2. La logique stratégique
Nous avons avancé que les banques développent,
par le biais des relations de clientèle, une information
spécifique à chaque emprunteur. Il convient tout de même de
s'interroger sur l'influence de la supériorité du savoir bancaire
quant à l'établissement des relations de clientèle.
Hodgman (1961) ainsi que Kane et Malkiel (1965) ont initialement insisté
sur l'aspect dynamique des relations de clientèle, en remarquant qu'une
banque qui prête à un client en apprend plus sur sa qualité
d'emprunteur que toutes les autres banques. Au lieu de considérer ce
type de relations comme une donnée, il convient de les analyser comme un
processus endogène. L'information internalisée,
générée par la multiplicité des interactions dans
le temps et entre les différents produits, est en effet au coeur des
relations banque - clients.
Dans le modèle de Sharpe, la banque qui octroie un
crédit à un client sait si le projet a réussi ou
échoué en recevant un signal parfait sur le revenu de
l'investissement du client. En revanche, les banques ne contractant pas avec un
client observent avec un risque d'erreur les résultats de son
activité. On retrouve ici l'idée selon laquelle la relation de
clientèle permet à la banque de développer un savoir
interne spécifique à l'emprunteur. La stabilité des
relations de clientèle est alors expliquée par le fait que les
clients de bonne qualité sont informationnellement capturés par
leurs banques.
Ce risque de capture est particulièrement
présent pour les clients de petite taille sans grande qualité
notoire. En effet, il paraît difficile d'envisager que pour les grandes
sociétés, l'information dont disposent la ou les banques
créancières soit substantiellement supérieure à
celle des autres banques. Par contre, il semble raisonnable de
considérer que l'information du marché financier sur la
qualité des petites et moyennes entreprises ne soit pas très
précise ni très fiable, la banque créancière
détenant certainement alors un avantage comparatif informationnel
significatif par rapport aux autres banques. De plus, si les différentes
banques peuvent observer les résultats des activités de
surveillance des autres banques, un aléa de comportement de type
« passager clandestin » peut apparaître car chaque
banque peut se baser sur la surveillance des autres banques pour évaluer
le risque de crédit de l'emprunteur sans avoir à réaliser
elles-mêmes une activité de surveillance. Ce problème
renforce l'incitation des banques à rendre exclusives les relations de
clientèle et, par conséquent, accroît le risque de capture
des clients.
Un courant théorique récent remet toutefois en
cause le caractère de monopole naturel du prêt bancaire, en
mettant l'accent sur le coût du financement bancaire. Au-delà des
coûts inhérents à l'intermédiation
financière, le crédit bancaire a un coût propre provenant
de manière endogène des fonctions de surveillance et de
contrôle exercées par la banque durant la relation de
clientèle. Le savoir privé spécifique à
l'emprunteur permet à la banque d'exproprier une partie des profits de
la clientèle. En effet, comme l'avancent Greenbaum, Kanatas et Venezia
(1989), Sharpe (1990) ou encore Rajan (1992), l'asymétrie d'information
du côté de l'offre de crédits bancaires permet à une
banque d'extraire une rente informationnelle sur ses anciens clients à
faible risque de défaillance dans la mesure où, contrairement aux
autres banques, elle sait que l'emprunteur est moins risqué que la
moyenne.
La rente informationnelle peut être définie comme
la différence entre le taux d'intérêt pratiqué par
la banque et le taux qui annulerait son profit. L'anticipation de rentes
informationnelles ex post provoque des distorsions ex ante dans le montant du
capital investi (Sharpe, 1990) ou de l'effort exercé par le client
(Rajan, 1992). La duplication des coûts de monitoring a alors ses
avantages. Rajan (1992) montre que les choix par le client de
différentes sources de financement et des priorités quant
à leur remboursement, peuvent circonscrire de manière optimale la
rente informationnelle de la banque.
Un autre élément vient renforcer le risque de
capture de la clientèle par la banque créancière. Il
s'agit des coûts de substitution (switching costs en anglais)
supportés par le client en cas de changement de banque. Ces coûts
sont multiples. Ce sont les coûts d'opportunité, en termes de
temps et de transmission d'informations, imputables à
l'établissement et au développement de la relation de
clientèle. Les coûts associés aux transferts de compte,
comme les frais de mise en place de prélèvements automatiques,
doivent également être pris en considération, ainsi que les
coûts inhérents à la rationalité limitée des
agents économiques. Vives (1991) est l'un des rares auteurs à
souligner l'importance de ces coûts de substitution dans la
fidélisation de la clientèle. Selon cet auteur, les coûts
de substitution rendent la demande moins élastique et expliquent
pourquoi les clients ne changent pas de banque aussi souvent que les
différences de prix le justifieraient.
Les relations de clientèle permettent aux banques de
diminuer le coût attendu des fonds prêtés aux clients. Mais
cette réduction de coût du crédit du côté de
la banque ne paraît pas se répercuter dans le taux
d'intérêt pratiqué au client. En effet, Petersen et Rajan
(1994) trouvent, pour un échantillon de clients américains de
petite taille, que les clients entretenant des relations durables avec des
banques n'obtiennent pas dans le temps des taux d'intérêt
significativement moins élevés que les autres. Toutefois, un
client peut tirer certains avantages à maintenir une relation stable et
privilégiée avec une banque. L'un d'eux est l'assurance d'un
financement à long terme.
L'asymétrie d'information que subit le client quant au
comportement de sa banque est rarement analysée dans la
littérature économique. En particulier, le client ne peut
prévoir avec certitude si sa banque renouvellera son crédit et
dans quelles conditions. La banque a bien sûr intérêt
à ne pas dévoiler ses intentions pour éviter tout
comportement opportuniste de la part de son débiteur. Devant ce risque
de rationnement et de taux, un client peut être incité à
s'engager dans une relation de long terme avec une banque. En effet, dans une
série d'articles, Hoshy, Kyashap et Scharfstein (1990) trouvent, pour un
échantillon de clients japonais, que ceux qui entretiennent des liens
étroits et durables avec une banque principale ont des contraintes de
liquidités plus souples que les autres. De plus, les clients du premier
groupe investissent plus en période de difficultés
financières que celles appartenant au second, suggérant là
encore que les relations de long terme avec les banques permettent aux clients
de surmonter, au moins en partie, les difficultés associées
à l'accès aux fonds prêtables.
L'autre avantage que peut retirer un client d'une relation
stable avec une banque est la création d'une réputation de
solvabilité. Comme le montre Diamond (1991), un client peut
développer un phénomène de réputation en
s'endettant auprès des banques dont l'activité de surveillance
permet de produire un savoir spécifique au client. On aboutit ainsi
à une théorie particulière de la demande de prêts
bancaires. Une clientèle sans grande qualité notoire s'adressera
à une banque pour être surveillée et évaluée.
Cette relation permettra au client de se constituer un « dossier
bancaire » et d'accéder à d'autres sources de
financement moins onéreuses, une fois sa réputation de
solvabilité établie.
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