Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
b) Une large place accordée aux victimesLa Croix accorde plus d'importance dans ses articles aux victimes de l'anorexie, c'est-à-dire à l'anorexique elle-même et à ses parents, une position qui est cohérente par rapport à ce que les analyses précédentes nous ont révélé. Le quotidien considère que l'anorexique n'est pas responsable de sa maladie, il est donc inutile de se concentrer sur ce qu'elle fait et de stigmatiser son comportement. En outre, il est important de montrer que l'anorexie fait des victimes. En ce qui concerne l'actant sujet, La Croix indique que les conséquences de la maladie sont à la fois physiques et psychiques comme le souligne la phrase suivante : « l'enfant, mal dans son corps, mal dans sa tête, [...] souffre jusqu'à mettre sa vie en danger ». Le discours ne nous fournit pas plus de détails mais il met l'accent sur l'issue qui peut être fatale. Cette idée est à nouveau évoquée quand le quotidien nous fait part du suicide de Solenn, la fille de Patrick Poivre d'Arvor. Outre les complications physiques, l'anorexie a aussi des conséquences sur la vie sociale de la malade. Des parents témoignent en disant de leur fille qu'« elle était perdue, repliée sur elle-même ». Ils ne nous parlent pas des conséquences physiques de l'anorexie excepté l'amaigrissement. « Très brutalement, [leur fille] s'est effondrée en perdant près de huit kilos en un mois »515(*). L'accent est mis sur la soudaineté de la perte de poids car « jusque là [elle était] [...] gaie, enjouée, entreprenante, [et] faisait beaucoup de sport. Puis brutalement... ». Le terme « brutalement » marque la rupture entre l'avant et l'après. Les parents représentent la seconde victime à laquelle le quotidien s'attache de façon assez longue. L'accent est mis sur la contradiction dans laquelle ils sont prise : ils veulent aider leur fille mais ils sont impuissants. En d'autres termes nous pouvons dire qu'ils occupent le rôle d'ajduvant dont le programme narratif serait d'aider à guérir leur fille. Cependant, certaines compétences leur font défaut : s'ils ont le vouloir faire, ils n'ont pas le pouvoir faire. La difficulté réside dans l'impossibilité d'acquérir ce pouvoir faire. Ils se trouvent dans une position psychologiquement difficile : vouloir être adjuvant mais ne pas pouvoir l'être. Différents termes nous suggèrent cette impuissance : « impuissants »516(*), « démunis », « rien pouvoir faire »517(*). A cette impossibilité d'agir s'ajoute un sentiment de culpabilité, les parents sont « souvent très culpabilisés par la maladie de leur enfant ». L'adverbe « très » permet au quotidien d'insister sur l'épreuve que vivent les parents. Enfin, c'est avant tout un sentiment d'inquiétude qui les anime : ils sont « affolés » et « angoissés ». Les différents termes auxquels recourt le journal lui permettent de désigner les parents comme victimes de l'anorexie, de « l'enfer » qu'ils vivent au quotidien. En guise de conclusion, nous noterons que La Croix ne s'intéresse pas à la performance de l'anorexique, aux pratiques qu'elle met en place pour atteindre son objet. En conséquent, les discours ne nous permettent pas de répondre aux questions qui nous servent de fil directeur dans cette étape de l'analyse. Le quotidien ne dit quasiment rien sur la façon dont l'anorexie commence et il occulte complètement le maintien de l'engagement ainsi que le maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. En conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît dans les discours et nous ne trouvons aucune trace de stigmatisation des pratiques anorexiques. Ce sont les victimes de l'anorexie et plus particulièrement les parents qui retiennent l'attention du quotidien. Ils tentent d'être adjuvants mais n'ont pas les compétences nécessaires pour mener à bien leur programme narratif qui est de guérir leur fille. L'importance accordée à la figure des parents est une constante des discours de La Croix comme nous le verrons dans la dernière étape de notre analyse qui concerne la prise en charge de l'anorexique. * 515 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15. * 516 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6. * 517 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15. |
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