B) L'aérodrome : une solution d'opportunité
pour la question nomade
1) La question nomade : raison d'être de
l'intercommunalité et syndrome NIMBY des élus et usagers
« Nos collectivités locales se devaient donc,
à un moment ou à un autre, de s'intéresser à ces
plaines naturelles pour préserver l'un des rares poumons verts de la
métropole, pour le bienêtre de nos populations ». Ces
propos furent tenus par l'actuel maire de Wambrechies en 1996, lors de la
réunion publique organisée par les quatre villes afin de
publiciser leur union. Lors de cette conférence où la presse
locale avait été invitée, personne n'aborda la question de
l'utilisation de ces « plaines naturelles » pour l'accueil temporaire
de gens du voyage. Pourtant, depuis les années 90, L'État,
propriétaire du terrain (jusqu'en 2007), utilise quelques hectares de
celui-ci afin de proposer
137 Entretien du 9/04/09.
aux communautés nomades des zones provisoires. Du
côté des élus, la question nomade, même si elle ne
paraît pas être aussi mise en avant que l'utilisation du territoire
en tant que zone verte vis-à-vis du public et de la presse,
apparaît pourtant comme primordiale et nous soutenons ici que l'aventure
intercommunale a ici une de ses principales justifications.
Depuis 1990138, des dispositions juridiques
imposent aux communes de plus de 5000 habitants de mettre à disposition
de l'État des terrains afin d'accueillir ces populations nomades. Il ne
fait aucun doute que la question des gens du voyage est l'objet de tensions
diverses139, reconnues par les pouvoirs publics140. Sur
le plan local en tout cas, les élus ont indiqué au sein de la
déclaration de principe commune141 relative à la
création du syndicat intercommunal qu'un des objectifs de cette union
est de remplir les obligations juridiques précitées. Un
comité syndical d'avril 1997142 était ainsi l'occasion
pour le premier président du SIVOM, Paul Astier, de rappeler que la
préoccupation du SIGAL est la loi Besson.
Si les communes de plus de 5000 habitants sont tenues de
mettre à disposition un terrain à cet effet, l'État quant
à lui, est chargé du respect par les communautés des
durées prévues d'occupation des dites zones ainsi que de la
sécurité et salubrité des lieux, en vertu de ses pouvoirs
régaliens. Une mise en perspective historique de l'accueil des gens du
voyage sur l'aérodrome de Lille-Marcq met en relief à ce sujet
des tensions entre « pouvoir périphérique » et «
centre », tensions incarnées par les relations entre les
élus municipaux (emmenés par les quatre maires) et le
préfet du Nord. Le dépouillement de toutes les
délibérations intercommunales nous permettent de souligner
l'extrême sensibilité des représentants des communes par
rapport aux questions du respect des délais légaux d'occupation
ainsi que de sécurité des sites, notamment vis-à-vis des
habitants permanents des communes. A de nombreuses occasions, les élus
critiquent143 le laxisme du préfet par rapport à ces
thèmes, compétences étatiques. Le préfet quant
à lui, s'est montré défavorable144 à la
solution « solidaire » proposée par les membres du
SIGAL, ces derniers proposant une aire d'accueil temporaire commune
aux quatre municipalités pour les grands rassemblements. A d'autres
reprises, ce sont les élus locaux qui notifient leur refus des
propositions d'aires élaborées par les services
préfectoraux.
138 Lois dites Besson des 31 mai 1990 et 5 juillet 2000.
139 Entre forces de l'ordre et certains membres de ces
communautés par exemple : 60 gendarmes et policiers
confrontés à plusieurs dizaines d'hommes armés, Le
Dauphiné Libéré, 27/06/08.
140 Intervention du secrétaire d'État au logement
L. Besson, à l'Assemblée Nationale, le 24/02/00.
141 Déclaration adoptée par les 4 conseils
municipaux en début d'année 1995.
142 CS du 3/04/97.
143 CS des 8/04/98, 6/05/98, 10/06/98, ou encore 21/03/02. Liste
non-exhaustive.
144 CS du 20/06/97.
Il nous semble que ces oppositions peuvent s'expliquer par le
syndrome NIMBY des élus locaux. NIMBY est l'acronyme pour « not in
my back yard », ou « pas dans mon jardin » en français.
Ce concept, étudié en sciences humaines notamment par les focales
psychologiques et sociologiques145, sert à
caractériser des situations de refus de l'implantation de certains
équipements jugés nuisibles ou dérangeants par des
individus. Ce caractère dérangeant est une représentation,
une construction subjective en fonction de critères et valeurs
politiquement et socialement situées. Si ce phénomène a
surtout été utilisé pour rendre compte de mobilisations de
riverains ou groupements d'habitants, nous émettons l'hypothèse
que celui-ci puisse contribuer à la compréhension de la
sensibilité des municipalités constitutives du SIGAL
à propos des nomades.
Le « jardin » des élus locaux pourrait
être les territoires communaux, territoires à préserver de
certains aménagements afin de conserver un cadre de vie
spécifique146. Les aires d'accueil pour les gens du voyage
apparaissent comme des équipements non désirés par ces
élus. En 1998, les maires indiquent qu'ils s'opposeraient à toute
zone « pas assez distante des habitations »147.
Selon nous, cela illustre le syndrome NIMBY des communes vis-à-vis de la
question nomade. Plus explicites ont été les propos d'un
élu que nous avons interrogé à ce sujet :
« C'est pas qu'on veuille pas les voir mais ils sont
tellement envahissants que...chacun chez soi. »148.
Nous avons également repéré pareil
syndrome parmi les usagers aéronautiques. En 1996, les élus
souhaitent recueillir les avis des usagers de l'aérodrome par rapport
à la future mutation domaniale de celui-ci. Les correspondances
auxquelles nous avons pu avoir accès indiquent que les usagers
souhaitent que les gens du voyage ne s'installent pas dans leur « jardin
» que constitue le champ d'aviation. Certains proposent de déloger
ces communautés sans pour autant proposer d'autres aires tandis que des
oppositions se font jour entre diverses entités concernant les
idées de déplacement de zones dans l'emprise même de
l'aérodrome. Là encore, les entretiens directs permettent
d'appuyer cette thèse du syndrome NIMBY des usagers :
« -Comment vous percevez l'utilisation de l'aérodrome
pour remplir les obligations de la loi Besson ?
145 ION Jacques, « Le cas Nimby (not in my back yard)
», revue Sciences Humaines, La France en débats,
Hors-série N° 39 - Décembre 2002/Janvier-Février
2003.
146 DAVIS M., op. Cit.
147 CS du 8/04/98.
148 Entretien, 9/04/09.
-Bah, bon gré malgré. Ça nous
enchante pas mais si ils sont bien barricadés si je puis dire, sans trop
les enfermer quand même, mais évider que des chiens ou des gosses
qui s'évadent sur la piste.(...)Mais c'est normal, on est bien
obligé, c'est la loi Besson c'est comme ça. Vous avez vu, il y a
une semaine, ils nous ont envahis, à l'entrée. Ah ils
s'embêtent pas, ils viennent avec un bulldozer et hop, ils passent.
»149
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