2) Une solution localisée à l'obligation
Besson
Un à priori juridique consiste à affirmer que
les dispositions législatives et règlementaires sont applicables
de façon uniforme dans tout le territoire français. La sociologie
de l'action publique et du droit ont pourtant mis en échec cette
assertion. Les textes juridiques peuvent en effet faire l'objet de
redéfinitions locales ou circonstanciées car ils n'ont
guère de pouvoirs propres et sont ce que les acteurs sociaux en font.
Si les dispositions des lois Besson ne confèrent en
théorie aux communes qu'une obligation de fournir un terrain à
l'État, nous souhaitons montrer que celles-ci deviennent de fait des
cogestionnaires de cette compétence d'accueil et souhaitent à ce
titre (non octroyé par les lois) être des partenaires
incontournables. Depuis 2002, LCMU est compétente pour la gestion
administrative des
aires d'accueil des gens du voyage, la préfecture ayant
en charge le respect des modalités d'accueil des populations nomades.
Les élus locaux vont en fait, à partir des années 2000,
imposer au préfet et à LMCU une négociation d'une
convention tripartite permettant de qualifier la solution intercommunale
d'accueil150 comme étant conforme aux obligations de la loi
Besson. Les maires mettaient en avant que la gestion par l'État de ce
dossier durant les années 90 était « mauvaise
»151. Ce volontarisme des élus dans ce dossier est
d'autant plus notable que certaines communes avaient déjà
trouvé d'autres emplacements à la suite du refus initial de cette
solution intercommunale. Ainsi, sans entrer ici dans le détail du
processus de négociation entre ces divers acteurs, nous constatons que
des élus locaux ont obtenu du préfet que leur proposition
d'organisation en commun de l'accueil des gens du voyage soit finalement
adoptée et intégrée au schéma départemental
signifie pour eux qu'ils sont dès lors considérés comme en
règle avec la loi :
« Donc on a calculé un certain nombre de
nuitées. Ça été bien fait par les politiques. On a
calculé et on s'est dit ben voilà ça correspond aux
obligations des quatre communes avec un camp permanent et ben là on
va le faire en provisoire. On a dit que Marquette avec 10000 habitants,
Wambrechies-Bondues c'est tous entre
149 Entretien 11/05/09.
150 Création d'une aire d'accueil de 400 caravanes maximum
divisée en quatre espaces dans l'emprise de l'aérodrome.
151 CS 21/03/03.
10-12000, nous 40000 en camp permanent ça fait tant
de places, tant de nuitées et bien nous va faire toutes ces
nuitées, on les regroupe et on va faire tout ça ici. On le fait
sur les rassemblements religieux, la braderie. (...)Bah tout le monde
était content...on va pas jouer les faux-culs, on a réglé
le problème des gens du voyage comme ça pour les quatre communes.
Et ça été acté avec l'État, c'est reconnu
comme mise à jour avec nos obligations avec la loi Besson.
»152.
Si la loi du 5 juillet 2000 mettant en avant la
possibilité de solutions intercommunales, cet épisode montre bien
que les acteurs étatiques doivent composer avec les collectivités
locales dans un permanent « jeu du compromis »153et que
des dispositions à priori impératives et non négociables
se retrouvent redéfinies en fonction des interactions locales et du
lobbying des élus.
Le syndrome NIMBY diagnostiqué chez les élus
municipaux, nous allons voir comment celui-ci s'est traduit dans les faits. Les
travaux d'aménagement des aires d'accueil définitives ont
été entamés durant l'année 2009, la presse locale
s'étant d'ailleurs faite l'écho de ces chantiers154.
L'aérodrome se révèle géographiquement isolé
des logements permanents des communes de Bondues, Marquette, Marcq et
Wambrechies. Pourtant, il a été décidé que les
espaces pour les communautés nomades soient « sectorisés
»155 par de hauts talus de terre. Un autre élu local
nous disait la même chose plus clairement encore : « on fait
monter une butte comme ça on isole les gens du voyage
»156.
Cette logique de sectorisation des aires nomades
n'est pas nouvelle puisqu'en 2002 déjà, le maire de Wambrechies
demandait qu'une clôture soit installée « en
défense »157 des gens du voyage. Un an
après158, le même élu affirmait vouloir «
canaliser » les gens du voyage par des buttes en terre. En outre,
en 2006, certains membres du SIGAL confiaient leur crainte que l'aire
d'accueil devienne permanente. Lorsque les élus ont eu à
rédiger un texte présentant leur solution intercommunale, il y
sera réaffirmé le caractère non-permanent de ce type
d'accueil159. Bref, nous soutenons que cette stratégie de
sectorisation de ces zones dans l'emprise d'un aérodrome
déjà naturellement isolé du coeur des villes constitue une
application territorialisée du syndrome « pas dans mon jardin
».
