Un exemple unique de construction et d'exploitation d'un navire: Le Cargo solidaire( Télécharger le fichier original )par Elisabeth Druel Université de Nantes - Master II Droit maritime et océanique 2006 |
CHAPITRE II : LA MISE EN OEUVRE DE L'EXPLOITATION DU NAVIRELe navire va être exploité de trois façons différentes. Tout d'abord, il va pouvoir transporter des marchandises (Section I). Ensuite, il servira à l'organisation de voyages (Section II). Enfin, des visites seront organisées à son bord. La section III examinera cette question sous l'angle global de l'animation qui sera mise en place autour du navire, avec, entre autres, les visites du chantier de construction. Section I : Le transport de marchandisesIl va s'agir de transporter des marchandises labellisées commerce équitable, en partenariat avec des ONG. Egalement, pourront être transportés du matériel médical ou d'autres marchandises usuellement envoyées par les ONG vers des pays du tiers monde. C'est répondre à l'un des objectifs du projet, qui est l'inversion des rapports Nord/Sud et la pratique des solidarités vis-à-vis des populations défavorisées. La promotion du commerce équitable est une solution intéressante, qui permet aux pays du tiers monde de se développer à travers une politique de développement par la valorisation du travail et non par l'assistanat. Cependant, c'est également ici que l'on va toucher aux limites du projet. Les marchandises seront transportées par conteneurs au prix du marché (soit environ 3 000 euros par conteneur). Certes, le public visé est différent de celui visé habituellement par les entreprises du secteur, mais le prix du transport ne sera pas « équitable ». Qu'est ce qui engagera alors les ONG à faire transporter leurs marchandises par le Cargo solidaire ? C'est l'image, la publicité, la logique d'une telle démarche qui sera appréciée par les ONG. On peut imaginer la mise en place de contrats de parrainage : l'ONG confie ses marchandises au Cargo solidaire, et en échange, son nom apparaît, par exemple sur les voiles ou sur la coque du navire. Cela suppose que le Cargo solidaire devra être irréprochable de sa construction à la fin de son exploitation, et tous les choix faits précédemment se trouvent ainsi justifiés : de l'insertion de personnes en difficulté au pavillon français (plus contraignant en matière de droit social) en passant par une optimisation maximale des normes écologiques disponibles en matière de droit maritime. Ainsi, la structure armateur pourra passer deux types de contrats pour le transport de marchandises : des contrats de transport (§1) et des contrats d'affrètement (§2). §1 : Les contrats de transport86(*)Les contrats de transport maritime sont à soigneusement distinguer des contrats d'affrètement. Alors que l'affrètement relève d'une logique de mise à disposition d'un navire, le contrat de transport se caractérise par le fait qu'un chargeur va confier à un transporteur des marchandises pour leur déplacement. La loi du 18 juin 196687(*), dans son article 15, définit le contrat de transport maritime de marchandises comme un contrat par lequel un chargeur s'engage à payer un fret (prix du transport) déterminé à un transporteur qui s'engage à son tour à acheminer une marchandise déterminée d'un port à un autre. Dans le cadre du projet « Le Cargo solidaire », le transporteur sera donc la structure armateur, quelle qu'en soit la forme, et le chargeur sera une ONG, qui voudra acheminer par conteneurs un certain nombre de marchandises. La solution du contrat de transport est certainement la plus raisonnable, en ce qu'elle permet à la structure armateur de conserver un grand pouvoir de gestion et de contrôle sur les contrats qui vont être passés. Elle pourra ainsi se prémunir contre des risques de dérive qui n'existeront que si le navire est donné en affrètement et échappe partiellement à son contrôle. Il est évident que, pour garantir au plus près le respect du projet, continuer d'avoir une exploitation économique et ne pas basculer dans l'exploitation purement lucrative, il faut éviter au maximum les intermédiaires entre la structure armateur et les ONG. D'ailleurs, la présence d'intermédiaires entraîne presque inévitablement (et logiquement !) une répercussion sur le montant du fret. Il faut noter aussi que les membres fondateurs ont commencé à démarcher les ONG qui seraient susceptibles d'utiliser le Cargo solidaire pour expédier des marchandises. Cette démarche s'accorde parfaitement avec la logique d'un contrat de transport conclu de la façon la plus simple qui soit, entre un représentant de la structure armateur, et un représentant de l'ONG, afin de toujours savoir si le navire servira à transporter des marchandises utiles à l'accomplissement des objectifs du projet, à savoir la pratique des solidarités et l'inversion des rapports Nord/Sud. Il va être intéressant ici d'étudier