WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le régime juridique du classement sans suite en procédure pénale congolaise


par Darchy ELIONTA
Université Marien Ngouabi  - Master  2024
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B- La nécessité de la motivation dans la décision de classement sans suite

Nul ne saurait contester aujourd'hui la portée de la motivation et ses nécessités dans un Etat de droit. Si tout jugement doit rendre compte de la solution donnée au litige et la justifier en exposant les raisons qui l'ont soutenue, sous la forme de motivation, il ne doit pas être autrement pour une décision de classement sans suite où le risque d'arbitraire est élevé voire décrié. La motivation est une garantie indéniable attachée au classement sans suite121. Le ministère public doit justifier pourquoi il a choisi de ne pas poursuivre alors qu'une infraction a été signalée par une plainte. Cette justification aura une vertu pédagogique pour la justice122.

Sans prétendre à l'exhaustivité, la motivation est d'abord un élément d'information à la fois pour les parties au litige qui peuvent ainsi apprécier les chances de succès d'une éventuelle voie de recours mais aussi pour le public et les autres magistrats. Elle traduit, comme le rappelle le professeur René Chapus, « une exigence de la démocratie »123. En agissant au nom de la société, les parquetiers doivent rendre compte des raisons par lesquelles ils se sont déterminés pour ne pas poursuivre. La motivation des décisions apparait comme une nécessité sociologique.

La motivation est identifiée comme un élément de compréhension en direction des justiciables. Ils disposent d'un droit de comprendre la décision qui est rendue124. Une décision de justice est d'autant mieux acceptée qu'elle est comprise par ceux à qui elle s'adresse125. La motivation a une dimension pédagogique à l'égard des justiciables qui veulent comprendre le sens de la décision. Elle permet au juge de démontrer et de

120Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit. 121SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite en droit procédural Congolais, op. cit. 122GUILLERMET (C.J), La motivation des décisions de justice. La vertu pédagogique de la justice, Paris, L'Harmatan, 2006, p.106.

123CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13eme éd., 2008, p. 1062 124OBERDORFF (H), L'émergence d'un droit de comprendre, EDCE 1992, n°43, pp.217 et s. 125SAUVEL (T), Histoire du jugement motivé, RDP 1955, pp. 5-53, spé.p.5

44

prouver126, mais aussi de persuader ou de convaincre le justiciable qu'il doit finalement accepter la décision rendue. Elle assure alors une fonction de légitimité qui donne une force morale aux décisions de justice. Au vue de ses différentes finalités, la motivation se présente comme un impératif, un principe obligatoire de bonne justice, un de ces grands principes dont on dit volontiers qu'il domine le droit127.

L'objectif rationnel de la motivation est de permettre au magistrat de prouver qu'il applique rigoureusement la lettre de droit, renforçant par là même l'idée de son entière neutralité en évitant une justice dominée par une justice casuistique, partiale et arbitraire. La motivation est nécessaire car nous avons besoin de croire en une justice impartiale et nier un quelconque pouvoir créateur de celui qui la rend.

Le magistrat, détaché de toutes les passions, tentations et autres sentiments humains, est avant tout au service du droit qu'il applique en toute neutralité, au cas par cas. A une même situation donnée, la même règle de droit sera appliquée, assurant ainsi la sécurité juridique des citoyens. Afin de prouver à ses destinataires que la décision qu'il rend l'est de manière objective, le magistrat explique la solution retenue et justifie la décision en la motivant. Ainsi, en motivant sa décision, le ministère public éloigne tout arbitraire128.

La motivation est aussi perçue comme un élément de contrôle. Elle permet le contrôle de la décision par les parties qui sont en droit d'attendre que la justice soit rendue mais aussi par les instances supérieures qui doivent être en mesure d'apprécier le bien-fondé des décisions. Elle permet de remplir une fonction sociale ainsi qu'une bonne administration et un bon fonctionnement de la justice129. Selon un auteur, « la motivation ne peut être conçue seulement comme un moyen de contrôle institutionnel, mais aussi et surtout comme un instrument destiné à rendre possible un contrôle généralisé et diffus sur la manière dont le magistrat administre la justice. En d'autres termes, cela implique que les destinataires de la motivation ne soient pas uniquement

126HEGEL (G.W.F), Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'Etat en abrégé, Librairie philosophique J. VRIN, 1998, § 222, p.240.

