OMS, « Journée Mondiale de la Santé : Situation actuelle de la Santé mentale au Cameroun et Perspectives d'avenir », Centre Municipal de Yaoundé, 2001 * 39 www.grioo.com/info/forum C'est la source de toutes les citations de cette partie 1, sauf mention * 40 Slogan de la marque de bière «33« EXPORT |
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