SECTION II : LA QUESTION DES ACTIONS EN
RESPONSABILITE
Dans la législation OHADA, l'atténuation du
régime des nullités est contre balancée par des actions en
responsabilité civile plus larges. La responsabilité civile est
entendue comme l'obligation de réparer le dommage causé à
autrui par un acte contraire à l'ordre juridique159.
Elle concourt à sanctionner le non-respect des
obligations d'information et de publicité devant éclairer le
public. Il faut dès lors voir les règles de la
responsabilité du débiteur de l'information (§1) avant
d'envisager la conséquence immédiate de la mise en jeux de ces
règles qui est la réparation du préjudice de la victime
(§2).
§1. LES REGLES DE LA RESPONSABILITE DU DEBITEUR
DE L'INFORMATION
La responsabilité civile n'a pas qu'une fonction de
réparation du dommage. Elle a aussi une fonction préventive
importante qui consiste à dissuader les parties débitrices de
l'information car l'opération d'acquisition des titres met souvent en
jeu des grosses sommes d'argent que le législateur souhaite
protéger des individus indélicats. La crainte des sanctions
pécuniaires parfois proportionnelles au montant est une véritable
sanction morale en cas de réalisation de l'acte dommageable. Cette
sanction, bien qu'applicable aux acquisitions de titres obéit aux
règles de droit commun de la responsabilité civile qui impose
certaines conditions telle la faute (A) le préjudice (B) et un lieu de
causalité entre la faute et le dommage (C).
A. La faute du débiteur de l'information
L'acquisition des titres sociaux met en lumière
plusieurs acteurs. Alors que l'obligation d'information de l'acquéreur
des titres pèse principalement sur la société
émettrice, il faut tout de même relever que plusieurs personnes
participent à la manifestation des informations vraies. Il s'agit des
fondateurs de la société, des
159 V. LETOURNEAU (P.) et CADIET (L.), Droit de la
responsabilité, Dalloz, Paris, 1996, p.1.
sociétés de bourses, des intermédiaires
impliqués dans ces opérations et parfois de l'organe de
surveillance des marchés boursiers160.
En effet la faute ayant donné lieu au préjudice
dont la réparation est demandée peut être de deux natures.
L'acte dommageable se traduisant donc par la transgression d'une règle
juridique quelqu'en soit l'origine (légale ou jurisprudentielle,
volontaire (délit civil) ou involontaire (quasi délit civil), la
faute peut résulter d'une violation de l'obligation contractuelle
(garantie de valeur, garantie de conformité, ou garantie des vices
cachés)).
Concrètement, les dirigeants sociaux par exemple
peuvent être tenus pour responsables ou coupables des comportements
qualifiés de dolosifs ayant conduit à l'annulation du contrat.
Dans ce cas, leur responsabilité contractuelle pourra être
retenue.
C'est aussi le cas des commissaires aux comptes qui sont
supposés certifier après vérifications des informations
financières mises à la disposition du public. L'on peut par
exemple envisager la condamnation des commissaires aux comptes d'une
société pour un délit de fausses
informations161. Ainsi, les associés et les dirigeants
peuvent être tenus solidairement responsables de l'annulation de la
société pour défaut d'information.
Pour les dirigeants sociaux, il faut qu'ils aient commis une
faute dans l'exercice de leurs fonctions162. C'est ce qui justifie
que l'OHADA soit regardant sur cette faute qui entraîne leur
responsabilité même en cas de disparition de la cause de
nullité163. Il faut préciser par ailleurs que la
responsabilité peut être retenue du fait d'autrui164.
Un acteur considère d'ailleurs que l'émission des valeurs
mobilières à travers l'offre est une stipulation pour
autrui165. En plus de la faute commise, il faut
nécessairement que celle-ci ait entraîné un
préjudice.
160 La responsabilité de l'Etat peut être retenue
pour défaillance du système de régulation des
marchés financiers.
161 TGI de Paris, 11ème chambre, 27
Févier 1998, note RONTCHEVSKY (N.), Bulletin mensuel d'information des
sociétés, Joly, p. 925-951.
162 V. Articles 78, 162 et 165 de l'AUSCGIE.
163 Art. 25 AUSCGIE.
164 Par exemple en cas de démarchage, pour les
démarcheurs qui agissent pour le compte de la société.
