La consommation d'alcool en milieu scolaire : cas de la ville de Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Ulrick Lilyan MVE ONA Institut Sous-régional des Statistiques et d'Economie Appliquée (ISSEA) - Ingénieur 2006 |
CHAPITRE V : LES FACTEURS EXPLICATIFS DE LA CONSOMMATION D'ALCOOL
« Le fruit mûr te fait du bien, le fruit gâté t'empoissonne » Proverbe pygmée De nombreux facteurs peuvent expliquer la prise d'alcool des scolaires. Cependant, certains sont plus pertinents que d'autres. A travers ce chapitre, nous allons analyser les variables exogènes. Notons d'abord que dans la suite, nous appellerons non buveur toute personne n'ayant jamais consommé de l'alcool, ayant passé une année sans boire ou ayant déclaré avoir arrêté la boisson. Cependant, une personne ayant passé une année sans boire présente un niveau de prévalence encore faible de consommation abusive d'alcool. Un buveur, quant à lui, sera une personne qui consomme actuellement les boissons alcoolisées ou qui a arrêté d'en consommer pendant un moment mais qui a l'intention d'en boire à nouveau. C'est en ces termes que nous allons rechercher des variables explicatives, procéder à une analyse de données et proposer un modèle de la consommation d'alcool des scolaires. SECTION 1 : LA RECHERCHE DES VARIABLES EXOGÈNESDans cette première section, nous allons identifier les variables qui expliquent la situation alcoolique (buveur ou non buveur) d'un apprenant. Pour cela, nous interpréterons les statistiques de tests d'association de variables. 1. Les variables sociodémographiques
La plupart des élèves sont des buveurs d'alcool (68,5%). Cependant, la situation de consommation (buveur ou non buveur) dépend de l'âge (÷2=26,266 ; p=0,00)48(*) comme le présente le tableau 28. Tableau 27 : Distributions conditionnelles des élèves suivant la situation alcoolique et l'âge
Source : ECAS, nos calculs La consommation d'alcool est plus fréquente chez les jeunes sortis de l'adolescence entre 18 et 21 ans (77,6%) et ceux entourant ces âges, c'est-à-dire entre 15 et 18 ans (70,7 %) et entre 21 et 24 ans (70,0%), que chez le reste des élèves. Cependant, un V de Cramer = 0,161 montre que la relation entre le fait d'être buveur ou pas et l'âge de l'apprenant est faible.
Les proportions des consommateurs sont respectivement élevées chez les animistes (100%), les catholiques (71,2%), les protestants (70,9%) et les autres chrétiens (60,4%). Elles sont moins fortes (33,3%) chez les autres religieux (musulmans, bouddhistes...) comme le montre le tableau 29. Tableau 28 : Distributions conditionnelles des élèves suivant la situation de consommation et la religion
Source : ECAS La consommation des boissons (vin) est symbolique pour certaines religions (christianisme) alors qu'elle est prohibée dans d'autres (Islam). Le fait de boire ou pas dépend de la religion (÷2=36,751 ; p=0,00). Cependant, cette dépendance est faible pour un V de Cramer = 0,192.
La situation matrimoniale du CM permet de distinguer les familles unies (marié ou concubin) des familles séparées (célibataire, veuf, divorcé ou séparé) dans lesquelles évoluent les apprenants. Le tableau 30 permet d'apprécier l'effet de cette situation précitée. Tableau 29 : Distributions conditionnelles des scolaires suivant la situation de consommation liées à l'état matrimoniale du chef de ménage.
Source : ECAS, nos calculs Il existe une faible liaison (V de Cramer = 0,108) entre le fait pour un élève d'être buveur ou non buveur et l'état matrimonial du CM (÷2=11,544 ; p=0,009). Cependant, les élèves dont un parent (père, mère...) au moins est décédé sont les plus disposés à la consommation d'alcool (80,2%). Ensuite viennent les enfants dont les parents ont divorcé ou se sont séparés (76,2%), puis ceux qui sont à la charge d'un célibataire (72,3%). Ce sont les élèves qui vivent dans une famille unie qui consomment beaucoup d'alcools (65,4%). Ainsi le manque d'affection occasionne la prise d'alcool chez le jeune.
Dans le tableau suivant, nous verrons que les proportions des consommateurs diffèrent suivant la classe fréquentée. Tableau 30 : Distributions conditionnelles des apprenants suivant la situation de consommation liées au niveau scolaire
Source : ECAS, nos calculs Dans les établissements secondaires d'enseignement général, les élèves consommateurs d'alcool sont plus fréquents dans les classes du second cycle : Seconde (78,1%), Terminale (73,9%) et première (70,7%). Ces élèves ont la particularité d'être les plus âgés et par conséquent sont moins surveillés. Par contre dans le premier cycle, la fréquence de consommateurs a tendance à s'accroître de la 6ème en 4ème, avant de diminuer en classe de 3ème. En effet, dans cette dernière classe, certains élèves « sérieux » arrêtent de boire afin de se préparer au BEPC. Malheureusement, il s'agit d'un arrêt temporaire, l'augmentation spontanée de 11,9% de la fréquence des buveurs en Seconde signifie que la récidivité de l'alcoolisme est très dangereuse. Les jeunes veulent souvent rattraper le « temps perdu » dans l'abstinence. Ainsi, pour un élève du secondaire, consommer ou non de l'alcool dépend de la classe fréquentée (÷2=16,462 ; p=0,00). Néanmoins, cette dernière liaison n'est pas significative (V de Cramer = 0,011).
Le bilan d'une année scolaire est essentiellement évalué en terme de réussite (passage en classe supérieure) ou d'échec (redoublement). Le système éducatif camerounais tolère jusqu'à deux (2) échecs49(*). Le tableau 32 présente une situation scolaire alarmante. Tableau 31 : Distributions conditionnelles des élèves suivant la situation de consommation liées par le redoublement
Source : ECAS, nos calculs Le tableau 32 montre que les retards scolaires sont fréquents. Il y a des élèves qui sont à 3, 4 ,5 ,6 ou 7 redoublements. Les proportions sont très élevées chez les buveurs ; ces derniers se retrouvent massivement parmi les élèves ayant connu 4 redoublements (84,4%) et 5 redoublements (78,3%). Ainsi, il y a une relation entre le nombre d'échecs connus et le fait de consommer des alcools ou pas (÷2=11,544 ; p=0,009)50(*). Même si un V de Cramer = 0,108 indique que cette relation est faible, nous avons vérifié que parmi les 10 élèves ayant redoublé 6 ou 7 fois, seuls 3 d'entre eux n'ont jamais consommé de l'alcool. 3. Les variables liées à la connaissance de l'alcoolisme
Les personnes en état d'ivresse ont souvent des hallucinations et il est souvent difficile de dialoguer avec elles. Les jeunes croient souvent qu'elles bavardent avec des êtres imaginaires. Pour mesurer la connaissance des personnes en état d'ébriété, les élèves ont répondu, entre autre, à cette question : « D'après vous, lorsqu'un individu est ivre, peut-il entendre seul des voix ? ». Les réponses sont les suivantes : Tableau 32 : La connaissance des hallucinations auditives des ivrognes
Source : ECAS, nos calculs Ce tableau 33 montre que la plupart des apprenants (63,9%) savent que les ivrognes ont des hallucinations. Cependant, ce sont les élèves buveurs (66,2%) qui ont une meilleure connaissance de problème alcoolique. En outre, le fait de connaître ou pas les hallucinations des alcooliques est lié à la situation de consommation de l'apprenant (÷2=4,2961 ; p=0,038). Mais cette liaison est très faible comme l'indique la statistique V de Cramer = 0,070.
