§ 2. Elément moral :
Pour que l'infraction existe juridiquement et que son auteur
en réponde pénalement, il ne suffit pas que celui-ci ait accompli
un acte matériel préalablement défini et sanctionné
par le législateur (ici la transmission sexuelle du VIH/SIDA), encore
faut-il que cet acte matériel ait été l'oeuvre de la
volonté de son auteur. Ceci constitue l'élément moral de
l'infraction.
Dans le cadre de cette incrimination, l'élément
moral est la connaissance qu'a l'agent de son statut sérologique positif
et sa ferme volonté d'agir. Il s'agit donc de savoir au préalable
que son agir produira le résultat délictueux.
L'auteur agit dans le but d'infecter son partenaire sexuel ou
en sachant parfaitement que son comportement entraînera une transmission
du virus.
C'est autrement dire que la volonté délictueuse
présuppose la connaissance de son statut sérologique. Une
personne qui ne connaît pas son statut sérologique, ne pourra
être accusée de transmission intentionnelle.
En cette matière, il est difficile de savoir si
l'accusé connaissait sa séropositivité et les
mécanismes de transmission du VIH au moment du prétendu
délit, si c'est bien l'accusé qui a infecté le plaignant,
ou si la personne séropositive a caché sa
séropositivité au plaignant.
Cette difficulté pose le problème de la preuve.
Pour qu'une personne soit reconnue coupable, le lien de causalité doit
être prouvé entre son VIH et la contamination de la victime,
faute de quoi, on doit appliquer le principe in dubio pro reo.
Mais à la lumière des textes légaux
constituant la base légale de cette incrimination, nous pouvons retenir
que toute personne poursuivie pour avoir transmis sexuellement le VIH/SIDA doit
au minimum être consciente de son statut VIH pour que sa
responsabilité soit engagée. En outre, elle doit comprendre que
le VIH est une maladie transmissible ainsi que ses différents modes de
transmission.
C'est une illusion de penser que les campagnes de
prévention organisées dans la lutte contre le VIH/SIDA,
« nul ne peut prétendre ignorer les règles et modes de
transmission », cette approche nous parait pêcher par
naïveté : la pratique nous montre qu'il ne suffit pas de dire
« protégez- vous » pour que l'ensemble de la
population comprenne et surtout intègre ces règles et modes de
prévention, sinon il n'y aurait pas beaucoup de nouvelles infections.
Par ailleurs, on semble oublier que les relations sexuelles,
amoureuses ou non, puisque c'est principalement de transmission par voie
sexuelle dont il est question en RDC, lorsqu'on parle de pénalisation,
ne se gèrent pas aussi facilement que l'achat d'un ticket de bus. Il y a
de la passion, de l'aveuglement, de la peur, de l'émotion, du sentiment.
Garder à l'esprit les préceptes de prévention dans ces
moments et les appliquer est difficile. Il ne suffit pas d'énoncer des
messages préventifs pour entraîner automatiquement des
comportements adéquats.
STRATENWERTH se demande d'ailleurs s'il est admissible de
considérer que la simple conscience du risque de transmission suffit
déjà à admettre l'intention alors que le risque de
contamination se chiffre en (...) pour mille (7).
Il faudra alors se montrer prudent avec cette prétendue
connaissance généralisée des vertus de prévention,
même s'il est vrai que le lien sexe-risque de sida existe largement dans
la population.
Mais y a-t-il possibilité d'appliquer le droit
pénal aux activités librement consenties susceptibles
d'entraîner une transmission du VIH/SIDA par la voie sexuelle ?
Peut-on pénaliser une activité à laquelle les
protagonistes ont consenti ?
Le fond de la question est le sens que l'on donne au mot
consentement. Indubitablement, une personne qui a des relations sexuelles avec
un partenaire , tout en étant informée de son état
sérologique et donc du risque de transmission du virus, consent à
courir ce risque , aussi significatif soit-il. Pour nous, rien ne justifie que
l'on poursuive la personne séropositive dont le partenaire consent
à courir un risque connu ou encore une personne qui ignore son
état sérologique et, par conséquent, ignore que sa
conduite peut causer des dommages à d'autres.
C'est aussi l'avis de KUNZ et compagnie qui estiment que
lorsque la victime accepte le risque d'une transmission, c'est-à-dire
une mise en danger acceptée par la victime elle-même et sous sa
propre responsabilité, il est de bon droit de ne pas poursuivre l'auteur
de transmission . Mais si la victime consentante finalement contamine une
tierce personne, il en irait de sa responsabilité et non plus celle de
l'auteur initial (8).
Si le consentement fait référence à la
notion de culpabilité, il en va autrement de la coresponsabilité.
En terme de sexualité, il y a une responsabilité partagée
entre les partenaires et l'antinomie contaminateur- victime n'y a plus sa
place. Il s'agit de deux individus responsables, conscients de leurs actes et
des conséquences éventuelles et il est erroné de faire
reposer sur un seul partenaire du couple la responsabilité d'une
relation sexuelle.
Le tribunal de police de Genève l'a bien dit dans son
jugement du 29 août 1994 en ces termes : « Il est
irresponsable de ne pas se protéger, du moins dans le cadre d'une
relation sexuelle à caractère instable ou occasionnel. Dans tout
rapport sexuel non protégé entre adultes consentants, il y a
coresponsabilité en cas de contamination » (9).
|