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Le régime juridique du classement sans suite en procédure pénale congolaise


par Darchy ELIONTA
Université Marien Ngouabi  - Master  2024
  

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B- La liberté de choix dicté par d'autres facteurs

Le principe de l'opportunité des poursuites laisse toute latitude au ministère public de décider de ne pas déclencher les poursuites alors même que l'infraction est avérée, l'auteur identifié et aucun empêchement juridique n'existe99. Il s'agit probablement de l'un des motifs de classement les plus subjectifs, celui dans lequel l'opportunité des poursuites pourrait être ressenti comme un choix arbitraire100, alors qu'elle trouve sa vraie logique et sa complète expression que lorsqu'apparait constituée une infraction dont l'auteur présumé est identifié. Une telle décision est source de suspicion puisqu'aucun critère certain ne peut alors être avéré qui soit susceptible de démontrer d'emblée qu'il ne consacre aucune inégalité devant la justice101. « Une situation de cette sorte est perverse, nuisible et dangereuse. La possibilité de passer à travers les mailles du filet de la répression ne peut qu'encourager les auteurs d'infractions à persévérer dans la voie délictueuse, les personnes et les biens de nos concitoyens ne sont plus suffisamment protégés, le sentiment d'insécurité se développe en se nourrissant d'exemples concrets, les services de police et de gendarmerie, constatant

98L'art. 73 alinéa 2 et 1 de la loin°4-2010 du 14 juin portant protection de l'enfant en République Congo dispose que l'enfant de moins de treize ans ne peut faire l'objet des poursuites pénales, car il est présumé n'avoir pas la capacité d'enfreindre la loi pénale. Les dommages infractionnels occasionnés par les enfants de moins de treize ans ne peuvent faire l'objet que de réparations civiles.

99« Le poursuivant n'est pas tenu de porter toutes les accusations que la preuve pourrait étayer. Il peut dans certaines circonstances, et pour des motifs sérieux, conformes à l'intérêt public, s'abstenir d'intenter des poursuites, alors même qu'il existe une preuve suffisante pour entrainer une déclaration de culpabilité ». Voir Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990

100GAUTIER (J), Quelles sont les raisons d'un classement sans suite ? disponible sur www. Qualiplainte.fr 101GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure pénale, op. cit. P.967

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que leur action n'est pas vraiment relayée par celle de la justice risquent de se démobiliser, enfin un terreau favorable est fourni à des idéologies malsaines102 ».

En réalité, « les classements décidés sur la notion d'inopportunité des poursuites posent problème en empiétant sur la règle, c'est-à-dire l'exercice des poursuites pénales contre le délinquant ; ils donnent l'impression que la justice ne défend pas suffisamment l'intérêt général et l'ordre social, en un mot, qu'elle n'accomplit pas convenablement sa mission103». Les parquetiers ne sauraient oublier que le principe reste tout de même la poursuite, même si la loi ne le dit pas expressément104. Le ministère public a l'obligation de poursuivre l'exécution de la loi, la faculté de ne pas le faire pour des raisons d'inopportunité n'étant que l'exception105.

Dès lors, il est nécessaire de se questionner sur les raisons pour lesquelles le ministère public peut décider de classer une affaire remplissant toutes les conditions légales requises pour être poursuivie. Il peut s'agir de plusieurs motifs faute d'une liste fournie par la loi :

- Le préjudice causé par l'infraction n'est pas assez important et doté d'un certain degré de gravité ; le prévenu a déjà réparé le dommage ; la victime a contribué à la commission de l'infraction ; les conséquences financières et logistiques pour le système judiciaire106 sont énormes ; la répression serait plus punissable qu'utile à l'ordre public. « Aucun système ne saurait permettre de traduire en justice toutes les personnes qui sont bel et bien coupables d'infraction. L'objectif, au regard de l'équité, ne consiste donc pas simplement à poursuivre les coupables et à ne pas poursuivre les innocents, mais à faire en sorte que des poursuites soient intentées seulement dans le cas où la preuve est adéquate et où l'intérêt public le justifie. Lorsque les

102Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit.

103Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit.

104 PRADEL (J), procédure pénale, op. cit. P.545-546.

105RAYMOND (C), Du Ministère public, op. cit. P.55.

106Il doit être admis que certaines infractions qui pourraient donner lieu à poursuites n'en font pas l'objet, notamment parce que les Parquets savent que les tribunaux correctionnels ne sont pas en mesure de traiter plus d'affaires que celles dont ils sont déjà saisis ou à cause de surpeuplement des maisons d'arrêt. Faute de moyens suffisants, ils sont obligés d'établir des priorités dans les poursuites et de mettre de côté certaines affaires. Ces classements sont doublement critiquables. D'une part, ils ne sont pas justifiés par l'opportunité, mais par la nécessité de tenir compte de la gestion des flux et de la capacité de jugement des juridictions. On assiste alors à un véritable détournement du rôle du ministère public. D'autre part, la détermination du seuil de déclenchement des poursuites en fonction de l'encombrement du tribunal conduit à d'importantes disparités dans le traitement pénal contraires au principe d'égalité devant la loi. Selon les lieux où ils commettent leurs méfaits, les délinquants bénéficieront d'une impunité plus ou moins grande. Une menace réelle semble peser sur la réalité de l'Etat de droit.