152 Entretien du 9/04/05.
153 Le Lidec P., op. Cit.
154 « L'aire d'accueil de l'aérodrome sera
prête pour la prochaine braderie de Lille », VDN, 13/01/09.
155 Propos du maire de Bondues, P. Delebarre, cité par la
Voix du Nord, ibid.
156 Entretien du 9/04/09.
157 CS 21/03/02.
158 CS 8/02/03.
159 CS 10/04/06.
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Au départ de cette modeste entreprise de recherche,
nous nous interrogions sur la faisabilité et la pertinence d'une
étude portant sur un syndicat intercommunal à vocations multiples
chargé d'entretenir et d'aménager un petit aérodrome
local, dont l'équipement s'avère sommaire comparativement
à des plateformes telles que Lille-Lesquin ou Merville-Calonne pour
prendre des exemple situés dans le même département. Aux
carrefours de la sociologie de l'action publique et du pouvoir local et
inspirés par les travaux déjà menés, nous avons
souhaité savoir si ce syndicat n'était pas qu'une
créature municipale de gestion de projets divers mis en
cohérence par un discours global par trop simplificateur.
Notre monographie de l'institution intercommunale nous a
permis de ressortir les éléments pouvant s'opposer à la
thèse du pouvoir intercommunal inachevé. Des processus de
routinisation de l'appareil administratif proprement intercommunal, notamment
depuis l'embauche de deux permanentes en 2001, ont ainsi été
observés. En outre, le SIGAL constitue une marque
quelque peu différenciée des communes, ce qui
peut-être appréhendé par l'entreprise de communication
effectuée à ce niveau. Pour autant, nous estimons que les
dispositifs de verrouillage mayoral de l'intercommunalité
montrent bien que l'intercommunalité est bel est bien la chose des
communes génitrices, plus précisément des exécutifs
municipaux. Même si ce territoire se trouve être un espace
imbriqué dans d'autres échelons (LMCU) et systèmes
administratifs (tutelle de la DGAC), les arbitrages décisifs relatifs
aux destinées de l'aérodrome de Lille-Marcq-en-Baroeul se
tiennent au niveau des communes, pour preuve les potentialités de
blocages observés au sujet des questions financières.
Cette intercommunalité communale, est un outil
contribuant à emballer dans une perspective loisirs naturels des projets
assez différents pour peu que nous délions les attaches
constituées par les discours. L'aviation, activité restreinte et
polluante, est pérennisée par les quatre communes, prises dans
« l'illusio »160 de l'aviation-spectacle et de l'aviation
comme thème rentable au plan économique. La prise de
l'aérodrome par les élus et les divers aménagements de
loisirs prévus dans son emprise peut ainsi être observés
comme un exemple localisé voire bourgeois de ré-
160 « le fait d'être pris au jeu, pris par le jeu,
de croire que le jeu en vaut la chandelle, ou pour dire les choses simplement,
que ça vaut la peine de jouer », BOURDIEU Pierre,
Intérêt et désintéressement, Cahiers du
GRS, n° 7, 1988, p. 11.
appropriation des thématiques de défense de
l'environnement et de développement durable. Enfin, ce «
territoire-ressource » a offert aux communes une opportunité de
distanciation de communautés nomades perçues comme
inhospitalières et non-intégrables à la communauté
municipale.
Quoiqu'il en soit, notre travail montre que
s'intéresser à des petits terrains de recherche jusqu'alors
délaissés peut mettre en exergue des éléments
à la fois confirmatifs et complémentaires de contributions
scientifiques précédentes. La décentralisation de plus
d'une centaine d'infrastructures aéronautiques offrent de nouvelles
possibilités d'interroger ce qu'est l'action publique locale et les
systèmes d'interactions entre acteurs multiples mus par des statuts,
intérêts et représentations divers. Par exemple la
sociologie des mobilisation pourra être alimentée par de futures
études portant sur des équipements aéroportuaires dont on
a pu entrevoir de façon très limitée les effets potentiels
sur l'action collective de riverains. La sociologie de l'environnement pourra
quant à elle offrir des outils susceptibles de comprendre comment les
gestionnaires d'aéroports tendent à concilier défense du
transport aérien et développement durable. Bref, nous plaidons
pour la multiplication d'études portant sur des équipements qui
n'ont pour l'instant suscité que peu de « survols ».
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