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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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2. William Gull : le fondateur d'une conception organiciste de l'anorexie

a) Une description évolutive de la maladie

Sir William Withey Gull est le premier médecin anglais à s'intéresser à l'anorexie. Il est encore peu connu lorsqu'il lit au cours d'une réunion de la Medical British Association, une communication intitulée The adress in medecine delivered before the annual meeting of B. M. A. at Oxford en 1868. Cette communication fut ensuite publiée dans le Lancet, un journal médical réputé. Contrairement à C. Lasègue qui n'a écrit qu'un ouvrage sur l'anorexie, W. Gull modifie sa première description au fil du temps et de ses expériences. Nous reviendrons sur ses trois communications successives qui reflètent le « tâtonnement » des médecins face à une pathologie encore mal connue. Dans sa première communication, en 1868, il explique que les anorexiques « refusaient de manger alors qu'elles étaient devenues très maigres »101(*). W. Gull nomme cette maladie apepsia hysterica car il pense qu'elle est due à un « défaut de sécrétion de la pepsine gastrique »102(*) (d'où le terme apepsia) et qu'elle n'affecte que des filles (d'où le qualificatif hystérique). Ce sont les seules précisions dont nous disposons.

W. Gull fait une seconde communication devant la Medical British Association en 1874 soit six ans après avoir diagnostiqué l'apepsia hysterica. Il modifie son interprétation puisqu'il abandonne l'hypothèse gastrique et insiste sur le refus alimentaire, l'amaigrissement et l'aménorrhée. Il fait part également des symptômes annexes comme la faiblesse du pouls et la constipation. Logiquement, il abandonne le terme d'apepsia hysterica au profit de celui d'anorexia nervosa. Ce terme est toujours employé en Angleterre et aux Etats-Unis pour désigner l'anorexie mentale. Il justifie ce changement ainsi : « le défaut d'appétit est, je crois, dû à un état mental morbide. Que des états mentaux puissent supprimer l'appétit est un fait établi et il sera admis que les jeunes femmes aux âges donnés sont particulièrement exposées à la perversion mentale »103(*). Cet état mental morbide serait dû à « des troubles centraux héréditaires » mais W. Gull ne fournit pas d'explication plus détaillée. Il évoque la relation de la jeune fille avec ses parents en disant que ces derniers sont « ceux qui s'occupent le plus mal d'elle »104(*). Ces citations appellent plusieurs remarques. D'une part, les symptômes annexes que W. Gull mentionne sont effectivement des conséquences de l'anorexie et sont caractéristiques d'un stade assez grave de la maladie. D'autre part, il prend aussi en compte l'aspect mental mais celui-ci reste un facteur secondaire alors que pour C. Lasègue l'apparition de la perversion mentale caractérise une étape spécifique de la maladie. C'est pourquoi nous pouvons dire que W. Gull est le fondateur de la tradition organiciste, une tradition qui attribue comme cause première à l'anorexie un trouble organique. De plus le qualificatif « héréditaires » sous-entend que l'anorexie serait une maladie génétique, il ouvre ainsi la voie à l'hypothèse d'une origine génétique de la pathologie. L'analyse des discours de presse révèlera que l'hypothèse organiciste est encore aujourd'hui défendue par des médecins anglais. Enfin, contrairement à C. Lasègue, il considère la famille comme un milieu pathogène, duquel doit être retirée la malade. C'est cette conception de la famille qui va prédominer pendant plusieurs années, y compris en France.

En 1888, il complète ses précédentes communications en publiant un article dans le Lancet (cf. Annexe n°1). Il y décrit le corps d'une de ses patientes. La description est plus précise et basée sur l'observation d'une adolescente âgée de quatorze ans. Il aborde des points qu'il n'avait pas mentionnés auparavant tels que l'hyperactivité et le traitement thérapeutique. Il ne préconise pas l'isolement mais recommande la venue d'une infirmière à domicile qu'il conseille. Enfin, il évoque la gravité de cette pathologie et l'hypothèse que cette affection pourrait être « liée à une perversion de l'ego »105(*). Cette dernière hypothèse déclenche une polémique au sein de la Medical British Association, à laquelle le comité de rédaction de la revue prend part. Lors de la publication suivante, il mentionne à l'intention des lecteurs, qu'il ne faut pas prendre en compte l'hypothèse de W. Gull sur la perversion de l'ego ; en revanche, l'hypothèse évoquée lors de sa première communication est tout à fait crédible. Le comité de rédaction du Lancet n'est pas le seul à répondre à W. Gull. Plusieurs médecins britanniques s'opposent aussi à cette idée de la perversion de l'ego comme De Berdt Hovell, James Adam, S. Mackenzie, W. S. Playfair106(*)... Le débat sur les origines de l'anorexie ne se déroule donc pas uniquement entre deux pays, deux conceptions de la médecine mais également au sein d'une même communauté. Si W. Gull n'a pas été entendu par ses contemporains, son hypothèse sera reprise plusieurs dizaines d'années plus tard par le courant psychanalytique de l'anorexie. En effet, ce qu'il nomme « perversion de l'ego » renvoie à la conception de l'anorexie comme maladie du narcissisme, une idée défendue aujourd'hui par les psychanalystes. (cf. infra partie 2, II. A)).

* 101 GULL cité par JANAS, [1994], p. 53.

* 102 Idem, p. 53.

* 103 Idem, p. 65.

* 104 Idem, p. 65.

* 105 JANAS, [1994], p. 89.

* 106 Idem, p. 92.

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