1. L'analyse discriminante et le
scoring
Les techniques de scoring sont nombreuses mais l'objectif
reste identique ; augmenter l'efficacité des prises de
décision. Cela passe obligatoirement par une meilleure anticipation des
incidents de paiement, une adaptation de l'offre de crédit, un travail
sur la réduction du risque et une planification de son évolution.
Ces méthodes sont ici mentionnées car, en matière de
financement, elles sont représentatives des tentatives
d'évaluation les plus abouties.
Elles sont construites de manière assez conventionnelle
sur la base de données bilantielles, ce qui correspond à
l'hypothèse implicite selon laquelle la comptabilité constitue
l'exact reflet de la réalité complexe de l'entreprise. A une
valeur apparente d'un ratio comptable correspond, de ce point de vue, une
qualité réelle inhérente de l'entreprise.
Néanmoins, la méthode de compilation des données
utilisées, d'une part, et la présentation formelle des ratios,
d'autre part, sont suffisamment appréciées des utilisateurs
potentiels de ce type d'outils pour que, dans une optique opératoire,
l'on s'en préoccupe.
La permanence de l'objectif ne doit pas pour autant cacher une
réelle évolution des méthodes. Les premières
méthodes de scoring étaient largement issues de l'analyse
financière et reposaient sur des ratios financiers fondamentaux en
nombre restreint. Ces méthodes ont ensuite évoluées vers
plus de complexité afin de tenter d'obtenir des notes de plus en plus
fiables et précises, notamment en tenant compte des
spécificités sectorielles.
L'analyse discriminante est privilégiée par les
constructeurs de scores. Il s'agit d'une technique statistique qui sert
à prédire l'appartenance d'un objet à l'un de plusieurs
groupes. Dans le cas d'une classification à deux groupes, l'analyse
discriminante peut être réduite à une analyse de
régression où la variable dépendante prendrait l'une de
deux valeurs, par exemple 0 ou 1. L'exemple le plus célèbre
d'application de cette technique est le modèle de 1968 d'Altman.
Sur un échantillon de 66 entreprises, 33 ayant connu la
faillite et 33 ayant survécues, Altman a développé la
fonction de prédiction suivante :
Z = 1.2 X1 + 1.4 X2 + 3.3 X3 + 0.6X4 + 1.0 X5
X1: Fond de roulement / actif total
X2: Bénéfices non répartis / actif total
X3: Bénéfices avant intérêt et
impôt / actif total
X4: Valeur au marché de l'avoir / valeur au livre de la
dette
X5: Ventes / actif
Si le score obtenu est inférieur à 1.81, le
modèle prévoit la faillite et si le score est supérieur
à 1.81, alors il prévoit la survie.
Depuis cette fonction pionnière, un nouveau
modèle commercial plus élaboré, appelé le
modèle Zeta, a été élaboré. Plusieurs
institutions financières américaines ont acheté ce
modèle dans le but d'améliorer leurs décisions de
crédit. De nombreuses institutions financières utilisent des
modèles semblables pour faire l'attribution de leur carte de
crédit aux consommateurs. Les établissements français ont
également développé un savoir faire certain dans ce
domaine. Sur la base de l'analyse statistique, différents
éléments d'information reçoivent des points, correspondant
à la valeur du coefficient dans la fonction discriminante, et si le
total excède un certain minimum, alors on accorde la carte, si non on la
refuse. De là vient d'ailleurs le terme courant de « credit
scoring ». Le score obtenu dans ces modèles sert non seulement
à prendre la décision d'accorder du crédit ou non, il peut
aussi servir d'indicateur du niveau de risque. C'est ce modèle qui fonde
également la méthode des scores développée par la
Banque de France, le score BDFI mis en place depuis 1995 et applicable à
un grand nombre d'entreprises qui doivent respecter certaines
conditions :
Appartenir aux sociétés de
l'industrie ;
Etre soumises à l'Impôt de
Sociétés ;
Vérifier des conditions de cohérence comptable
et tout particulièrement :
- Valeur brute des immobilisations corporelles en fin
d'exercice >0
- Valeur ajoutée>0
- Capital engagé>0
Le score est construit comme une moyenne
pondérée de ratios soit :
S = á1 R1 +
á2 R2 + ... + á7
R7 + â
Où ái ... (i = 1.7)
sont les coefficients définis à un facteur multiplicatif
près.
