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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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c) Des complications à la fois physiologiques et psychiques

L'Humanité accorde une plus large place à la figure de victime que sont l'anorexique et sa famille. Les complications engendrées par la maladie sont évoquées dans trois articles mais seul le témoignage de Clara présente à la fois les conséquences physiologiques et psychiques. Dans un premier article, le quotidien mentionne les conséquences physiologiques de la maladie mais de façon vague et imprécise. Les jeunes femmes « souffrent d'anorexie et d'anémie, accompagnés des troubles divers (problème de peau, chute des cheveux) »552(*). Il est vrai que ces complications, liées à la dénutrition, existent ; cependant, elles ne sont pas les plus importantes. Ce manque de rigueur nous rappelle que L'Humanité n'aborde pas l'anorexie dans une perspective médicale, ce qui explique que les discours soient peu techniques.

Dans un deuxième article, il mentionne la mort comme une conséquence possible de l'anorexie mais c'est avant tout pour renforcer la culpabilité des médias. En effet, Samantha ne peut pas bénéficier du traitement qui lui permettrait de guérir car il est trop cher. Elle est contrainte de vendre son image aux médias pour récolter la somme nécessaire à son hospitalisation mais la mort est proche. Nous avons relevé plusieurs termes qui appartiennent au champ lexical de la mort : « disparaît » à deux reprises, « fin », « jeune mourante », « mourir », « morte » et « tuer ». Sa mort « prochaine » est accentuée par la mise en valeur du temps qui passe : « à deux doigts de », « à mesure que » à deux reprises, « approche », « le temps presse », « lentement », « trois semaines », « chaque jour » et la description du corps qui « disparaît ». Un jeu sur la consonance des mots renforce encore ce lien entre mort et temps : « à mesure que la faim s'éloigne d'elle, à mesure que sa fin approche »553(*). La mort n'est ici que la conséquence hypothétique d'une absence d'hospitalisation.

Seul le témoignage de Clara554(*) évoque à la fois les complications physiologiques et psychiques de l'anorexie qui « dévore le corps et l'esprit ». L'article débute par un portrait physique de la jeune fille lorsqu'elle était encore malade. Elle avait des « bras squelettiques », une « peau translucide », et « flottait tel un fantôme ». Ces termes renvoient au champ lexical du squelette, du cadavre et mettent en valeur la maigreur de la jeune fille qui, même une fois guérie, a encore les « mains excessivement fines » et les « épaules anguleuses ». Viennent ensuite les conséquences physiologiques : Clara fait allusion à l'aménorrhée mais n'emploie pas le terme médical : « la première fois que mes règles se sont arrêtées, c'était en février 1995 », puis à la fatigue : « en bas de la rue j'étais déjà fatiguée » et au froid : « j'avais tout le temps froid ». Ces complications sont effectivement liées à la dénutrition. Nous pouvons noter que les problèmes auxquels elle fait allusion ne sont pas ceux évoqués par le journal dans les articles vus précédemment. Une différence qui s'explique facilement : ce témoignage est celui d'une anorexique tandis les autres discours sont ceux du quotidien. Ainsi, cette différence de contenu rappelle que L'Humanité connaît peu l'anorexie d'un point de vue médical.

En ce qui concerne les complications psychiques, nous trouvons dans le discours plusieurs termes qui renvoient aux champs lexicaux de la peur et de la panique et qui traduisent le désarroi de Clara. Elle « paniquai[t] », « ça m'a fait peur », « je n'arrivais plus à rien », « j'ai pensé que je ne tiendrais pas le rythme », « je me tapais la tête contre les murs ». Tous ces termes révèlent que malgré la maîtrise et le contrôle dont font preuve les anorexiques, elles sont en réalité en proie à une grande souffrance psychique. Une souffrance à laquelle s'ajoute l'isolement, elle « [s]'étai[t] coupée de [s]es amis, [elle] ne sortai[t plus ».

Enfin, nous avons trouvé un terme qui traduisait l'impact de l'anorexie sur la famille de la malade. Patrick Poivre d'Arvor raconte dans un livre « le calvaire vécu par sa fille, lui-même et leur famille en raison de la maladie de Solenn »555(*). Nous pouvons noter que ce terme est assez révélateur de la souffrance des parents même si aucun détail supplémentaire ne figure dans l'article. En outre, là encore ce n'est pas le journal qui s'exprime directement, il ne fait que reprendre les termes utilisés par P. Poivre d'Arvor, ce qui nous permet de dire que L'Humanité ne considère pas vraiment les parents comme victime de la maladie de leur fille.

Comme Le Monde et Le Figaro, L'Humanité s'attarde peu sur les pratiques anorexiques. Cependant, nous devons distinguer les discours propres du journal, du témoignage de Clara qui diffèrent dans la façon d'aborder cette étape de la maladie. L'Humanité considère que l'anorexie commence par un régime mais occulte la phase du maintien de l'engagement ainsi que le maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. En conséquent, l'anti-sujet n'apparaît dans ses discours. En ce qui concerne les complications de la maladie, ses propos sont en partie erronés et la figure des parents comme victime est plutôt implicite.

A l'inverse, le témoignage de Clara se veut plus précis et plus juste même si les détails ne sont pas très nombreux non plus. Elle n'omet pas d'évoquer à la fois les conséquences physiques et psychiques de sa maladie.

Nous pouvons penser que le journal ne s'attache pas à décrire la performance de l'anorexique parce que ce qui l'intéresse c'est surtout le destinateur de la maladie autrement dit les médias. Nous verrons en effet dans la prochaine étape de l'analyse que c'est encore par le biais des médias que L'Humanité aborde la phase de la prise en charge.

* 552L'Humanité, 1er avril 1999.

* 553 L'Humanité, 27 mai 1994.

* 554 L'Humanité, 27 juin 2000.

* 555 L'Humanité, 30 janvier 1995.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand