Evolution et mutation de l'inspection du travail( Télécharger le fichier original )par Anne Claire Michaut Université Paul Cézanne - Aix Marseille III - Master Droit social 2008 |
§ 2 : Les rôles du DDTEFP et du DRTEFP36(*):Le DDTEFP regroupe son activité autour de deux attributions essentielles : contrôler l'application de la réglementation de travail et mettre en oeuvre une politique active de l'emploi. Dans ce but, il intervient dans les relations de l'inspecteur du travail avec le Parquet (A), mais aussi en amont des décisions de l'inspecteur du travail (B). A : Le contrôle du DDTEFP : un contrôle hiérarchique ou d'opportunité ? : L'inspecteur du travail bénéficie de pouvoirs de police judiciaire de par la loi, ce qui le conduit à constater des infractions et lui confèrent l'autorité nécessaire pour dresser procès verbal. La transmission des procès verbaux met en exergue le rôle du DDTEFP, puisque c'est à lui qu'incombe leur transmission aux intéressés et notamment au Parquet. En vertu de l'article 7 alinéa 2 d'un décret de 199437(*), le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle « est chargé des relations avec les services judiciaires ». Dans ce cadre, il reçoit les procès verbaux dressés, soit par l'inspecteur du travail, soit par le contrôleur du travail, dont il doit faire l'examen. Mais il assure également le suivi des procès verbaux. L'examen constitue à la fois un contrôle de la légalité mais aussi un contrôle d'opportunité du procès verbal. Selon une circulaire de 197138(*), le contrôle de légalité porte sur le caractère pénal de ce dernier. Quant au contrôle d'opportunité, comme son nom l'indique, tient à l'appréciation personnelle du DDTEFP. De plus, ce contrôle se révèle obligatoire puisque la pratique administrative veut ici que l'auteur du procès verbal ne le transmette pas personnellement et directement au Parquet. Pratique étrange, puisque l'inspecteur du travail dispose de pouvoir de police judiciaire, il lui faut quand même soumettre son procès verbal au contrôle d'un supérieur. On comprend alors pourquoi les inspecteurs du travail se montrent peu enclin à verbaliser, mais aussi la lenteur administrative de la suite donnée aux procès verbaux. Le terme d'opportunité semble ici perdre de son poids, puisque le DDTEFP est tenu de procéder au contrôle de la légalité, mais en aucun de l'intérêt ou non de transmettre le procès verbal au Parquet. Il résulte d'une instruction ministérielle de 198639(*) que le DDTEFP ne pourra effectuer « un filtrage en opportunité40(*) ». De sorte que la tentation de ne pas transmettre le procès verbal parce qu'il estime, personnellement, qu'il n'y a pas lieu de dresser procès verbal ou tout simplement parce qu'il estime que l'inspecteur du travail aurait pu user d'une simple mise en demeure, est écartée. Lors de l'examen du procès verbal, le DDTEFP peut émettre des observations. Dans ce cas, il renvoie le procès verbal à son auteur pour que ce dernier y apporte les rectifications nécessaires. Mais l'observation ne lie pas l'agent verbalisateur, ce qui nous surprend, dans la mesure où lui incombe un contrôle de légalité. Si le procès verbal n'est pas conforme aux prescriptions légales, il y a fort à parier que l'auteur rectifiera son procès verbal, faute de le voir aboutir. Mais rien ne l'oblige cependant à le faire. De sorte que le procès verbal peut arriver sur le bureau du Parquet, avec l'avis du DDTEFP que ce dernier aura pris soin de joindre, sans pour autant que les modifications n'aient été apportées. Cependant, lorsqu'il transmet ses observations au Parquet, il est tenu de transmettre cet avis à l'auteur du procès verbal. Mais le fait pour le DDTEFP ne notifier au Parquet son avis ne risque-t-il pas de discréditer l'agent verbalisateur ? On comprend alors mieux pourquoi aujourd'hui le corps de l'inspection s'offusque de ne pas voir ses procès verbaux aboutir. Mais en même temps, il apparait que la communication de ces derniers manque un peu de rigueur. Le DDTEFP joue donc un rôle de contrôle dans les relations pénales de l'inspecteur du travail. Rôle qui se limite finalement à la correction du procès verbal, mais qui en aucune façon ne porte vraiment atteinte à la libre appréciation de l'inspecteur du travail, puisque ce dernier peut passer outre les avis du directeur. Le DDTEFP assume également un autre rôle, celui de promouvoir la politique sociale du Gouvernement. De ce fait, il influe en amont sur les décisions de l'inspecteur du travail, mais aussi en aval, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique. B : L'orientation par le directeur départemental de l'inspecteur du travail : Le DDTEFP en tant que supérieur hiérarchique va influer sur l'action de l'inspecteur (1), lorsqu'il doit prendre la décision qui servira de base à celle de l'inspecteur du travail. Mais il peut également apporter des explications sur la façon de procéder que doive suivre les agents placés sous son contrôle, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique (2), selon la suite donnée à ce recours. 