À la question de savoir la principale raison de refus de consommation de la boisson, les élèves qui ne boivent pas ou qui veulent arrêter la prise d'alcool évoquent un certain nombre de motifs figurant dans le tableau 34. Tableau 33 : Les raisons de refuser la consommation d'alcool
Source : ECAS, nos calculs Au vu de ce tableau 34, nous constatons que les premières raisons qui expliquent 65,3% du refus d'alcool sont respectivement les maladies (34,0%) et les malaises après consommation (31,4%). Les deuxièmes motifs (22,8%) sont respectivement les manques d'argent (11,8%) et les interdictions religieuses (11,0%). L'haleine et l'urine de l'alcoolique ont une mauvaise odeur, c'est ce qu'évitent 4,2% des apprenants. Par contre, l'interdiction des parents (4,1%) et l'augmentation des prix des boissons alcoolisées par le Gouvernement(3,5%) sont malheureusement les politiques les moins influentes. Par rapport aux non buveurs, les buveurs sont plus sensibles aux problèmes sanitaires tels les malaises et les maladies. Concernant le manque d'argent et les interdictions religieuses, ce sont les non consommateurs respectivement 8,5% et 7,0% qui en font des raisons majeures. Ainsi nous avons une liaison entre le fait de boire ou pas et la raison d'éviter l'alcool (÷2=35,63 ; p=0,000)51(*). Le V de Cramer = 0,244 indique que cette liaison n'est pas très faible.
Pour connaître le degré d'attachement des élèves à leur raison d'éviter l'alcool, les élèves non buveurs et ceux désirant arrêter de boire ont répondu à la question suivante : « Si le problème que vous avez évoqué précédemment ne se posait plus, pourriez-vous consommer aisément des boissons alcoolisées ?». Les réponses sont résumées dans le tableau suivant : Tableau 34 : Distributions conditionnelles des élèves suivant la situation de consommation et de la ténacité à boire
Source : ECAS, nos calculs Il s'avère que la majorité de ces apprenants (72,2%) tiennent à éviter la consommation des boissons alcoolisées. D'une part, les non buveurs (41,3%) ont plus de volonté à éviter l'alcool que les buveurs désireux de ne plus boire (30,9%). D'autre part, les buveurs (21,0%) sont plus disponibles à évoluer dans l'alcoolisme que les non buveurs (6,8%). Le résultat du test de Khi-deux (÷2=48,863 ; p=0,000) montre que l'association entre la situation de consommation et la ténacité à ne pas boire est vérifiée. Un V de Cramer=0,295 indique que cette liaison est moins faible que les précédentes liaisons évoquées. 4. La consommation du tabac (cigarette) Bien qu'elle soit faible (V de Cramer = 0,181), l'association entre les consommations d'alcool et du tabac (cigarette) ne peut être remise en cause (÷2=33,228 ; p=0,000). Tableau 35 : La double toxicomanie : alcool et tabac
Source : ECAS, nos calculs Effectivement la minorité des élèves fumeurs (19,7%) est constitué en grande partie des buveurs d'alcool (16,8%). Par ailleurs, concernant les non fumeurs, ce sont les buveurs (51,7%) qui restent dominants. Bien que l'alcoolisme et le tabagisme soient deux fléaux qui nuisent gravement les jeunes camerounais, il va de soi que ce sont les élèves buveurs mais non fumeurs qui constituent la majorité des élèves (51,7%) ; alors que les fumeurs mais non buveurs sont minoritaires (2,9%). En somme, nous pouvons dire que la rechercher présomptueuse des variables en relation avec la situation alcoolique des élèves s'avère fructueuse. D'après le test de liaison de Khi-deux, les variables suivantes sont retenues : l'âge, la religion, l'état matrimonial du chef de ménage, le niveau scolaire, l'échec scolaire, la connaissance des hallucinations auditives en cas d'ivresse, la raison d'éviter l'alcool, la ténacité à lutter contre l'alcoolisme et la consommation du tabac. Par ailleurs, il semble nécessaire de distinguer les modalités qui expliquent vraisemblablement les situations buveur et non buveur des élèves. * 48 Toutes les conditions du test de Khi-deux ne sont pas remplies : 1 cellule (soit 8,3% des 12 cellules) a un effectif théorique inférieur à 5 * 49 Cas d'un élève qui débute à l'âge de 6 ans à la SIL * 50 6 cellules (33,3%) ont un effectif théorique inférieur à 5 * 51 Résultat à prendre avec précaution : le tableau comprend 2 cellules d'effectifs théoriques inférieures à 5. |
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