â est la constante, tel
que :
- si S> 0, l'entreprise est considérée
saine
- si S< 0, l'entreprise est considérée
en difficulté.
Les caractéristiques de l'entreprise mesurées
par le score sont les suivantes :
1. Deux ratios de rentabilité ;
2. Importance des dettes fiscales et sociales ;
3. Délai crédit fournisseur ;
4. Importance de l'endettement financier ;
5. Structure de l'endettement financier ;
6. Coût de l'endettement financier ;
Ce score, dont la formule est protégée, peut
être obtenu, pour une entreprise quelconque, auprès de la banque
de France.
On présentera, pour information, les variables et les
poids contenus dans la formule de calcul du score Z, établi en 1983 pour
apprécier la probabilité de défaillance des PME
indépendantes de l'industrie.
Le score Z se présentait comme une moyenne
pondérée de ratios économico-financiers qui, sous une
forme synthétique, fournissent une information dont la fiabilité
est supérieure à celle de l'examen de chacun des ratios entrant
dans sa définition.
N° des ratios
|
Ratios
|
Coefficient des ratios de la
fonction
-1-
|
Valeur des ratios
|
Contribution des ratios au
score :
1*(2-3)
-4-
|
De l'entreprise
-2-
|
Valeur pivot
-3-
|
R1
R2
R3
R4
R5
R6
R7
R8
|
Frais Fin. /Résultat
Eco.Brut
Couverture des K investis
Capacité de remboursement
Tx de Marge Brut d'expl.
Délai fournisseur
Tx de variation de la VA
Délai découvert client
Tx d'invest. productif
|
-1.255
+2.003
-0.824
+5.221
-0.689
-1.164
+0.706
+1.408
|
.................
.................
.................
.................
.................
.................
.................
.................
|
62.8
80.2
24.8
6.8
98.2
11.7
79
10.1
|
.................
.................
.................
.................
.................
.................
.................
.................
|
|
|
|
|
100 Z =
Z =
|
Plus la valeur de la fonction est négative plus
l'entreprise risque d'être défaillante.
Probabilités de classe de risque pour le
score Z de l'industrie
Classe de risque
|
Condition sur Z
|
Probabilité de (en %)
|
|
défaillance
|
vulnérabilité
|
normalité
|
1
2
3
|
Z< -1.875
-1.875<Z<-0.875
-0.875<Z<-0.25
|
30.4
16.7
7
|
69.6
56.6
25.5
|
0
26.7
67.5
|
Zone défavorable
|
4
|
-1.25<Z<0.125
|
3.2
|
16.2
|
80.6
|
Zone neutre
|
5
6
7
|
1.125<Z<0.625
1.625<Z<0.25
1.25<Z
|
1.8
1
0.5
|
14.8
13.1
19.3
|
83.4
85.9
80.2
|
Zone favorable
|
A coté du score BDFI, on trouve le score de Canan et
Holder qui utilise cinq variables, lesquelles sont pondérées les
unes par rapport aux autres en fonction de leur importance relative. Il s'agit
des cinq ratios suivants :
EBE sur endettement total,
Capitaux permanents sur le total du bilan,
Réalisable et disponible sur le total du
bilan,
Frais financiers sur chiffre d'affaires,
Frais de personnel sur valeur ajoutée,
Le score final, compte tenu du poids accordé à
chaque variable, est extrêmement sensible à l'importance des frais
financiers et à la capacité de remboursement. Cette
méthode, adaptée aux PME est totalement inspirée des
ratios clés utilisés en analyse financière et en
diagnostic financier. Le score traduit ainsi le risque de faillite dans la
mesure où il est largement issu du niveau de liquidité et de
solvabilité de l'entreprise (au sens de l'analyse financière
bancaire). A noter la présence d'une variable de productivité de
main d'oeuvre.
