Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
2. Quand l'anorexique devient anorexique ou l'étiquetage de la déviancea) L'apparition des anti-sujetsLa jeune fille anorexique n'est pas tout de suite étiquetée anorexique puisqu'au début sa perte de poids est socialement acceptée. Ce n'est qu'après un certain laps de temps que des oppositions commencent à naître. Progressivement, son comportement est étiqueté comme déviant et il devient plus difficile pour elle de continuer à perdre du poids. M. Darmon précise que l'imputation de la déviance ne se fait pas au même moment pour toutes les anorexiques481(*). Par exemple, chez une jeune fille dont l'un des membres de la famille est médecin, l'anorexie sera plus vite décelée. L'auteur nomme cette troisième phase : « maintenir l'engagement malgré les alertes et la surveillance »482(*), une expression qui illustre bien le rapport de forces qui naît entre l'anorexique qui veut poursuivre son objectif et les personnes qui s'y opposent. Au cours de cette phase, apparaissent des gens qui vont tenter d'empêcher l'anorexique de continuer à maigrir et la forcer à manger. Dans une perspective actantielle, ces personnes correspondent aux anti-sujets dont le programme narratif est de « guérir »483(*) l'anorexique. Chez certaines adolescentes, cette phase n'existe pas car elles choisissent d'être hospitalisées de leur plein gré. Nous ne parlerons donc que des anorexiques qui poursuivent la quête de leur objet. Au cours de cette phase, de nouveaux agents apparaissent et remplissent le rôle d'anti-sujet. « L'alerteur » est « la première personne qui pointe publiquement que quelque chose ne va pas »484(*). C'est avec cette alerte que débute la troisième phase de la carrière anorexique. Il peut s'agir d'un parent ou d'un professionnel. Le moment de l'alerte varie d'une adolescente à une autre car il suppose la « visibilité du stigmate485(*) qui va faire déviance »486(*). Or, cette visibilité dépend de la situation et des normes de chacun. Par exemple, dans une famille où toutes les personnes sont minces, la maigreur d'une adolescente peut passer inaperçue, elle n'est pas visible. Dans d'autres cas, la maigreur peut être visible mais perçue comme normale, il n'y aura donc pas d'étiquetage en terme de déviance. Quand l'alerte est donnée, elle est souvent suivie d'une consultation médicale. L'adolescente « rencontre » alors de nouveaux anti-sujets, les professionnels de santé. Il faut préciser que le « circuit des professionnels »487(*) commence par la consultation d'un « médecin de la santé physique » ou « en santé mentale »488(*), cela dépend de la nature de l'alerte qui a été donnée. C'est au cours de ce circuit des professionnels que l'étiquette d'anorexie mentale va peu à peu s'imposer en dépit du déni de l'adolescente. * 481 DARMON, [2003], p. 95. * 482 Idem, p. 174. * 483 Nous employons le terme « guérir » car les anti-sujets en l'empêchant de continuer à maigrir, lui permettent d'échapper à la mort. * 484 DARMON, [2003], p. 178. * 485 La maigreur peut être stigmatisée mais aussi certaines pratiques. * 486 DARMON, [2003], p. 179. * 487 Idem, p. 185. * 488 Idem, p. 186. |
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