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autorités engagent des poursuites dans de tels cas, c'est que l'intérêt public parait l'exiger. Mais le plus souvent, la prise en compte de celui-ci les invitera à conclure qu'il vaut mieux renoncer à poursuivre, bien que les chances d'obtenir une condamnation soient excellentes107 ».

- L'instruction hiérarchique. Le parquetier au nom du principe de la subordination hiérarchique régissant le ministère public n'est pas toujours libre de décider en matière de poursuites. Apres l'analyse du dossier, il peut être convaincu d'engager les poursuites. Cependant, il peut recevoir une instruction de classement venant du supérieur hiérarchique dont il est tenu de s'y conformer sous peine de sanctions disciplinaires, pour insubordination hiérarchique. Cette instruction vient souvent pour protéger un ami, une personnalité politique ou un parent. De tels classements creusent le fossé d'égalité des citoyens devant la loi, et constituent un facteur criminogène prédisposant ceux bénéficiant de son application à la perpétration de la délinquance avec une garantie d'échapper à la poursuite. Le classement est utilisé comme une mesure d'inapplication de la loi, d'injustice et donne « souvent le sentiment que la règle commune, celle qui garantit la sécurité des personnes et des biens n'est plus respectée, qu'une infraction dûment constatée, alors même que l'auteur présumé a été identifié, n'a pas de suite judiciaire. Un sentiment d'inégalité, d'impunité et d'insécurité s'ensuit inévitablement108 » ;

- La subjectivité du Procureur de la République : le pouvoir discrétionnaire reconnu au procureur de la République est souvent vecteur d'abus. Généralement, dans l'appréciation des éléments constitutifs de l'infraction, le procureur n'est pas objectif, il ne prend pas en compte tous les éléments qui pourraient être pertinents dans la décision de poursuivre l'auteur présumé de l'infraction, ou il falsifie la vérité des faits en dressant des procès-verbaux dans un sens orienté vers le classement sans suite, ou encore il prend en compte des considérations qui ne sont pas liées aux faits ou aux principes juridiques, telles que des considérations personnelles, économiques, politiques, de conflit d'intérêts ou d'influence extérieures.

Nous remarquons dans bien des cas, le motif du classement est invoqué de façon parfois étrange par rapport au contenu du dossier. Il est devenu le moyen utilisé pour

107Royal commission on criminal procedure, Report, Londres, HMSO, 1981 (Cmnd 8092), pp 144-145 108Idem

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en sauver des amis, des membres de famille, des personnes jouissant des appuis politiques, financiers et pour se faire de l'argent. C'est une source de revenus pour beaucoup de magistrats qui n'ont pas de conscience professionnelle. Or, « Cette faculté de classement accordée au Procureur devrait être utilisée avec réflexion et prudence et exige de sa part des références éthiques et morales lui évitant de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte ou l'amitié. Il importe qu'en toute circonstance, le procureur de la République évite de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses concitoyens109 ». Le poursuivant ne doit pas mettre en cause, suivant ses inclinaisons personnelles, partisanes, politiques ou tribales, la loi de la Nation.

Pour conclure, législateur doit ériger une liste des critères de classement que le parquet est amené à utiliser pour chaque décision de classement. L'objectif étant premièrement d'éviter l'arbitraire, en l'absence de règles clairement définies. « Une loi préalable ne constitue une véritable garantie contre l'arbitraire et ne satisfait ainsi à l'exigence de prééminence du droit que si elle émane des règles claires et précises110 ».

Il faut rendre l'exercice du pouvoir discrétionnaire public au point que les critères de classement appliqués par le poursuivant soient connus de tous pour les raisons de transparence et de pédagogie111. Leur connaissance par le public permettra de comprendre les raisons pour lesquelles certaines poursuites ne sont pas exercées. Le fondement de la décision ne doit pas demeurer cachée. La loi doit être accessible, elle doit indiquer au citoyen de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite les autorités de poursuite à décider de poursuivre ou de classer sans suite. Le citoyen doit disposer de renseignements suffisants sur les normes juridiques applicables à un cas donné112.

La définition claire des critères de classement garantit l'égalité de traitement et met le ministère public à l'abri des accusations de favoritisme.

109Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit.

110DESPORTES LAURENCE (F) et LAZERGERS-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Paris, 3e édition, Economica, 2013, p.154

111Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990

112 Idem

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Deuxièmement, cette liste va évidemment permettre au magistrat d'épingler le plus rapidement possible le motif adéquat de classement qu'il retient pour justifier sa décision, et d'uniformiser les pratiques disparates des parquets. Ces motifs vont traduire, lorsqu'ils sont mobilisés par le ministère public, un obstacle à la mise en mouvement de l'action publique. Ils doivent être étrangers à tout jugement subjectif, en ne faisant que rapporter une réalité juridique objective. Cela éviterait de tomber dans les classements douteux et problématiques.

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