127SAUVEL (T), Histoire du jugement motivé, op. cit., p.5

128WANDA (M), Essai sur la motivation des décisions de justice. Pour une lecture simplifiée des décisions des cours constitutionnels, Revue Annuaire International de justice constitutionnelle, année 2000/15-1999/pp.35-63 129TARUFFO (M), La motivazione delle sentenze civili, Padoue, C.E.D.A.M., 1975, pp.406-407.

45

les parties, les avocats et le juge d'appel, mais également l'opinion publique comprise soit dans son ensemble soit comme l'opinion de l'un de ses membres130 ».

La motivation de la décision est un principe essentiel de la procédure. Elle apparait comme un élément de l'Etat de droit et une garantie de bonne administration de la justice131. Elle permet de vérifier la qualité du raisonnement du magistrat, protégeant le justiciable du risque d'arbitraire. « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser132».

L'exigence d'une motivation suffisante comme gage d'une décision digne de confiance mérite d'être envisagée par le législateur congolais, qui est resté muet en abandonnant aux parquetiers le soin de faire ce qu'ils croient être utiles pour la bonne administration de la justice, et en exposant les victimes à une insécurité juridique.

L'obligation de motiver la décision de classement sans suite va répondre à deux exigences.

La première vise à répondre à la volonté de transparence de la décision. Il est devenu indispensable de pouvoir éclairer la décision de classement au regard de sa motivation et d'ainsi apprécier si le motif est légitime et bien pensé. Mais aussi d'évaluer si la décision de classement sans suite répond ou non aux directives de politique criminelle.

Une autre considération tend à renforcer l'information de la victime d'une infraction pénale. Le législateur doit permettre à celle-ci de prendre connaissance des informations relatives au classement sans suite, non seulement en étant informée de la décision de classement mais aussi en obtenant le motif de classement. Ce faisant, la personne ayant déposé sa plainte pourra adopter une opinion quant à la décision du parquet de classer le dossier sans suite et, au besoin, décider d'envisager une démarche devant les tribunaux.

Le parquet doit persuader au mieux le tiers lésé que, malgré l'intérêt personnel du plaignant de voir l'infraction être poursuivie, sa poursuite n'est pas opportune compte tenu de la répercussion sociale ou d'autres considérations. La décision de classement,

130Ibidem

131PETIT (E), La motivation des décisions judicaires et l'autorité du juge, disponible sur Cainrn. info 132MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, (1748), Paris, Garnier frères, 1973, (contrib. R. D2RATHE), p. 142.

46

en un mot, doit être en mesure de toujours convaincre au moins de s'expliquer133. Par ailleurs, l'exigence de la motivation va de pair avec celle de la notification.

PARAGRAPHE 2 : L'obligation de notification de la décision de classement sans suite

L'exigence de la notification des décisions de classement n'est pas observée en pratique de manière rigoureuse par le ministère public (A), alors qu'elle présente un intérêt majeur (B).

A- L'observation facultative de l'obligation de notification en matière de classement sans suite

Par définition, la notification est la formalité par laquelle on tient officiellement une personne informée, du contenu d'un acte auquel elle n'a pas été partie, ou par lequel on lui donne un préavis, on la cite à comparaitre devant un tribunal ou on lui donne connaissance du contenu d'une décision de justice.

Dans le cadre de notre étude, la notification doit s'entendre comme la communication de la décision de classement prise par le ministère public au plaignant. Elle peut être effectuée par le secrétariat du parquet, en principe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Selon toute vraie semblance, la loi n'oblige pas le ministère public à communiquer sa décision de classement sans suite. Cette formalité est pratiquée de manière facultative. La difficulté résulte parfois du fait que le ministère public ne matérialise pas toujours son refus de poursuivre. Il serait incohérent de notifier au plaignant une décision qui n'existe pas. Cette pratique est dangereuse car elle démontre à suffisance

133Le législateur doit illustrer la synergie entre le ministère public et la victime. Dans l'hypothèse où un délit est classé pour des motifs juridiques et techniques, le parquet en communique la raison précise au plaignant. Le législateur escompte, ce faisant, que le tiers lésé comprenne le bien fondé du classement ; le parquet n'ayant pas d'autre choix que d'y procéder. Dans l'autre hypothèse, où un délit est classé pour des motifs d'opportunités, recueillir l'assentiment du tiers lésé est un peu plus délicat. Le parquet doit être amené à se prononcer sur l'opportunité de l'engagement de l'action publique et le plaignant risque, en effet, d'avoir plus de difficulté à comprendre cette décision. Il est du devoir du parquet de combler le fossé entre le citoyen et la Justice par la communication de la décision de classement et de sa motivation.