brièvement les obligations qui vont peser sur le transporteur dans le cadre du contrat de transport. Les obligations concernant le chargeur sont laissées de côté, elles ne concerneront a priori pas la structure armateur. Tout d'abord, la structure armateur sera tenue de faire diligence pour mettre son navire en état de navigabilité nautique et commerciale avant le transport proprement dit. La notion de navigabilité sera entendue comme étant l'aptitude du Cargo solidaire à affronter les périls de la mer (navigabilité nautique) et à servir au transport de marchandises (navigabilité commerciale). Un certificat de navigabilité sera délivré et devra être conservé à bord. Ensuite, la structure armateur (transporteur) sera tenue impérativement de procéder de façon soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde et au déchargement de la marchandise. Une clause F.I.O. (Free In and Out) pourra être insérée dans le contrat de transport. Cette clause stipulera que les frais de chargement et de déchargement de la marchandise seront à la charge de l'ONG - du chargeur. En aucun cas, cette clause ne déchargera la structure armateur de l'obligation d'accomplir le chargement et le déchargement de la marchandise. Durant le transport, la structure armateur devra à la marchandise les soins dits ordinaires, qui sont précisés dans le contrat conclu entre les parties, ou, s'ils ne le sont pas, sont conformes aux usages courants du port de chargement. Ces soins sont très variés, pouvant inclure la ventilation, l'aération, le maintien des conteneurs à une certaine température... Si le voyage est interrompu en cours, la structure armateur devra faire diligence pour assurer le transbordement de la marchandise et son arrivée au port de destination prévu. Enfin, au terme du voyage, la marchandise devra être livrée au destinataire ou à son représentant contre la remise d'un connaissement. Le connaissement est un titre écrit représentatif de la marchandise, délivré par un armateur, qui atteste de la réception des marchandises à bord d'un navire, et qui, dans le cadre d'un contrat de transport de marchandises, est le titre faisant preuve de ce contrat. De toute façon, il existe aujourd'hui des imprimés types de ce genre de documents, imprimés standardisés, que la structure armateur pourra se procurer. Il ne faut oublier, également, que la structure armateur engagera sa responsabilité en cas de dommages ou de pertes subis par la marchandise. L'article 27 de la loi précitée du 18 juin 1966 fait peser une présomption de responsabilité sur le transporteur pour les dommages et pertes survenus au cours du transport à la marchandise qui lui est confiée. Il existe des cas d'exonération de responsabilité assez nombreux. La loi du 18 juin 1966 ne trouvera cependant à s'appliquer que de façon très très résiduelle dans le cas du Cargo solidaire. Il semble plutôt qu'en matière d'exonération de responsabilité du transporteur il faille se tourner vers la Convention de Bruxelles du 25 août 192488(*), qui s'applique aux transports internationaux constatés par un connaissement lorsque le connaissement est émis dans un Etat contractant ou lorsque le transport a lieu au départ d'un port d'un Etat contractant, ou encore lorsque le connaissement prévoit l'application de la Convention ou d'une législation nationale appliquant cette Convention. Le Cargo solidaire, dans son optique de création de nouveaux rapports Nord/Sud, est amené à effectuer des transports internationaux et rentre tout à fait dans cette catégorie. La Convention de Bruxelles énumère dix-neuf cas d'exonération du transporteur. Ces dispositions furent d'ailleurs maintes fois critiquées, en ce qu'elles laissent trop d'opportunités au transporteur pour s'exonérer de sa responsabilité, il n'en reste pas moins qu'en l'absence de ratification par la France d'autres textes internationaux sur le sujet, elle est le texte actuellement en vigueur, et offre ainsi à la structure armateur de nombreuses portes de sortie en cas de pertes ou de dommages subis par la marchandise. * 86 En droit français, les textes applicables au contrat de transport de marchandises par mer sont les suivants : Conv. Bruxelles, 25 août 1924, conv. pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement dites Règles de La Haye - D. 25 mars 1937, JO 8 avril 1937 ; Protocole Bruxelles, 23 février 1968, dit Règles de Visby- D. 8 juillet 1977, JO 20 juillet 1977 ; Protocole Bruxelles, 21 décembre 1979, dit Protocole DTS - D. 3 avril 1987, JO 5 avril 1987 ; L. n° 66-420, 18 juin 1966, sur les contrats d'affrètement et de transports maritimes, JO 24 juin 1966 ; D. n° 66-1078, 31 décembre 1966, sur les contrats d'affrètement et de transports maritimes, JO 11 janvier 1967. * 87 L. n° 66-420 du 18 juin 1966, prec. * 88 Conv. Bruxelles, 25 août 1924, prec. |
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