1 : L'influence en amont du DDTEFP: En vertu de l'article 7 du décret de 199441(*), le DDTEFP « organise, coordonne et suit les actions d'inspection de la législation du travail ». A ce titre, il est en charge de préparer et de mettre en oeuvre les différents programmes d'action de l'Etat42(*) en matière d'emploi et de formation professionnelle avec d'autres services, tels que l'Agence Nationale Pour l'Emploi (ANPE) par exemple, et il doit en suivre l'exécution. Ainsi, DDTEFP assure le rôle de relais entre l'inspecteur du travail et l'Etat. Ce faisant, il oriente aussi l'action des inspecteurs en adéquation avec les circulaires DRT qu'il reçoit, lesquelles ont pour objet de donner des lignes directrices et l'interprétation qui doit être faite des textes à appliquer. Une telle communication au sein de l'inspection du travail apparaît fort avantageuse pour les particuliers qui bénéficient des conseils de l'inspecteur du travail. Ce faisant, cela limite d'une certaine façon la liberté d'appréciation conférée à l'inspecteur du travail, celui-ci se retrouvant obligé de suivre l'interprétation, qui notons le, n'est ni une loi, ni un texte règlementaire et n'a donc pas, par conséquence, force législative. Ainsi, par exemple, une circulaire de 189243(*) dispose que « bien que les inspecteurs ont le droit et le devoir de dresser procès verbal, lorsqu'ils se trouveront en présence de contraventions graves ou d'un mauvais vouloir évident, ils doivent néanmoins tendre à donner à leur action un caractère plus préventif que répressif ». S'il est vrai que le rôle primordial accordé à l'inspecteur du travail est avant tout celui de conseiller et de concilier, il n'en reste pas moins investi du pouvoir de dresser procès verbal. Et nous comprenons mal l'orientation ainsi donnée : l'inspecteur du travail doit-il accorder moins de place au caractère répressif de sa fonction alors même qu'il serait en présence d'une infraction ? Imaginons que les officiers de police judiciaire soient amenés demain à suivre de telle directive, cela engendrerait des situations dramatiques. Et, en toute hypothèse, nous imaginons mal que le Ministère de l'intérieur autorise ses agents à ne pas verbaliser en cas de flagrant de délit ou lorsqu'il relève une infraction. Même si nous estimons que le conseil et la conciliation restent les moyens les plus diplomatiques de résoudre les difficultés, il n'en demeure pas mois qu'en présence de violation manifeste de la loi, il faut appliquer celle-ci. Et peut-être même de façon plus sévère en présence d'une infraction délibérée, accomplie en toute connaissance de cause. Les chiffres sont ici d'ailleurs révélateurs de l'autocensure des inspecteurs du travail en matière de procès verbaux : en 200544(*), sur 757 538 contrôles en entreprise, seulement 9629 infractions ont été relevées par procès verbal sur 14 793 qui auraient du en faire l'objet. Ce qui représente seulement 65% des infractions. Le chiffre est honorable, mais de quelle manière ont été traitées les infractions restantes ? Le plus souvent il s'agira d'observation ou de mise en demeure. Une telle décision relève de l'appréciation personnelle de l'inspecteur du travail lors de sa visite. Il n'en reste pas moins qu'une telle prérogative demeure un risque pour l'application de la législation et qu'on se saurait tolérer que, sous couvert d'une appréciation personnelle, un agent ne donne pas les suites légales à ce qu'il constate. Le rôle du DDTEFP en amont influence de façon notable l'inspecteur du travail dans son action, bien qu'il ait souvent pour mission de relayer l'information. Le DDTEFP se trouve sous l'autorité du DRTEFP, lequel peut être saisi d'un recours hiérarchique contre les décisions de l'inspecteur du travail. Le recours peut avoir des conséquences remarquables sur les pouvoirs de l'inspecteur du travail, mais aussi remettre en cause son travail de manière significative. 2 : L'influence postérieure : le recours hiérarchique devant le DRTEFP : Lorsque l'inspecteur du travail prend une décision, celle-ci est susceptible de recours devant le DRTEFP, et éventuellement devant le DDTEFP selon l'organisation adoptée par la région45(*). Lorsque le recours est porté devant le directeur régional, nous parlons alors de recours hiérarchique. L'inspecteur du travail peut éventuellement accueillir des recours gracieux des décisions qu'il aurait pris. Le recours hiérarchique est d'abord instruit par le DRTEFP, avant d'être porté devant le ministre du travail. Dans certaines hypothèses, le recours devant le DRTEFP est obligatoire : c'est le cas notamment des recours formés contre des décisions touchant au règlement intérieur ou encore au dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires. Mais le recours devant le ministre est toujours facultatif : l'autorisation des heures supplémentaires, la mise en demeure de faire procéder à des analyses... Certaines décisions ne sont pas susceptibles de recours, telle que les observations46(*), bien que quelques décisions isolées semblent admettre le recours pour excès de