Le dernier exemple décrit dans cette partie concerne
l'une des dernières innovations remarquées dans le domaine, le
score AFDCC. Ce score, multisectoriel, est construit sur les variables
suivantes :
Frais financiers sur excédent brut
d'exploitation.
Créances et disponibilités sur dettes
court terme
Capitaux permanents sur total passif
Valeur ajoutée sur chiffre d'affaire
Trésorerie sur chiffre d'affaires
Fonds de roulement sur chiffre d'affaires
La définition de groupes qui résulte de
l'utilisation de l'analyse discriminante à des fins financières
permet d'envisager plusieurs usages aux scores. L'étude exploratoire des
variables explicatives permet de mettre en évidence les
différentes familles de facteurs intervenant dans le score et, plus
particulièrement ici dans l'occurrence de la défaillance. Elle
autorise ainsi une compréhension des conditions d'obtention du
résultat et la réalisation d'un suivi sur la construction
même de l'indicateur. Le diagnostic individuel confère au score un
rôle dans la prise de décision par la banque. Cette
dernière peut l'utiliser, à côté d'autres
indicateurs qui définiront la méthode de scoring dans sa
globalité, pour apprécier le risque de défaillance d'une
entreprise ; mais elle peut également s'en servir comme instrument
de gestion interne utilisé dans le calcul de prime de risque à
appliquer. Grâce à la probabilité à posteriori, les
scores tirés de l'analyse discriminante peuvent également
être utilisés comme indicateur du risque individuel pour chaque
entreprise d'une population. C'est là l'usage le plus connu du score qui
fonde l'établissement d'une différenciation entre entreprises
selon leur nature juridique, leur taille ou leur secteur d'activité.
Enfin, dans une optique d'analyse de portefeuille, la
contribution du score permet de déterminer les critères de
performance globale du portefeuille de crédit et ainsi, procéder
à des combinaisons de clients qui tendent vers l'efficience.
L'évolution des méthodes de scoring, vers plus
de complexité, tient essentiellement à la volonté des
praticiens du crédit d'intégrer le recours aux normes
sectorielles pour préciser les scores. Ce qui explique aussi le recours
accru aux outils informatiques dédiés à l'aide à la
décision, comme les systèmes experts. Car le succès
opérationnel de ces méthodes est la preuve de leur
efficacité. Elles présentent de nombreux avantages, dans des
domaines différents.
Sur le plan technique, le premier avantage, fondamental, est
l'anticipation à court ou moyen terme d'une défaillance. C'est
par ailleurs une approche objective, déshumanisée car
indépendante de la relation entre l'entreprise et le
crédit-manager. C'est une méthode simple et rapide de
classification des entreprises. Viennent enfin s'ajouter des avantages
organisationnels évidents : une meilleure compréhension du
portefeuille client, une automatisation possible de la décision pour les
entreprises les meilleures, une possible délégation de cette
décision.
Avec le recul et l'expérimentation, les limites des
fonctions score sont elles aussi assez claires. La première est d'ordre
statistique. La distribution des défaillances est
généralement supposée suivre une loi normale, ce qui est
fort contestable. Par ailleurs les entreprises saines sont
généralement mieux caractérisées que les
entreprises en difficultés. Il est de plus difficile de dire si une
entreprise risquée ne finit pas par être défaillante en
raison de l'aversion qu'elle inspire, ce qui ne manquerait pas de faire
ressembler le score à une prophétie auto-réalisatrice.
Les méthodes de scoring ne peuvent être
évaluées que sur la base de leur efficacité, c'est
à dire ex-post. Elles mériteraient aussi des remises à
jour permanentes, ce qui pourrait aller à l'encontre de leur utilisation
concrète. Enfin, ces méthodes sont extrêmement proches des
ratios financiers et c'est peut-être là leur principale limite,
dans la mesure où elles n'intègrent pas, le plus souvent, des
mesures du risque de défaillance basées sur des variables plus
qualitatives.
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