165 V. TREBULLE (F.G.), op. Cit., p.2.
B. Le préjudice
Pour que la réparation ait lieu, il faut que l'absence
d'information ou la communication d'informations mensongères ait
causé un préjudice à l'acquéreur des titres.
A ce sujet, l'article 78 de l'AUSCGIE dispose que : « les
fondateurs, ainsi que les premiers membres des organes de gestion, de direction
ou d'administration, sont solidairement responsables des préjudices
causés soit par le défaut d'une mention obligatoire dans les
statuts, soit par l'omission ou l'accomplissement irrégulier d'une
formalité prescrite pour la constitution de société
». Il en est de même en cas de modification des statuts. L'action en
responsabilité dans ces cas se prescrit pour cinq ans166. Le
préjudice doit être certain et direct. La jurisprudence a
cependant admis la réparation d'un préjudice éventuel. Par
exemple si toutes les informations avaient permis l'acquisition du
contrôle d'une société par achat d'une grande partie des
titres en bourse. Il s'agit dans ce cas de la perte d'une chance, ici le
préjudice n'est pas direct. La perte de cette chance doit être
réelle et sérieuse. Le préjudice doit également
être légitime. La victime du dommage a donc un large champ qui lui
est ouvert, elle peut choisir entre une action en responsabilité civile
délictuelle ou contractuelle selon le cas, le cumul n'étant pas
possible. Un avantage lui est offert car en matière de
responsabilité contractuelle, le dommage doit être prévu ou
prévisible167 lors du contrat alors que tel n'est pas le cas
en matière de responsabilité civile
délictuelle168. Après avoir envisagé ces deux
conditions de mise en °uvre de la responsabilité civile que sont la
faute et le dommage, il faut préciser que ces deux doivent être
liées par un lien de causalité.
C. Le lien de causalité
L'existence du lien de causalité traduit le fait que la
faute ait conduit directement au préjudice qui doit donner lieu à
réparation169. C'est l'hypothèse d'un
166 V. ANOUKAHA (F.), ABDOULLAH CISSE, NDIAW DIOUF, NGUEBOU
TOUKAM (J.), POUGOUE (P.G), MOUSSA SAMB, sociétés commerciales et
GIE, op. Cit. p.11.
167 Dans les clauses de garantie par exemple ou dans le cas de la
faute d'un dirigeant social.
168 V. TERRE (F.), SIMLER (P.), LEQUETTE (Y.), Droit civil, les
obligations, 5e Edition, Dalloz, Paris, p.633.
169 LETOURNEAU (PH.), CADIET (L.), op. cit., P.231.
dirigeant social qui omet de publier les comptes de la
société ou commet une erreur dans la publication de ces comptes.
La faute ici découle de la non publication des comptes ou de la
publication de faux comptes. Le dommage est l'appréciation
erronée qui a été faite des faux comptes publiés.
Le lien de causalité est le fait que si le dirigeant social n'avait
failli à son devoir de vigilance, en publiant de faux comptes ou en
s'abstenant de les publier, la partie contractante n'aurait pas eut à
faire une appréciation fausse de la situation financière de
l'entreprise.
§2. LA REPARATION DU PREJUDICE
L'action en responsabilité civile comporte beaucoup
d'avantages contrairement aux actions en nullité.
L'octroi des dommages et intérêts est une source
de souplesse qui permet au juge de moduler la sanction en fonction du
préjudice subit. L'utilisation de la responsabilité permet le
rééquilibrage du contrat.
Le montant des dommages intérêts alloués
par le juge doit couvrir l'intégralité du préjudice
réparable même si en matière de responsabilité
contractuelle, le préjudice imprévisible est exclu du
préjudice réparable.
Lorsque l'obligation en cause est une obligation de
moyen170, il faut absolument prouver la faute commise par le
débiteur avant d'obtenir réparation. C'est-à-dire un
manquement caractérisé à l'obligation contractuelle qui
lui est imputable. C'est le système de la faute prouvée alors que
lorsque l'obligation est de résultat le débiteur est
engagé dès l'instant où l'inexécution est
constatée. La responsabilité est donc présumée.
