Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
e) Une guérison de plus en plus certaineLe thème de la guérison est sans doute celui qui permet de mesurer le mieux l'évolution des discours du magazine, une évolution qui reflète les progrès thérapeutiques. En effet, comme nous l'avons évoqué la guérison est présentée au milieu des années 80 comme une incertitude. Peu à peu, cette incertitude va laisser place à l'affirmation et les propos du magazine se font plus optimistes : « On peut en guérir » nous dit Santé Magazine faisant ainsi écho à la question posée dans les années 80, à une période où la maladie était encore mal connue. Nous avons également remarqué que les pronostics concernant la guérison évoluaient. Dans les années 80 ce sont seulement un tiers des anorexiques qui « évoluent favorablement » ce qui « signifie que l'aménorrhée disparaît, les conduites alimentaires se normalisent et l'insertion sociale réapparaît de manière favorable », un tiers qui « présente une amélioration incomplète » et le dernier tiers qui peut « évoluer soit vers la chronicité avec risque de mort, soit vers la dissociation psychotique schizophrénique ». Dans les articles publiés en 1988 et en 1991, la répartition reste identique cependant, le magazine ne se montre pas pour autant pessimiste. Il affirme que « malgré ce sombre tableau, il faut savoir que l'anorexie mentale est une maladie parfaitement guérissable si elle est prise à temps »726(*), que « surtout on peut en guérir »727(*). En 1996, « on considère que 70 à 80% des anorexiques `guérissent' » néanmoins « des troubles psychologiques persistent souvent » mais le magazine indique que « des aides existent. Il ne faut pas attendre pour consulter »728(*). Enfin, en 1997, Santé Magazine ne mentionne plus que les « deux tiers des anorexiques » qui sont rétablies sur le plan physique même si chez certaines « on retrouve des séquelles, des difficultés psychologiques [...] d'où l'importance de poursuivre une psychothérapie »729(*). Nous pouvons noter que non seulement les chiffres ont évolué mais aussi que le magazine ne mentionne plus la part d'anorexiques qui ne guérit pas, ce que nous pouvons interpréter comme une volonté de se montrer optimiste par rapport à l'évolution de la maladie. A ce titre, nous avons remarqué que peu de discours nous fournissent le taux de mortalité de l'anorexie : en 1996, ce sont 5% qui en meurent et en 2001 « 10% en meurent, à ce qu'il paraît »730(*). Enfin, la guérison est longue et « nécessite plusieurs années »731(*) c'est pourquoi Santé Magazine répète à plusieurs reprises que les parents « doivent donc s'armer de patience et de persévérance »732(*), il « faut beaucoup de patience et de compréhension »733(*) aux anorexiques. Les différents éléments que nous avons mentionnés nous permettent de dire que les parents sont non seulement des alliés indispensables pour la guérison de leur enfant mais qu'ils doivent aussi prévenir la maladie en apprenant à en détecter les symptômes. Les discours de Santé Magazine se rangent indiscutablement du côté du corps médical et tous les éléments que l'analyse des articles de presse nous a révélés sont le reflet des évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexique au cours du XXème siècle. Le magazine insiste sans surprise sur la nécessité d'une prise en charge nutritionnelle et psychique de la malade. Dans les années 80, c'est l'isolement qui est privilégié comme modalité de traitement, puis il est progressivement abandonné pour laisser la place à la séparation familiale. En 2003, un expert condamne définitivement cette pratique, une condamnation qui symbolise le rejet de cette thérapie par le corps médical. La séparation familiale disparaît elle aussi des discours du magazine. Les relations entre l'anorexique et les médecins témoignent eux aussi de l'évolution qui s'est fait jour dans la seconde moitié du XXème siècle. La fermeté du médecin laisse place à une relation de collaboration sur un pied d'égalité. Enfin, les parents, qui étaient pointés du doigt dans les premiers discours sont progressivement considérés comme des alliés thérapeutiques indispensables qui doivent néanmoins bénéficier d'une prise en charge. Dans ce dernier volet de notre analyse, nous avons montré que le clivage subsistait entre d'un côté la presse magazine de santé, de l'autre la presse quotidienne en ce qui concerne la précision des discours. Comme Santé Magazine, tous les quotidiens affirment la nécessité d'allier une prise en charge nutritionnelle à une prise en charge psychologique de façon plus ou moins détaillée, c'est le seul élément qui fasse consensus. En ce qui concerne le traitement thérapeutique privilégié nous pouvons distinguer ceux qui se prononcent sur le mode du refus de ceux qui optent pour une prise en charge précise. Ainsi, La Croix rejette l'isolement et la séparation familiale et L'Humanité dénonce également l'isolement. La position de Le Monde par rapport à l'isolement est ambiguë mais il affirme qu'il n'y a pas de traitement simple et univoque. Le Figaro délègue la parole à un expert qui nous parle de la séparation familiale tandis que Libération se contente de présenter l'anorexique comme refusant les soins. Les évolutions qui ont marqué les relations entre le corps médical et les patientes anorexiques ne sont évoquées dans aucun des quotidiens. La Croix n'y fait aucune allusion, Le Figaro et Libération nous racontent l'histoire d'anorexiques qui refusent d'être hospitalisées tandis que L'Humanité et Le Monde nous décrivent les stratégies de résistance des patientes face au corps médical. Ces éléments ne figurent souvent que dans un seul et même article, ce qui ne permet pas de déceler une évolution sur notre période d'étude. A l'inverse, les discours de Santé Magazine sont le reflet des évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexie au XXème siècle, il y a donc adéquation avec les discours médicaux. Santé Magazine et La Croix insiste sur la prise en charge des parents qui sont également considérés comme des alliés thérapeutiques, une position qui est aussi celle de Le Monde si nous faisons abstraction du cas particulier que représente l'histoire de Séverine. Par contre, L'Humanité et Le Figaro ne font aucune allusion à la prise en charge des parents. Enfin, nous avons mentionné l'ambiguïté de la position de Libération. La question de la guérison de l'anorexie ne fait pas non plus l'unanimité : La Croix se veut optimiste alors que Libération et L'Humanité envisagent plutôt les aspects négatifs notamment le risque de mortalité ; Le Monde suggère implicitement qu'une guérison complète est possible et Le Figaro laisse croire à une guérison d'un degré variable selon les cas. Les discours de Santé Magazine soulignent quant à eux l'amélioration du pronostic de guérison de l'anorexie. Enfin, la prévention est absente des discours de Le Monde et du Figaro tandis qu'elle revêt des formes atypiques dans les discours de L'Humanité et de Libération : pour l'un il suffit d'arrêter de lire la presse magazine, pour l'autre c'est aux destinateurs de prendre en charge la prévention. Enfin, en ce qui concerne Santé Magazine nous avons souligné la démarche préventive qu'il adoptait, une prévention essentiellement destinée aux parents. * 726 Santé Magazine, août 1988, p. 54-55. * 727 Santé Magazine, février 1991, p. 54-55. * 728 Santé Magazine, avril 1996, p. 70-72. * 729 Santé Magazine, novembre 1997, p. 64-65. * 730 Santé Magazine, novembre 2001, p. 100-105. * 731 Santé Magazine, décembre 2005, p. 140-142. * 732 Santé Magazine, février 1991, p. 54-55. * 733 Santé Magazine, février 1991, p. 54-55. |
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