B- Le choix du délai de classement sans suite
La notion du délai de classement renvoie au temps que
le Procureur de la République se donne pour prendre sa décision.
Le parquet n'a pas l'obligation de répondre immédiatement
après le dépôt d'une plainte et la loi ne lui impose pas un
délai de réponse. Le Procureur de la République tout comme
les autres magistrats de l'ordre judiciaire sauf exception prévue par la
loi est soumis à l'exigence du délai raisonnable dans le
traitement des plaintes, qui fait appel à sa conscience professionnelle.
En effet, en vertu de la liberté de décision reconnue au
Procureur de la République, ce dernier
114Le dictionnaire LE ROBERT
définit le déni de justice comme le « refus de la
part d'un magistrat de remplir un acte de sa fonction, de statuer sur un
litige, d'accorder un droit à quelqu'un ».
37
est libre de décider souverainement à quel
moment prendre sa décision. Il peut décider de classer la plainte
sans suite ou de poursuivre les investigations.
La disparité du temps de réponse en
matière de classement s'explique par plusieurs facteurs tels que la
complexité de l'affaire, le nombre de dossiers en attente, les
priorités du tribunal, l'insuffisance du personnel et le besoin
d'enquêtes supplémentaires. Cependant, toutes ces raisons ne
doivent pas justifier le rallongement criant des délais de
décision de classement que nous observons dans certaines affaires ou
l'abstention du législateur d'imposer au ministère public un
délai relativement court pour pouvoir décider.
Il n'est pas équitable d'abandonner au ministère
public l'opportunité de décider quand il veut décider.
L'enquête préliminaire ne doit pas se transformer en instruction
préparatoire ou à la barre qui peut prendre des années, ce
qui est tout à fait normal. Le ministère public ne doit pas se
transformer en juge d'instruction pour chercher à aller au fond des
investigations au mépris de la séparation des fonctions. Le
raisonnement juridique voudrait que, si le dossier parait complexe ou flou, que
le ministère public saisisse le juge d'instruction, spécialiste
en matière de recherche de la vérité. Il est le juge
investigateur qui éclaire les faits paraissant peu claires, complexes ou
insuffisant. Si les faits infractionnels sont clairs et simples et qu'il
n'existe aucun empêchement de poursuite, qu'il saisisse le tribunal par
voie de citation directe. En cas d'infraction récente avec les indices
et les preuves, qu'il opte pour la procédure de flagrant délit.
Donc, il n'y a aucune raison que la décision de poursuite s'étale
au-delà de trois mois.
En général, le Procureur doit disposer d'un
délai de 3 mois pour prendre une décision concernant le
classement ou moins encore la poursuite. Cependant, si l'affaire est plus
complexe ou nécessite des investigations plus approfondies, il est tenu
de mettre en mouvement l'action publique par un réquisitoire introductif
pour lutter contre l'inaction et les abus derrière cette inaction.
Profitant de ce vide juridique, certains parquetiers ne répondent pas
à certaines plaintes pour les raisons que seuls eux connaissent et
surtout qu'il n'existe pas un moyen de pression, ni de contrôle sur eux
pour combattre les mauvaises habitudes jugées déshonorantes pour
la justice.
L'enjeu derrière le voeu de fixer un délai de
trois (3) mois pour étudier la plainte est d'éviter la
prescription de l'affaire dans le bureau du Procureur de la République
qui,
38
en réalité, a décidé de ne rien
faire, en attendant simplement la prescription, et afin de permettre à
la victime d'envisager d'autres voies à sa disposition si elle le
souhaite. Or, le plus souvent, les magistrats véreux et
malhonnêtes s'assoient sur certains dossiers pour exiger une motivation
financière à la victime pour qu'ils fassent leur travail ou pour
les prescrire et empêcher la victime de déclencher elle-même
l'action publique, en la rassurant que sa plainte est en cours de traitement
alors qu'ils sont en conflit d'intérêts.
Nombreux sont des dossiers qui ne reçoivent pas une
suite, le plaignant ou la victime se fatigue après une longue attente et
conclut que la justice est corrompue. Pour remédier à cette
situation honteuse, il est souhaitable que le législateur fixe un
délai de trois (3) mois auquel le ministère public doit
décider sur l'opportunité des poursuites en prenant une
décision formelle de classement s'il y a lieu. S'il ne le fait pas
au-delà de ce délai, une sanction doit être
envisagée. Pour une bonne applicabilité de cette discipline,
chaque dossier doit porter le nom du parquetier qui en a la charge du
traitement, du suivi et de répondre en cas d'un dysfonctionnement.