Pareille occurrence se rencontre quand le débiteur de l'obligation est
un professionnel. Dans une affaire, la cour d'appel de Versailles a fait droit
à la demande en règlement d'un solde débiteur et au
paiement des dommages intérêts par le souscripteur au soutient de
ce que les opérations boursières sont connues de tous pour leurs
risques, le souscripteur s'étant contenté de la
spéculation. Cette cour d`appel a très vite été
désavoué par la cour de cassation, lui reprochant le fait que le
montant précis à payer n'avait pas été porté
à la connaissance du souscripteur alors qu' « il incombe au
professionnel d'indiquer
170 Ce qui est le cas dans l'obligation d'information.
au client profane le montant du complément de
couverture à fournir et de lui apporter les informations
nécessaires sur les risques attachés aux opérations
boursières »171.
Ainsi, en cas d'obligation de résultat
l'inexécution donne automatiquement lieu à réparation. La
jurisprudence évalue le montant de l'indemnité au jour du
jugement définitif. L'action en responsabilité ne doit en aucun
cas suppléer une action qui existe au profit de la victime. Mais la
responsabilité civile peut être la résultante d'une action
pénale.
Les sanctions civiles qui ont fait l'objet de notre analyse
dans ce chapitre montraient en quoi la sanction de la violation de l'obligation
d'information peut être efficace. Nous avons constaté que s'il est
vrai que les actions en nullité protègent cette information,
celles-ci ne sont qu'exceptionnellement admise et ont des effets limités
mais que le législateur OHADA a compensé cet état de chose
par une extension des actions en responsabilité civile.
Il faut toute fois relever que d'autres sanctions sont
également prévues notamment sur le plan administratif et
pénal.
171 V. KLEITZ (C.), Etendue de l'obligation du courtier en
matière d'opérations boursières, Lamy Droit civil, 01
Avril 2006, n°26.
CHAPITRE II : LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES
ET PENALES
Le droit de la responsabilité civile qui permet de
sanctionner les atteintes à l'obligation d'information est
renforcé par la mise à la disposition des potentiels
investisseurs des sanctions pénales et administratives. Les sanctions en
droit OHADA ne sont pas sans poser de problèmes. En effet, le droit
OHADA a maintenu les procédés traditionnels de sanctions des
violations de la loi. Il a prévu certaines incriminations172
et laisse le soin aux législateurs nationaux de fixer les sanctions. La
conséquence directe est la disparité des sanctions. Une
infraction sanctionnée par une loi Camerounaise par exemple d'un
emprisonnement de 2 ans, sera sanctionnée de 3 ans en Côte
d'Ivoire. Cette asymétrie de sanctions conduirait à ce que
certains auteurs ont qualifiés de "paradis pénaux"173.
C'est dire que des individus de mauvaise foi pourraient cibler des pays dans
lesquels investir car, ils seront moins sanctionnés. La
criminalité des affaires sera importée vers ces Etats qui ont une
certaine souplesse. Le droit OHADA gagnerait donc à uniformiser
également ces sanctions.
Par ailleurs, il faut noter que l'investisseur étranger
à l'espace juridique OHADA peut rencontrer de véritables
difficultés quant il s'en référera au système de
protection de l'information. En effet, certaines incriminations prévues
par le législateur OHADA font également l'objet de sanctions par
les autorités administratives par exemple lorsque la
société fait appel public à l'épargne. Les
règlements des organismes sont différents en fonction de la sous
région et même par pays174. Les atteintes au droit
à l'information des investisseurs sont réprimées, dans
l'espace OHADA par les autorités administratives des bourses composant
les deux sous régions de l'espace OHADA175 d'une part
(Section I) et des sanctions pénales prévues à la fois par
le droit pénal général des Etats parties et par le droit
pénal des
172 Pour ce qui est du droit pénal des affaires.
173 ANOUKAHA (F.), ABDOULLAH CISSE, NDIAW DIOUF, NGUEBOU TOUKAM
(J.), POUGOUE (P.G), MOUSSA SAMB, Sociétés commerciales et
GIE,op. cit. , n°237, p.237.
174 KENGUEP (E.), La systématisation du régime
répressif camerounais des infractions boursières, in Juridis
périodique n° 71, Juillet -Août-Septembre 2007, p.72.
175 La CEMAC qui comprend la BVMAC et la DSX et l'UEMOA qui a la
bourse régionale des valeurs mobilières.
affaires OHADA (Section II) d'autre part. Il faut
préciser que les sanctions administratives concernent les professionnels
qui interviennent sur le marché boursier pour la plupart.
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