pouvoir47(*). Cependant, il nous semble qu'une simple observation n'est pas un acte administratif faisant grief, de sorte que si le Conseil d'Etat était saisi un jour du contentieux, il y a de forte chance pour que celui-ci ne valide p as l'admission du recours. De plus, le recours hiérarchique semble la encore exclu puisque l'observation se borne à décrire ce que l'agent a constaté, mais ne lui enjoint pas d'exécution. Lorsque l'inspecteur du travail intervient dans le cadre de la protection des droits et libertés fondamentales des salariés, et notamment pour faire retirer ou modifier des dispositions qui seraient contraire aux articles L122-34 et L122-35 du code du travail, le recours de cette décision est porté devant le DDTEFP48(*). La décision de l'autorité hiérarchique va alors se substituer à celle de l'agent49(*) et le DRTEFP pourra exercer les pouvoirs normalement dévolus à l'inspecteur du travail. Sa décision pourra, en outre, porter sur des éléments qui n'auraient pas fait l'objet d'observations de la part de l'inspecteur du travail. Il nous semble que le recours va alors au delà de son objet, puisqu'il ne porte pas uniquement sur ce qui en fonde l'objet. D'autant que concernant le recours contre les décisions touchant au licenciement de salarié protégé, la décision du ministre est cantonnée aux conditions limitant l'inspecteur du travail. Ainsi, selon l'objet il peut plus ou moins approfondir les moyens du recours. Si l'on comprend aisément l'utilité d'un recours hiérarchique, on comprend mal par contre pourquoi l'autorité supérieure se retrouverait avec des compétences plus grandes. Mais au-delà de cet aspect, le recours hiérarchique offre aussi la possibilité pour les autorités supérieures d'infirmer ou non la position de l'inspecteur du travail. De sorte que selon les suites données au recours, ce dernier saura si ses décisions apparaissent légales ou non. Un moyen, certes, de contrôler leur action, mais aussi d'orienter leur action. Il parait naturel que si les décisions d'un inspecteur du travail se retrouvent souvent attaquer et que le demandeur obtient raison, c'est que la hiérarchie estimera aussi que l'inspecteur du travail se montre trop borné, trop laxiste ou même trop généreux, selon les cas d'espèce. Lorsque l'une de nos décisions se voit confirmer à une échelle supérieure, nous en ressortons avec la satisfaction d'avoir bien fait notre travail, mais si, en sens inverse, la majorité se retrouve condamner, c'est qu'il y aura surement une difficulté dans les méthodes de travail, ou autre. De plus, il nous apparaît étrange que le DRTEFP puisse se substituer à l'inspecteur du travail en cas d'infirmation de la décision de ce dernier. Il aurait sans doute était plus juste de demander à l'agent dont la décision est sanctionnée de revoir sa copie plutôt que de lui enlever tout pouvoir de décision, et par la même toute possibilité de modification. Fonctionnaires de l'Etat, les inspecteurs du travail agissent dans un cadre organisé, sous la tutelle d'un ministère, qui insuffle l'action sociale. L'indépendance des inspecteurs doit donc se combiner d'abord pour rendre cohérent la politique du Ministre en terme de politique du travail, mais aussi avec les nécessités d'un service déconcentré. Cette conciliation ne semble donc pas porter atteinte à l'indépendance du corps de l'inspection du travail. Il apparait aujourd'hui que, ce qui porte le plus à contestations de la part des inspecteurs, soit la multiplication de leurs missions ou leurs modifications. Aujourd'hui encore, une partie des professionnelles50(*) estiment qu'il faut garder ce système à « la française », qui forte de son expérience doit maintenant « refonder sa légitimité ». Et pourtant, l'on constate toujours un effacement du rôle des inspecteurs au cours des réformes actuelles. * 36 Pour mieux comprendre les décisions susceptibles d'être prises par les membres du corps de l'inspection du travail, V. annexe 1. * 37 D. n°1166 du 28 décembre 1994, JO 30 décembre 1994. * 38 Circ. IGT du 23 juillet 1971. * 39 Instr. conjointe des ministères de la Justice et du Travail du 14 mars 1986 sur l'élaboration et le suivi des procès verbaux. * 40 RAMACKERS P. et VILBOEUF L., « L'inspection du travail », éd. PUF, 1997, p 92. * 41 D. n°94-1166, 28 décembre 1994 relatif à l'organisation des services déconcentrés du ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. * 42 Art 9 du décret n°94-1166 précité. * 43 Circ. 19 décembre 1892, cité par Pierre PREVOSTEAU in « Conception et mutation de l'inspection du travail », p149. * 44 Rapport du BIT 2005. * 45 Circ. DRT du 3 octobre 2003. * 46 CE 22 février 1989, Rec. CE 1989, p61 ; TA Clermont Ferrand 8 février 1996 Fondation Alice Tessier. * 47 TA Nantes, 24 octobre 2000, req. n°95.3212, à propos d'une lettre d'observation d'un contrôleur du travail, suivie d'un procès verbal. * 48 Art L122-3-8 du code du travail. * 49 TA Paris 6 octobre 1987 Crédit Lyonnais. * 50 Liaisons Soc., magazine, fév. 2005, p8. |
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