D'ailleurs, le classement sans suite est une décision
administrative, mais paradoxalement, le ministère public, agissant comme
une autorité administrative n'est pas soumis aux règles
juridiques relatives aux décisions administratives. Il convient de
rappeler qu'en matière administrative, le délai pendant lequel
l'administration est tenue de répondre à un administré se
confond avec le délai du recours pour excès de pouvoir, qui est
de deux mois. En effet, lorsque l'administration est saisie de la demande d'un
administré, celle-ci est tenue de répondre, et le délai
qui lui est imparti pour le faire est de deux mois à compter de la
réception de la demande. Toutefois, le silence gardé par
l'administration pendant quatre mois vaut décision implicite de rejet,
en l'absence de textes contraires115. Cette exception tend à
sanctionner l'inaction de l'administration, au cas où celle-ci
s'abstiendrait à répondre à la sollicitation de
l'administré.
Par analogie avec la procédure administrative, on peut
suggérer que le délai pendant lequel le ministère public
devrait prendre sa décision de classement sans suite ne soit
115Article 407 du code de procédure civile,
commerciale, administrative et financière : « Le silence
gardé pendant quatre mois sur une réclamation par
l'autorité administrative compétente vaut décision de
rejet. En ce cas, le délai de recours commence à recourir
à l'expiration de cette période de quatre mois. Au cas de rejet
explicite de la réclamation le délai court du jour de la
notification de la décision de rejet ».
39
pas de deux mois mais de trois mois à compter de la
réception de la plainte. Mais une question peut se poser, celle de
savoir, quel est le moment qui doit être pris en compte pour
considérer que la plainte a été reçue par le
ministère public, entendu que la plainte peut être
déposée soit à la police ou à la gendarmerie, soit
directement à secrétariat du parquet ? Il faut dire que, peu
importe le lieu où la plainte serait déposée, pourvu que
la victime soit munie d'un récépissé justifiant le
dépôt d'une plainte, si dans les trois mois la victime n'est pas
en possession d'une décision du ministère public, il devra se
prévaloir d'une décision de classement sans suite, car le silence
du ministère public équivaudrait, dans ce cas, à un refus
de poursuivre. Cette mesure serait une véritable limite au pouvoir du
Procureur de la République.
L'imposition du délai de décision est
nécessaire pour empêcher à ce que la victime impatiente
engage plusieurs actions à la fois. Déjà la loi ne fait
pas obligation à la victime de saisir en amont le Procureur de la
République avant de saisir le juge d'instruction ou le juge de jugement.
Il n'existe pas un ordre de priorité d'action, ni l'interdiction
d'exercer de manière simultanée les différentes actions ou
de manière alternée. La nécessité est de permettre
au plaignant qui a déposé la plainte de savoir quand elle peut
envisager d'autres actions.
L'étude de l'absence d'encadrement du pouvoir de
classement sans suite du Procureur de la République et de ses
implications pratiques ayant été épuisée, force est
d'envisager le manque de lisibilité des obligations qui incombent au
ministère public après avoir décidé d'un classement
sans suite et les droits du plaignant de cette décision.
40
CHAPITRE II : LE MANQUE DE LISIBILITE DES OBLIGATIONS
DE L'AUTEUR DU CLASSEMENT SANS SUITE ET DES DROITS DU PLAIGNANT
L'absence de lisibilité des obligations du
ministère public après la décision d'abandon des
poursuites, se traduit par le non-assujettissent de sa décision à
l'obligation de motivation et de notification (Section 1).
Quant à l'absence liée aux droits du plaignant, elle se
lit par l'inexistence du droit de contester la décision de classement
sans suite (Section 2).
SECTION 1 : Le non-assujettissement du classement sans
suite à l'obligation de motivation et de notification
Les décisions de classement sans ne sont pas
assujetties à l'obligation de motivation (Paragraphe 1)
et paradoxalement aussi à celle de notification
(Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : L'absence de l'obligation de motivation
du classement sans suite
En l'absence de l'obligation légale de motiver la
décision de classement sans suite, nous allons étudier de quelle
manière le ministère public observe l'exigence de la motivation
(A) avant de s'attarder sur sa nécessité
(B).
A- La pratique liée à l'absence de
motivation dans la décision de classement sans suite
Une des garanties historiques les plus notables face à
l'arbitraire d'une autorité chargée de rendre des
décisions contraignantes, est celle, au côté d'autres, de
l'obligation de motivation. Cette exigence introduit une certaine transparence
dans la décision et empêche que l'autorité adopte une
attitude qui répond exclusivement à ses propres
intérêts. Jean PRADEL souligne : « L'exigence de
motivation conduit à donner plus de transparence à la justice et
réduit le nombre des classements car une motivation pouvant
s'avérer malaisée, une réponse systématique sera
plus fréquente116 ».De ce fait, l'absence
d'exigence de la motivation fait à ce que le
116PRADEL (J), procédure
pénale, op. cit. P.545-546
41
ministère public agisse en fonction de plusieurs
paramètres : les éléments du dossier, les
intérêts en présence, sa subjectivité, ses humeurs
ou des pressions hiérarchiques.