47

que le ministère public ne traite pas certaines plaintes qu'il reçoit, laissant les victimes dans une incompréhension totale et soif de justice.

La notification signifie que la plainte a été traitée, la cause de la victime a été entendue et qu'une décision a été prise par l'autorité compétente. Le contraire signifie que la plainte a été classée sans examen, la cause de la victime n'a pas été entendue par le garant de l'ordre public et par conséquent, elle n'a pas droit à la justice. Tel est le sentiment que la victime ressent en cas d'absence de réponse. La notification est en réalité la réponse du parquet à la plainte déposée par la victime. En l'absence d'une décision matérielle, c'est difficile de s'attendre à une notification. Certaines victimes souffrent, se lassent ou optent pour d'autres solutions, en faisant des allers-retours au parquet pour s'enquérir de la décision du ministère public sans suite car aucune décision n'est prise et ne sera prise.

Dans certains cas, une décision peut être prise sans que la victime en soit informée. Elle reste alors à la maison, attendant un éventuel appel ou une notification qui ne vient pas. D'après les informations que nous avons recueillies sur le terrain, le parquet estime souvent que c'est à la victime de suivre l'avancement de son dossier plutôt que d'attendre passivement à la maison. Bien sûr, les victimes doivent être tenues informées de l'évolution de leurs dossiers, mais certaines se fatiguent après une longue attente de la décision du ministère public. Cette situation découle du fait que le ministère public n'est pas tenu de notifier systématiquement ses décisions et qu'il refuse d'offrir aux justiciables la transparence nécessaire sur son action. Cette pratique nuit aux droits de la victime d'être informée des suites judiciaires données à sa plainte.

D'ailleurs, les obstacles à l'information de la victime, quant à l'évolution de sa plainte découlent du fait qu'aucun délai légal n'est défini pour que le ministère public rende sa décision. Si ce délai était connu, la victime pourrait se présenter au parquet au moment fixé par le législateur afin d'exiger une réponse concernant sa plainte.

Il est en effet curieux de constater que le problème de communication ne se pose que dans les décisions de classement sans suite et non dans celles de poursuite. La justification de ce traitement différentiel réservé à ces deux décisions du parquet est difficile à établir. Parfois, le manque d'intérêt du ministère public se manifeste davantage dans les décisions de classement que dans celles de poursuite. Étant exempt de toute obligation de notification, le parquetier ne prend pas la peine de

48

notifier sa décision de classement. Ce manque de volonté de communiquer la décision pourrait s'expliquer en partie, surtout lorsque le motif retenu pour le classement est arbitraire, fantaisiste et dicté par des intérêts personnels plutôt que juridiques.

Le caractère facultatif de la notification n'est pas toujours dû à la seule volonté du ministère public. Il y a bien d'autres raisons qui justifient cette attitude du parquet à savoir : l'absence des canaux de communication efficaces établis entre le secrétariat du parquet et les victimes ; le manque de personnel administratif formé et qualifié pour la notification des décisions du parquet ; le manque de suivi du dossier par la victime après une longue attente. Il faut ajouter à ces raisons l'absence de décision formelle prise par le parquet ; de l'obligation légale de notification dans les délais bien précis ; de la conscience professionnelle de certains magistrats chargés de traiter les plaintes.

La situation décrite illustre l'urgence d'une réforme pour remédier à l'opacité et aux abus dans le traitement des plaintes. Il est impératif de rendre la notification légale, avec un délai maximal de dix (10) jours après la décision de classement, en utilisant à la fois les canaux traditionnels et les moyens modernes que la technologie nous offre ( les réseaux sociaux, l'e-mail et la consultation d'un site web répertoriant les décisions du ministère public). La notification doit parvenir à la victime, voire au présumé auteur, au plus tard quatre mois après le dépôt de la plainte, étant donné qu'il est nécessaire, que le ministère public prenne sa décision, dans un délai maximal de trois mois après le dépôt de la plainte.

