PARAGRAPHE 2 : La liberté de choix de la forme et
du délai de classement sans
suite
Il est du pouvoir du ministère public de décider
sous quelle forme sa décision de classement doit être prise
(A) et quand elle doit intervenir (B).
A- Le choix de la forme de classement sans suite
Le pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère
public de classer sans suite une plainte le conduit à choisir en toute
liberté de quelle manière traduire son refus de poursuite. Il
exprime son refus de poursuivre de deux manières : par un acte
appelé « avis de classement sans suite » (classement
explicite) ou par un silence (classement implicite).
Le classement explicite est une décision
matérialisée par un écrit, un acte, un imprimé
d'avis de classement sans suite qui énumère les motifs sommaires
non exhaustifs de classement que le parquet peut retenir en le cochant
simplement, et une phrase d'orientation pour la victime qui souhaite
elle-même mettre en mouvement l'action public : « Toutefois,
vous conservez la possibilité d'engager vous-même des poursuites
pénales, soit par voie de citation directe, soit en vous constituant
partie civile devant le juge d'instruction qui fixera le montant de la somme
que vous aurez à consigner113 ». Cette pratique
peut être considérée comme une solution de facilité
car il suffit de cocher un motif pour se débarrasser de l'affaire.
Le classement implicite par contre est traduit par l'absence
d'une réponse, d'une décision en bonne et due forme d'avis de
classement sans suite malgré la plainte
113Cette formule se trouve dans l'imprimé
utilisé par le parquet du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville
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reçue. Il s'agit justement de l'inaction du parquet qui
s'estime dans ses droits de ne pas donner suite à une plainte. Cette
attitude que le ministère public adopte sur certaines affaires nous
laisse dans un questionnement sur les motifs pouvant la légitimer et sur
l'égalité de traitement devant la loi. Elle peut être
interprétée comme quoi, la plainte déposée par le
plaignant n'a pas été traitée, prise en compte et que le
service de la justice ne fait pas suffisamment son travail de lutte contre
l'impunité et ne défend pas assez les intérêts de la
société. Le traitement différentiel signifie que certains
citoyens ont droit à ce que leur cause soit entendue par la justice, et
que d'autres soient marginalisés.
On peut admettre qu'en sa qualité d'administration, le
ministère public a le droit de décider de manière tacite.
Toutefois, il serait difficile de concilier cette réponse silencieuse
avec les dispositions de l'article 28-1 du code de procédure, qui font
obligation au Procureur de la République d'apprécier la suite
à donner à une plainte. La suite à donner est une
réponse à une plainte ou une dénonciation que le
ministère public est tenu de communiquer. L'opportunité des
poursuites ne donne au ministère public que deux options : poursuivre ou
classer sans suite. La décision de poursuite ou de classement doit
être matérialisée par un acte de poursuite ou de
classement.
Quand il décide de poursuivre, le ministère
public matérialise sa poursuite par un acte entre autres le
réquisitoire introductif saisissant le juge d'instruction ou la citation
directe saisissant la formation de jugement. Par contre, lorsqu'il classe sans
suite, il doit normalement matérialiser sa décision par un avis
de classement sans suite. Ne pas le faire est un abus de pouvoir qui
mérite d'être sanctionné. Malheureusement, en pratique, le
ministère public use d'une liberté qui ne trouve son fondement
dans aucun texte de classer une plainte de manière silencieuse au
mépris de l'obligation qui lui est faite de donner une suite. L'inertie
coupable du parquet de répondre à une plainte n'est pas seulement
illégale, mais aussi dangereuse et suspecte.
Tout d'abord, elle laisse la victime dans une expectative
prolongée qui pourrait affecter ses droits d'engager les poursuites ou
l'action civile en raison du risque de prescription qui pourrait frapper son
action. Celle-ci ne dispose pas de voies légales pour contraindre le
ministère public à décider sur sa plainte, sinon que
d'attendre ou d'opter pour d'autres solutions. Le ministère public doit
se garder de victimiser doublement la victime, car cela ne relève pas de
ses attributions.
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Ensuite, le refus de répondre à une plainte
alimente généralement le sentiment de suspicion de corruption, de
favoritisme dans le chef du ministère public. Il n'y a rien qui justifie
que le parquet brille par une inertie pour remplir un petit imprimé de
classement sans suite, s'il n'existe pas des motifs inavoués et
cachés justifiant son silence. Le magistrat en charge du dossier aurait
du mal peut-être à prendre une décision dont il serait tenu
de cocher un motif fantaisiste qui l'embarrasserait et trahirait son manque
d'impartialité et ses abus.
Enfin, elle peut constituer un déni de
justice114. L'absence de réponse formelle de la part du
parquet tenu de donner suite à une plainte ne saurait s'analyser
à une simple décision d'abandon des poursuites. Selon toute vraie
semblance, il est question de déni de justice de la part du Procureur de
la République, qui refuse d'accomplir un acte relevant de sa fonction,
et empêchant par conséquent, que la cause de la victime soit
entendue par une juridiction qui dira si elle est fondée ou non. Le
ministère public qui joue le rôle de pont entre le plaignant et le
juge est devenu un mur entre le juge et le plaignant.
Dans tous les cas, le problème vient du fait que la loi
n'indique pas sous quelle forme cette décision doit être prise et
rien ne dit si le régime des actes administratifs est applicable en
matière de classement, pour assimiler l'inaction du parquet au refus
d'exercer les poursuites. Cette difficulté soulève en même
temps la question de la liberté reconnue au ministère public de
choisir le moment pour classer sans suite la plainte reçue.
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