B- La nécessité de la motivation dans la
décision de classement sans suite
Nul ne saurait contester aujourd'hui la portée de la
motivation et ses nécessités dans un Etat de droit. Si tout
jugement doit rendre compte de la solution donnée au litige et la
justifier en exposant les raisons qui l'ont soutenue, sous la forme de
motivation, il ne doit pas être autrement pour une décision de
classement sans suite où le risque d'arbitraire est élevé
voire décrié. La motivation est une garantie indéniable
attachée au classement sans suite121. Le ministère
public doit justifier pourquoi il a choisi de ne pas poursuivre alors qu'une
infraction a été signalée par une plainte. Cette
justification aura une vertu pédagogique pour la
justice122.
Sans prétendre à l'exhaustivité, la
motivation est d'abord un élément d'information à la fois
pour les parties au litige qui peuvent ainsi apprécier les chances de
succès d'une éventuelle voie de recours mais aussi pour le public
et les autres magistrats. Elle traduit, comme le rappelle le professeur
René Chapus, « une exigence de la démocratie
»123. En agissant au nom de la société, les
parquetiers doivent rendre compte des raisons par lesquelles ils se sont
déterminés pour ne pas poursuivre. La motivation des
décisions apparait comme une nécessité sociologique.
La motivation est identifiée comme un
élément de compréhension en direction des justiciables.
Ils disposent d'un droit de comprendre la décision qui est
rendue124. Une décision de justice est d'autant mieux
acceptée qu'elle est comprise par ceux à qui elle
s'adresse125. La motivation a une dimension pédagogique
à l'égard des justiciables qui veulent comprendre le sens de la
décision. Elle permet au juge de démontrer et de
120Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit.
121SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite en droit
procédural Congolais, op. cit. 122GUILLERMET (C.J),
La motivation des décisions de justice. La vertu
pédagogique de la justice, Paris, L'Harmatan, 2006, p.106.
123CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif,
Paris, Montchrestien, 13eme éd., 2008, p. 1062 124OBERDORFF
(H), L'émergence d'un droit de comprendre, EDCE 1992,
n°43, pp.217 et s. 125SAUVEL (T), Histoire du jugement
motivé, RDP 1955, pp. 5-53, spé.p.5
44
prouver126, mais aussi de persuader ou de
convaincre le justiciable qu'il doit finalement accepter la décision
rendue. Elle assure alors une fonction de légitimité qui donne
une force morale aux décisions de justice. Au vue de ses
différentes finalités, la motivation se présente comme un
impératif, un principe obligatoire de bonne justice, un de ces grands
principes dont on dit volontiers qu'il domine le droit127.
L'objectif rationnel de la motivation est de permettre au
magistrat de prouver qu'il applique rigoureusement la lettre de droit,
renforçant par là même l'idée de son entière
neutralité en évitant une justice dominée par une justice
casuistique, partiale et arbitraire. La motivation est nécessaire car
nous avons besoin de croire en une justice impartiale et nier un quelconque
pouvoir créateur de celui qui la rend.
Le magistrat, détaché de toutes les passions,
tentations et autres sentiments humains, est avant tout au service du droit
qu'il applique en toute neutralité, au cas par cas. A une même
situation donnée, la même règle de droit sera
appliquée, assurant ainsi la sécurité juridique des
citoyens. Afin de prouver à ses destinataires que la décision
qu'il rend l'est de manière objective, le magistrat explique la solution
retenue et justifie la décision en la motivant. Ainsi, en motivant sa
décision, le ministère public éloigne tout
arbitraire128.
La motivation est aussi perçue comme un
élément de contrôle. Elle permet le contrôle de la
décision par les parties qui sont en droit d'attendre que la justice
soit rendue mais aussi par les instances supérieures qui doivent
être en mesure d'apprécier le bien-fondé des
décisions. Elle permet de remplir une fonction sociale ainsi qu'une
bonne administration et un bon fonctionnement de la justice129.
Selon un auteur, « la motivation ne peut être conçue
seulement comme un moyen de contrôle institutionnel, mais aussi et
surtout comme un instrument destiné à rendre possible un
contrôle généralisé et diffus sur la manière
dont le magistrat administre la justice. En d'autres termes, cela implique que
les destinataires de la motivation ne soient pas uniquement
126HEGEL (G.W.F), Principes de la philosophie
du droit ou droit naturel et science de l'Etat en abrégé,
Librairie philosophique J. VRIN, 1998, § 222, p.240.
127SAUVEL (T), Histoire du jugement
motivé, op. cit., p.5
128WANDA (M), Essai sur la motivation des
décisions de justice. Pour une lecture simplifiée des
décisions des cours constitutionnels, Revue Annuaire International
de justice constitutionnelle, année 2000/15-1999/pp.35-63
129TARUFFO (M), La motivazione delle sentenze civili,
Padoue, C.E.D.A.M., 1975, pp.406-407.
45
les parties, les avocats et le juge d'appel, mais
également l'opinion publique comprise soit dans son ensemble soit comme
l'opinion de l'un de ses membres130 ».
La motivation de la décision est un principe essentiel
de la procédure. Elle apparait comme un élément de l'Etat
de droit et une garantie de bonne administration de la justice131.
Elle permet de vérifier la qualité du raisonnement du magistrat,
protégeant le justiciable du risque d'arbitraire. « Tout homme
qui a du pouvoir est porté à en
abuser132».
L'exigence d'une motivation suffisante comme gage d'une
décision digne de confiance mérite d'être envisagée
par le législateur congolais, qui est resté muet en abandonnant
aux parquetiers le soin de faire ce qu'ils croient être utiles pour la
bonne administration de la justice, et en exposant les victimes à une
insécurité juridique.
L'obligation de motiver la décision de classement sans
suite va répondre à deux exigences.
La première vise à répondre à la
volonté de transparence de la décision. Il est devenu
indispensable de pouvoir éclairer la décision de classement au
regard de sa motivation et d'ainsi apprécier si le motif est
légitime et bien pensé. Mais aussi d'évaluer si la
décision de classement sans suite répond ou non aux directives de
politique criminelle.
Une autre considération tend à renforcer
l'information de la victime d'une infraction pénale. Le
législateur doit permettre à celle-ci de prendre connaissance des
informations relatives au classement sans suite, non seulement en étant
informée de la décision de classement mais aussi en obtenant le
motif de classement. Ce faisant, la personne ayant déposé sa
plainte pourra adopter une opinion quant à la décision du parquet
de classer le dossier sans suite et, au besoin, décider d'envisager une
démarche devant les tribunaux.
Le parquet doit persuader au mieux le tiers lésé
que, malgré l'intérêt personnel du plaignant de voir
l'infraction être poursuivie, sa poursuite n'est pas opportune compte
tenu de la répercussion sociale ou d'autres considérations. La
décision de classement,
130Ibidem
131PETIT (E), La motivation des décisions
judicaires et l'autorité du juge, disponible sur Cainrn. info
132MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, (1748), Paris,
Garnier frères, 1973, (contrib. R. D2RATHE), p. 142.
46
en un mot, doit être en mesure de toujours convaincre au
moins de s'expliquer133. Par ailleurs, l'exigence de la motivation
va de pair avec celle de la notification.
PARAGRAPHE 2 : L'obligation de notification de la
décision de classement sans suite
L'exigence de la notification des décisions de
classement n'est pas observée en pratique de manière rigoureuse
par le ministère public (A), alors qu'elle
présente un intérêt majeur (B).
A- L'observation facultative de l'obligation de
notification en matière de classement sans suite
Par définition, la notification est la formalité
par laquelle on tient officiellement une personne informée, du contenu
d'un acte auquel elle n'a pas été partie, ou par lequel on lui
donne un préavis, on la cite à comparaitre devant un tribunal ou
on lui donne connaissance du contenu d'une décision de justice.
Dans le cadre de notre étude, la notification doit
s'entendre comme la communication de la décision de classement prise par
le ministère public au plaignant. Elle peut être effectuée
par le secrétariat du parquet, en principe par lettre recommandée
avec demande d'avis de réception.
Selon toute vraie semblance, la loi n'oblige pas le
ministère public à communiquer sa décision de classement
sans suite. Cette formalité est pratiquée de manière
facultative. La difficulté résulte parfois du fait que le
ministère public ne matérialise pas toujours son refus de
poursuivre. Il serait incohérent de notifier au plaignant une
décision qui n'existe pas. Cette pratique est dangereuse car elle
démontre à suffisance
133Le législateur doit illustrer la synergie
entre le ministère public et la victime. Dans l'hypothèse
où un délit est classé pour des motifs juridiques et
techniques, le parquet en communique la raison précise au plaignant. Le
législateur escompte, ce faisant, que le tiers lésé
comprenne le bien fondé du classement ; le parquet n'ayant pas d'autre
choix que d'y procéder. Dans l'autre hypothèse, où un
délit est classé pour des motifs d'opportunités,
recueillir l'assentiment du tiers lésé est un peu plus
délicat. Le parquet doit être amené à se prononcer
sur l'opportunité de l'engagement de l'action publique et le plaignant
risque, en effet, d'avoir plus de difficulté à comprendre cette
décision. Il est du devoir du parquet de combler le fossé entre
le citoyen et la Justice par la communication de la décision de
classement et de sa motivation.
47
que le ministère public ne traite pas certaines
plaintes qu'il reçoit, laissant les victimes dans une
incompréhension totale et soif de justice.
La notification signifie que la plainte a été
traitée, la cause de la victime a été entendue et qu'une
décision a été prise par l'autorité
compétente. Le contraire signifie que la plainte a été
classée sans examen, la cause de la victime n'a pas été
entendue par le garant de l'ordre public et par conséquent, elle n'a pas
droit à la justice. Tel est le sentiment que la victime ressent en cas
d'absence de réponse. La notification est en réalité la
réponse du parquet à la plainte déposée par la
victime. En l'absence d'une décision matérielle, c'est difficile
de s'attendre à une notification. Certaines victimes souffrent, se
lassent ou optent pour d'autres solutions, en faisant des allers-retours au
parquet pour s'enquérir de la décision du ministère public
sans suite car aucune décision n'est prise et ne sera prise.
Dans certains cas, une décision peut être prise
sans que la victime en soit informée. Elle reste alors à la
maison, attendant un éventuel appel ou une notification qui ne vient
pas. D'après les informations que nous avons recueillies sur le terrain,
le parquet estime souvent que c'est à la victime de suivre l'avancement
de son dossier plutôt que d'attendre passivement à la maison. Bien
sûr, les victimes doivent être tenues informées de
l'évolution de leurs dossiers, mais certaines se fatiguent après
une longue attente de la décision du ministère public. Cette
situation découle du fait que le ministère public n'est pas tenu
de notifier systématiquement ses décisions et qu'il refuse
d'offrir aux justiciables la transparence nécessaire sur son action.
Cette pratique nuit aux droits de la victime d'être informée des
suites judiciaires données à sa plainte.
D'ailleurs, les obstacles à l'information de la
victime, quant à l'évolution de sa plainte découlent du
fait qu'aucun délai légal n'est défini pour que le
ministère public rende sa décision. Si ce délai
était connu, la victime pourrait se présenter au parquet au
moment fixé par le législateur afin d'exiger une réponse
concernant sa plainte.
Il est en effet curieux de constater que le problème de
communication ne se pose que dans les décisions de classement sans suite
et non dans celles de poursuite. La justification de ce traitement
différentiel réservé à ces deux décisions du
parquet est difficile à établir. Parfois, le manque
d'intérêt du ministère public se manifeste davantage dans
les décisions de classement que dans celles de poursuite. Étant
exempt de toute obligation de notification, le parquetier ne prend pas la peine
de
48
notifier sa décision de classement. Ce manque de
volonté de communiquer la décision pourrait s'expliquer en
partie, surtout lorsque le motif retenu pour le classement est arbitraire,
fantaisiste et dicté par des intérêts personnels
plutôt que juridiques.
Le caractère facultatif de la notification n'est pas
toujours dû à la seule volonté du ministère public.
Il y a bien d'autres raisons qui justifient cette attitude du parquet à
savoir : l'absence des canaux de communication efficaces établis entre
le secrétariat du parquet et les victimes ; le manque de personnel
administratif formé et qualifié pour la notification des
décisions du parquet ; le manque de suivi du dossier par la victime
après une longue attente. Il faut ajouter à ces raisons l'absence
de décision formelle prise par le parquet ; de l'obligation
légale de notification dans les délais bien précis ; de la
conscience professionnelle de certains magistrats chargés de traiter les
plaintes.
La situation décrite illustre l'urgence d'une
réforme pour remédier à l'opacité et aux abus dans
le traitement des plaintes. Il est impératif de rendre la notification
légale, avec un délai maximal de dix (10) jours après la
décision de classement, en utilisant à la fois les canaux
traditionnels et les moyens modernes que la technologie nous offre ( les
réseaux sociaux, l'e-mail et la consultation d'un site web
répertoriant les décisions du ministère public). La
notification doit parvenir à la victime, voire au présumé
auteur, au plus tard quatre mois après le dépôt de la
plainte, étant donné qu'il est nécessaire, que le
ministère public prenne sa décision, dans un délai maximal
de trois mois après le dépôt de la plainte.
B- L'intérêt d'observation de
l'obligation de notification en matière de classement sans
suite
Si nous comprenons que la notification est la communication de
la décision qui a été prise par le ministère
public, il y a lieu de cerner l'intérêt d'observer cette exigence
tant pour le plaignant que pour la victime. L'absence de notification traduit
bel et bien qu'aucune décision n'a été prise, et par
conséquent, les droits de la victime ont été
bafoués par les autorités judiciaires. Il résulte
incontestablement de ce système une insécurité juridique,
car il laisse le prévenu dans l'ignorance de l'issue de la
procédure, dans l'impasse et la reprise de la procédure au
gré du ministère public134.
134LUZOLO BAMBI LESSA (E) et BAYONA BA MEYA (N.A),
Manuel de procédure pénale, op. cit. P.382
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La nécessité de la communication de la
décision de classement au plaignant répond à l'exigence de
transparence et de clarification des décisions du ministère
public. Elle est importante pour la transparence de la justice, car elle permet
à la victime et à la population de connaitre et comprendre les
raisons pour lesquelles l'affaire a été classée sans
suite. Cela va aider à renforcer la confiance dans le système
judiciaire en montrant que les décisions sont prises avec transparence
et impartialité. L'absence d'obligation de rendre publique la
décision de classement nuit aux intérêts de la victime.
Celle-ci a le droit d'être informée par le procureur de la
République de sa décision de classement sans suite, ainsi que des
motifs l'ayant conduit à prendre une telle décision.
Il doit également l'informer de ses droits pour la
suite éventuelle de la procédure, notamment celui de contester la
décision de classement, de se constituer partie civile devant le
magistrat instructeur, si elle souhaite poursuivre l'affaire devant un
tribunal, de saisir directement la formation de jugement par voie de citation
directe, de saisir le tribunal civil s'il le souhaite pour obtenir
indemnisation pour le préjudice subi en raison de l'infraction ;
même si l'auteur présumé de l'infraction n'a pas
été poursuivi. L'information peut aider la victime à
préparer sa défense si elle décide de poursuivre l'auteur
présumé de l'infraction en justice.
La notification fait courir les délais de recours et
permet à la victime d'accomplir le plus vite possible les diligences
nécessaires pour d'autres actions envisagées. Sans la
notification, aucune action ne pourrait être envisagée.
Néanmoins, compte tenu du silence de la loi, en l'absence d'une
notification, la victime peut saisir une juridiction répressive pour
mettre en mouvement l'action publique d'autant plus que la décision du
parquet n'est pas un préalable à la saisine du juge d'instruction
ou de jugement. L'action de la victime de saisir une juridiction
répressive est indépendante de la décision ou l'attitude
adoptée par le ministère public.
L'absence de notification paralyse la victime et la laisse
dans l'incertitude, surtout dans le contexte pénal où les
infractions peuvent s'éteindre en raison du principe de prescription. Ce
dernier constitue un mécanisme de perte du droit d'agir en justice : un
an pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour
les crimes, sans tenir compte des infractions bénéficiant de
délais d'exception. La loi devrait imposer au procureur l'obligation de
fournir une réponse pénale suite à une plainte,
plutôt que de rester silencieux, ce qui serait préjudiciable
à la victime. Le Procureur devrait
50
informer les plaignants et les prévenus, s'ils sont
identifiés, en précisant les raisons juridiques ou
d'opportunité justifiant sa décision, à l'instar de la
pratique en France135.
Il serait hautement souhaitable de modifier les pratiques du
classement pour permettre une plus grande clarification des décisions de
classement, de leur motivation et des formes de leur notification aux victimes.
Il va falloir que ces décisions soient plus personnalisées, plus
complètes et qu'elles orientent la victime, le cas
échéant, vers d'autres démarches. La question du droit de
recours se doit d'être prise en compte en raison de son inexistence en
dispositif.
SECTION 2 : L'inexistence du droit de recours pour le
plaignant du classement sans suite
Le classement sans suite est une décision insusceptible
de voie de recours de la part du plaignant. Ni la loi, ni la pratique n'admet
la remise en cause de la décision de classement sans suite par voie de
recours administratif ou juridictionnel. Il est essentiel de
s'intéresser au fondement de la méconnaissance de ce droit
(Paragraphe 1) et de tenter par la suite de montrer une
possible discussion face à ce refus (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : Le fondement de l'inexistence du droit
de recours contre le classement sans suite
Deux justificatifs sont avancés pour soutenir la
méconnaissance du droit de recours contre un classement sans suite : son
caractère administratif (A) et provisoire
(B).
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