2)...au terrain vert de plaisance
La thématique du « développement durable
», depuis l'adoption d'une définition au plan mondial en
1987125, a contribué ,semble-t-il, à stimuler la
recherche scientifique en sciences humaines et sociales. Ces disciplines
n'avaient jusqu'alors que peu investi les thématiques environnementales.
Aujourd'hui, nous avons des indices suggérant que cet investissement
s'est effectivement opéré. Ainsi, nous pouvons voir que de
nombreuses formations universitaires voient le jour126 autour de ces
sujets et des revues scientifiques existent127 même depuis
quelques années. Nous avons vu que des politistes comme A. Goxe
soulignent qu'environnement et développement durable constitueraient des
thématiques et registres de l'action publique contemporaine.
Si il nous a été possible de voir que LMCU
semblait avoir intégré cette exigence de prise en compte de la
qualité et du respect de l'environnement au sein de ses politiques
d'urbanisme, notre démarche empirique tend à mettre en
lumière que, depuis la prise de l'aérodrome par les quatre
majorités municipales, celles-ci ont d'emblée adopté un
discours axé autour de la nécessité de sauvegarder cet
espace vert. En 1995, lors d'une réunion publique organisée
à l'occasion de la création du SIGAL, un élu
qualifiait ce territoire de « poumon vert ». Ce qualificatif
s'avère durable en tout cas puisqu'il est encore utilisé
aujourd'hui. Cette registre de défense de cet espace vert se donne
à voir clairement :
« C'est vrai que quand on regarde bien , ça
fait partie d'un des rares espace vert de la métropole de cette
dimension là car il y a environ 150 hectares quand même. Nous,
c'est ce qu'on appelle l'arc Nord, il était pas question pour nous de
laisser partir ça pour en faire une zone d'activités avec la
chambre de commerce. On a voulu le conserver en espace vert, en poumon
vert »128.
A l'instar de ce que relève Corinne
Larrue129, nous pouvons penser que cette
mobilisation territorialisée en faveur d'un espace vert serait
justifiée par le fait que la défense des espaces verts
124 Entretien 20/03/09.
125 Rapport Brundtlant de la Commission mondiale sur
l'environnement et le développement, 1987.
126 Master « politiques de l'environnement et du
développement durable » à Lille II, Master de «
Politiques environnementales comparées » à Versailles
etc...
127 A l'instar de la revue « Développement durable et
territoires ».
128 Entretien avec élu marquois, 9/04/09.
129 LARRUE Corinne, « Environnement et politiques urbaines
», in Paquot T et al., La ville et l'urbain, l'état des
savoirs, La Découverte, 2000, pp. 293-300.
serait une préoccupation majeure des «
collectivités urbaines »130, préoccupation
relayée aux décideurs par la population : « les
riverains demandent aussi à avoir des espaces verts
»131. Nous émettons
l'hypothèse que ces thématiques environnementales «
constituent des ressources de légitimation très forte pour
l'action décidée par le maire aux yeux de l'opinion locale et
constituent des canaux de réaffirmation de l'action publique
»132.
Ayant mis en évidence que ces villes étaient
notamment investies par des populations aisées voire bourgeoises, nous
pouvons nous appuyer sur les travaux de Mike Davis133 pour envisager
le fait que la défense des espaces verts et la lutte contre une
urbanisation continue de ces communes ont été impulsées
par leurs habitants dans une logique conservatrice (ne pas faire évoluer
et croitre la ville et éviter l'arrivée de nouveaux
habitants134). En tout état de cause, les élus, quant
à eux, ont à coeur de défendre ces positions :
« Je trouve qu'on a la chance d'avoir cette surface et
qu'il faut faire très attention à ce qu'on fait pour la maintenir
au milieu de toute la pression foncière qu'on peut avoir de part et
d'autre. »135
Nous pourrions même appréhender cette
démarche de défense de ce territoire vert comme une
réappropriation localisée et peut-être bourgeoise d'un
référentiel environnementaliste.
L'historique des projets envisagés dans l'emprise de
l'aérodrome de Lille-Marcq nous autorise à relativiser
sensiblement le discours ( défense d'un espace vert de loisirs naturels)
tenu par ces acteurs publics locaux. En effet, nous constatons que des projets
peu compatibles avec la défense d'un espace vert naturel ont
été proposés aux élus. Par exemple, une entreprise
de Karting a présenté un projet d'implantation d'une piste dans
l'emprise de terrain d'aviation. Si les élus ont finalement
retoqué ce projet, il apparaît que cette décision a
été justifiée au motif que ce type d'activité
ajouterait des nuisances sonores à celles existant déjà
à cet endroit ( aviation et trafic routier empruntant la rocade
nord-ouest).
Un projet de piste de BMX est actuellement à
l'étude. Si ce type d'activité semble plus compatible en
apparence avec la défense de l'environnement (engins non
motorisés), les aménagements nécessaires vont tout de
même contribuer à modifier les propriété de la zone
(suppression de zones végétalisées au profit de buttes en
terre vierge) et dénaturer136 le territoire.
A ce jour, d'autres aménagements dont la
définition est plus ou moins avancée sont sur la table
: chemins de randonnées, sentiers équestres et cyclables,
clôtures végétalisées, aires de pique-nique,
130 Ibid.
131 Entretien 20/03/09.
132 GOXE A., op. Cit.
133 DAVIS Mike, City of Quartz, Los Angeles, capitale du
futur, La Découverte, 2003, p. 140.
134 ALLEGRAUD J., op. Cit., p17.
135 Entretien du 9/04/09.
136 Dénaturer au sens de processus d'artificialisation
d'un espace.
préservation de l'activité aviation et, nous
l'avons vu, zone commerciale à l'entrée. Si le discours «
vert » semble rodé, le pragmatisme et la gestion « au jour le
jour » semblent guider l'action concrète des élus :
« il y a des choses intéressantes à
faire mais sans faire...c'est un aménagement au jour le jour. On va pas
faire un disneyland machin, un truc au jour le jour. J'attends beaucoup de ce
chemin, comment les gens vont réagir et à partir de là on
va s'adapter aux demandes du public. »137
Notre hypothèse est donc que nous somme
confrontés ici à une mise en cohérence à
postériori d'un ensemble de projets plus ou moins en phase avec le
discours environnementaliste officiel. Le registre de défense d'un
espace vert de loisirs naturels subi dès lors des redéfinitions
permanentes et ré-interprétations diverses, en lien avec l'action
menée.
L'aérodrome pourrait être vu comme un
territoire-guichet susceptible d'accueillir de multiples
aménagements en fonction de l'offre et de la demande locale. La
désynchronisation entre le discours général et les usages
est encore plus flagrante lorsque nous nous intéressons à la
question de l'accueil des gens du voyage par les quatre communes. Il est en
effet difficile de trouver une cohérence entre accueil de populations
nomades en vertu d'une loi et la conservation d'un espace vert.
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