La motivation au sens juridique, constitue l'exposé de
l'ensemble des motifs, c'est-à-dire de l'ensemble des raisons de fait ou
de droit, sur lequel repose une décision. Mais la motivation, c'est
aussi le fait d'exposer les raisons de fait et de droit qui ont conduit le juge
à décider. Autrement dit, la motivation correspond à la
fois à l'exposé des motifs et au fait d'exposer ces motifs : elle
est à la fois action et résultat de cette action117.
La motivation est la marque extérieure de l'opération
intellectuelle à laquelle se livre le juge pour fonder en droit une
décision118. C'est par la motivation de ses décisions
que le juge développe son raisonnement, explique le pourquoi, et donne
les raisons qui l'ont amené à prendre telle ou telle solution.
Pratiquement, en matière de classement sans suite, le
ministère public ne motive pas ses décisions. Elles sont
caractérisées par l'absence de motivation que nous nous trouvons
dans les décisions de justice pour quelques raisons.
Tout d'abord, le Procureur de la République n'est pas
un juge et le classement sans suite n'est pas une décision de justice.
Par conséquent, il ne saurait être soumis à l'exigence
d'une motivation que doit contenir toute décision de
justice119.
Ensuite, le classement sans suite est une décision
relevant du pouvoir discrétionnaire du ministère public qui
signifie absence de contrôle. Néanmoins, pour la transparence
d'une telle pratique souvent sujette aux critiques, le ministère public
devrait se donner la peine de motiver en fait et en droit ses décisions
pour permettre leur compréhension par les intéressés, le
public et barrer la voie à tout soupçon de favoritisme et de
corruption.
L'absence d'observation de cette exigence suscite des
interrogations et des doutes quant à sa légitimité du
classement. L'action publique appartient à la société, et
non pas au ministère public (bien qu'il représente notre
société), il est essentiel que cette prérogative s'exerce
de manière transparente et non opaque.
117GIUDICELLI-DELAGE (G), La motivation des
décisions de justice, Thèse Potiers, 1979, 2 tomes, T.1,
pp.3 et s.
118GIUDICELLI-DELAGE (G), op. cit. p.136
119Art. 53-3 du CPCCAF
42
De plus, d'après certains professionnels, ils ne sont
pas tenus de justifier leurs décisions. Si le plaignant n'est pas
d'accord avec le motif mentionné dans la décision, il peut user
de son droit de mettre en mouvement l'action publique. Cette raison
évoquée reste sujette à débat. Le droit de la
victime d'intenter les poursuites ne devrait pas empêcher au
ministère public de bien remplir correctement sa tâche et de
prendre des décisions convaincantes. Si, parallèlement, le juge
de première instance statuait avec légèreté parce
que la victime disposerait du droit de faire appel de sa décision, le
travail du magistrat serait douteux, bâclé et manquerait de
crédibilité. La capacité d'un bon parquetier doit
être évaluée en fonction de la pertinence de ses
décisions de classement sans suite.
D'ailleurs, la loi n'oblige pas au ministère public de
motiver ses décisions, si bien que le défaut de motivation ou une
motivation erronée n'invalide pas la décision de classement sans
suite. La liberté est donc reconnue aux magistrats du ministère
public, de choisir un motif de manière souveraine, avec tous les risques
d'arbitraire que cette pratique peut entrainer, sans avoir à justifier
les bases de leur décision. Certes, la loi ne fait pas de la motivation
une exigence, il n'en demeure pas moins vrai que la loi ne l'interdit pas non
plus. En tenant compte de la portée de cette décision, qui porte
atteinte au droit d'accès à la justice, au moins du
côté de l'autorité de poursuite, une motivation
s'avère nécessaire pour justifier son refus et expliquer qu'il
n'est pas dicté par les mobiles injustes.
Enfin, si une motivation plus concrète, telle
qu'envisagée lors d'un jugement, est imposée, le ministère
public serait confronté à un accroissement important de travail
difficilement gérable. Ce qui reste contestable aussi puisque les
magistrats du siège sont soumis à cette obligation sans faillir
à leur mission. Manifestement, le ministère public dans ses
décisions de classement se contente simplement d'une motivation formelle
contenue dans un imprimé pour laquelle il n'entend pas engager les
poursuites. Par exemple, l'absence d'infraction, l'impossibilité
d'identifier l'auteur des faits, l'insuffisance de charge, l'obstacle à
la poursuite sans tenir compte de la clarté de l'explication au
plaignant de ses droits, de la précision sur le motif du classement.
Le motif indiqué dans l'avis de classement sans suite
supplée la motivation au sens juridique. Pourtant, le classement sans
suite devrait comporter une véritable
43
motivation. Au lieu de se contenter d'indiquer que le
classement est prononcé pour absence d'infraction, impossibilité
de poursuite, le ministère public devrait préciser les raisons
caractérisant cette absence d'infraction ou l'impossibilité de
poursuite. Cette pratique constituera un contrepoids nécessaire au
pouvoir de classement du Parquet, et participera à
l'idée que, si aucune suite judiciaire n'est apportée par le
Parquet, celui-ci donne cependant une réponse véritable à
la plainte de la victime120.
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