B- L'intérêt d'observation de l'obligation de notification en matière de classement sans suite

Si nous comprenons que la notification est la communication de la décision qui a été prise par le ministère public, il y a lieu de cerner l'intérêt d'observer cette exigence tant pour le plaignant que pour la victime. L'absence de notification traduit bel et bien qu'aucune décision n'a été prise, et par conséquent, les droits de la victime ont été bafoués par les autorités judiciaires. Il résulte incontestablement de ce système une insécurité juridique, car il laisse le prévenu dans l'ignorance de l'issue de la procédure, dans l'impasse et la reprise de la procédure au gré du ministère public134.

134LUZOLO BAMBI LESSA (E) et BAYONA BA MEYA (N.A), Manuel de procédure pénale, op. cit. P.382

49

La nécessité de la communication de la décision de classement au plaignant répond à l'exigence de transparence et de clarification des décisions du ministère public. Elle est importante pour la transparence de la justice, car elle permet à la victime et à la population de connaitre et comprendre les raisons pour lesquelles l'affaire a été classée sans suite. Cela va aider à renforcer la confiance dans le système judiciaire en montrant que les décisions sont prises avec transparence et impartialité. L'absence d'obligation de rendre publique la décision de classement nuit aux intérêts de la victime. Celle-ci a le droit d'être informée par le procureur de la République de sa décision de classement sans suite, ainsi que des motifs l'ayant conduit à prendre une telle décision.

Il doit également l'informer de ses droits pour la suite éventuelle de la procédure, notamment celui de contester la décision de classement, de se constituer partie civile devant le magistrat instructeur, si elle souhaite poursuivre l'affaire devant un tribunal, de saisir directement la formation de jugement par voie de citation directe, de saisir le tribunal civil s'il le souhaite pour obtenir indemnisation pour le préjudice subi en raison de l'infraction ; même si l'auteur présumé de l'infraction n'a pas été poursuivi. L'information peut aider la victime à préparer sa défense si elle décide de poursuivre l'auteur présumé de l'infraction en justice.

La notification fait courir les délais de recours et permet à la victime d'accomplir le plus vite possible les diligences nécessaires pour d'autres actions envisagées. Sans la notification, aucune action ne pourrait être envisagée. Néanmoins, compte tenu du silence de la loi, en l'absence d'une notification, la victime peut saisir une juridiction répressive pour mettre en mouvement l'action publique d'autant plus que la décision du parquet n'est pas un préalable à la saisine du juge d'instruction ou de jugement. L'action de la victime de saisir une juridiction répressive est indépendante de la décision ou l'attitude adoptée par le ministère public.

L'absence de notification paralyse la victime et la laisse dans l'incertitude, surtout dans le contexte pénal où les infractions peuvent s'éteindre en raison du principe de prescription. Ce dernier constitue un mécanisme de perte du droit d'agir en justice : un an pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes, sans tenir compte des infractions bénéficiant de délais d'exception. La loi devrait imposer au procureur l'obligation de fournir une réponse pénale suite à une plainte, plutôt que de rester silencieux, ce qui serait préjudiciable à la victime. Le Procureur devrait

50

informer les plaignants et les prévenus, s'ils sont identifiés, en précisant les raisons juridiques ou d'opportunité justifiant sa décision, à l'instar de la pratique en France135.

Il serait hautement souhaitable de modifier les pratiques du classement pour permettre une plus grande clarification des décisions de classement, de leur motivation et des formes de leur notification aux victimes. Il va falloir que ces décisions soient plus personnalisées, plus complètes et qu'elles orientent la victime, le cas échéant, vers d'autres démarches. La question du droit de recours se doit d'être prise en compte en raison de son inexistence en dispositif.

SECTION 2 : L'inexistence du droit de recours pour le plaignant du classement sans suite

Le classement sans suite est une décision insusceptible de voie de recours de la part du plaignant. Ni la loi, ni la pratique n'admet la remise en cause de la décision de classement sans suite par voie de recours administratif ou juridictionnel. Il est essentiel de s'intéresser au fondement de la méconnaissance de ce droit (Paragraphe 1) et de tenter par la suite de montrer une possible discussion face à ce refus (Paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : Le fondement de l'inexistence du droit de recours contre le classement sans suite

Deux justificatifs sont avancés pour soutenir la méconnaissance du droit de recours contre un classement sans suite : son caractère administratif (A) et provisoire (B).

précédent sommaire suivant






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme