Evolution et mutation de l'inspection du travail( Télécharger le fichier original )par Anne Claire Michaut Université Paul Cézanne - Aix Marseille III - Master Droit social 2008 |
Section 2 : Vers l'effacement du rôle de l'inspecteur du travail dans les réformes récentes :
Un projet loi, visant à réformer le statut de l'inspection du travail51(*), avait pour but de recentrer la mission des inspecteurs sur la sécurité, l'hygiène et la lutte contre le travail illégal, en insistant sur le fait qu'ils ne devaient plus s'interposer entre l'employeur et le salarié, dans le but de ne pas nuire au bon fonctionnement de l'entreprise. Ce texte prévoyait en outre la constitution d'un Conseil National de l'Inspection du Travail (CNIT), comprenant des représentants d'employeurs, dont la mission aurait été de surveiller et sanctionner les inspecteurs. L'accueil fait à ce texte fut plus qu'hostile de la part du corps des inspecteurs, mais aussi de leur syndicat, pour lesquels ce texte voulait « la mort de l'inspection du travail52(*) ». Ce texte n'a pas vu le jour. Aujourd'hui, deux nouveaux textes viennent à leur tour troublait la profession, soit parce qu'ils effacent le rôle de l'inspecteur (§1), soit parce qu'ils touchent à l'indépendance du corps (§2). § 1 : L'ANI : le nouveau rôle de l'inspecteur :L'accord National Interprofessionnel du 11 janvier 200853(*) instaure un nouveau mode de rupture du contrat de travail, dite « rupture conventionnelle54(*) ». Par cette création, l'employeur et le salarié pourront convenir d'un commun accord des conditions de la rupture du Contrat à Durée Indéterminée (CDI). La rupture du CDI fera l'objet d'un formulaire type dont chaque partie conservera un exemplaire, et dont un troisième sera transmis au DDTEFP pour homologation. Cette nouvelle démarche écarte donc l'inspecteur du travail du contrôle de la rupture, alors que celui-ci est l'institution par excellence qui doit veiller au respect des droits des parties. Si nous pouvons comprendre que l'accord soit transmis pour homologation à la direction départementale du travail, nous comprenons mal pourquoi l'inspecteur du travail n'est pas chargé du contrôle de la légalité de cet accord. D'autant qu'en matière de contrôle d'accord dérogatoire à l'ordre social minimal, l'inspecteur du travail dispose du pouvoir d'en contrôler la légalité pour vérifier sa conformité avec les normes légales. Il nous aurait donc paru logique que l'homologation d'une rupture, que l'on pourrait qualifiée de dérogatoire au droit commun, relève de l'inspecteur du travail. Mais il semble que le législateur veuille maintenir la prépondérance du DDTEFP. En effet, si le texte est encore en discussion55(*), il n'en reste pas moins que l'inspecteur du travail n'a pas remplacé le DDTEFP, pour l'instant tout au moins. Notons quand même qu'il reste compétent dans le cas de la rupture conventionnelle des salariés protégés : son autorisation reste nécessaire. Cette mesure nous apparaît étrange, l'inspecteur du travail devra quand même donner son autorisation, alors même que le salarié serait d'accord. Pourtant, nous devinons que sa mission sera ici tout naturellement de vérifier que l'accord respecte bien les droits du salarié protégé et ne porte pas atteinte à son statut protecteur. Donc, par voie de conséquence, il veille ici au respect de la législation. Mais comme nous l'avons vu en étudiant le salarié protégé56(*), la Cour de cassation n'a pas admis qu'un salarié protégé ayant accepté volontairement un accord prévoyant sa mise à la retraite ne puisse par la suite attaquer la convention au motif que celle-ci n'aurait pas respecté son statut protecteur. Dans l'hypothèse de la rupture conventionnelle, le salarié pourrait-il quand même attaquer l'accord la prévoyant, alors même qu'il aurait obtenu l'autorisation de l'inspecteur du travail ? Il nous semble concevable que la Cour de cassation ira dans ce sens au vue de sa jurisprudence57(*). Cette mesure de rupture conventionnelle appelle une autre réflexion : l'ANI prévoit qu'il s'agit d'un mode de rupture « exclusif » des autres modes de rupture. Il s'agit donc de rajouter une nouveau mode de rupture à l'arsenal déjà existant. De ce fait, nous rejoignons les propos François TAQUET58(*) pour qui « loin de simplifier le départ négocié, cette disposition ne fait que compliquer le droit existant ». Une autre disposition de l'ANI nous semble revêtir une importance particulière : il s'agit de la sécurisation du portage salariale. Cette technique permet à une personne, le porté, d'apporter de manière temporaire sa compétence à des entreprises, clientes, sans en devenir pour autant salarié, en se faisant embaucher par une entreprise intermédiaire. Jusqu'à maintenant l'entreprise de portage risque, dans certains cas, une condamnation pour marchandage ou pour prêt de main d'oeuvre illicite. Nous approuvons qu'un cadre légal soit enfin donné à cette activité, qui du même coup va permettre aux inspecteurs du travail de clarifier leur contrôle lorsqu'ils étaient en présence d'un portage. Cette mesure nous semble simplifier son action, ce qui à notre avis va dans un sens voulu par le corps d'inspecteur. Une dernière disposition de l'ANI requière notre attention, celle concernant la possibilité pour les entreprises de « déroger à la durée légale du travail, à condition que cette disposition dérogatoire soit prévue par un accord de branche et fondée par un accord majoritaire dans l'entreprise 59(*)». Rappelons que l'inspecteur du travail est compétent pour autoriser les entreprises à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel et que les autorisations de dérogations aux durées maximales du travail hebdomadaire, moyennes et absolues relèvent de la compétence du DDTEFP, sur rapport de l'inspecteur du travail. Si le législateur permet demain aux entreprises de déroger par voie conventionnelle à l'obtention de ces dérogations, il y a fort à craindre que cela n'amoindrisse de manière significative une partie des missions dévolues aux services de l'inspection du travail en matière d'organisation du travail. Cette réforme n'a pas fait l'objet de commentaires de la part des services de l'inspection du travail, mais nous pouvons légitimement penser que devant la masse de travail qu'accomplissent les agents, une simplification de leur mission sera accueillie avec succès si elle ne les évince pas totalement de l'application de certaines mesures. Evincement qui selon nous, va à l'encontre de la mission généraliste que l'on a souhaité leur confier. D'autant que l'étendue de leur mission caractérise cette inspection du travail française. Il n'est pas sans craindre que ces nouvelle dispositions ne remettent, peut être malgré elle, en cause cette administration, souvent contestée et pourtant si nécessaire au quotidien. Cependant, une autre réforme actuelle fut un tôlé général, tant dans la forme que sur le fond. Elle a même donné naissance à un contentieux initié par les syndicats de la profession. * 51 Proposition de loi n°914 visant à réformer le statut d'inspection du travail et à en changer la dénomination, déposée le 13 juin 2002 et proposée par le député M. Richard MAILLIE. * 52 Propos de Gérard FILOCHE, inspecteur du travail, auteur de « Carnets d'un inspecteur du travail », éd. Ramsay, 2004 ; « On achève bien les inspecteurs du travail... », Éd. Gawsevitch, 2004 * 53 Liaisons Soc. n°22/2008, conventions et accords, p1 * 54 Art. 12 a) de l'ANI : « ... il convient, par la mise en place d'un cadre collectif, de sécuriser les conditions dans lesquelles l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. » * 55 Il est prévu la convocation d'une commission mixte paritaire qui sera chargée de proposer un texte sur les dispositions restant encore en discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail. Projet de loi n°743, déposé à l'Assemblée Nationale le 26 mars 2008. * 56 V. p6. * 57 Cass. Soc. 27 mars 2007, Crédit Foncier de France, Dr. Ouv. 2007 p.436 n. L. Milet. * 58 JCP E n°4, 24 janvier 2008, act. 41, « L'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : évolution ou révolution dans le droit du travail ? ». * 59 J.-Cl. Dépêches, 24 janvier 2008, n°119, « Rapport Attali : principales préconisations ». |
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