Le régime juridique du classement sans suite en procédure pénale congolaisepar Darchy ELIONTA Université Marien Ngouabi - Master 2024 |
B- La portée du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la RépubliqueLe pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République dans le choix des poursuites demeure indispensable dans le système répressif congolais. Il « constitue l'indispensable soupape du système général de la poursuite, sans quoi on aboutirait à un automatisme aveugle et sans nuances, à un écrasement de l'individu par l'implacable mécanique de la lo57 ». Il se fonde non seulement sur l'idée qu'il n'est pas possible pour une société de tout poursuivre, mais encore sur l'idée que cela n'est pas souhaitable. Il traduit non seulement une nécessité, mais aussi un idéal58. Il n'est plus sûr que le voeu de la loi et l'exécution de la loi soient l'exercice de l'action publique par la poursuite intentée toujours, en toute circonstance et à tout prix. Si le principe de légalité reflète une conception implicite selon laquelle l'intérêt général exige des poursuites, le principe de l'opportunité des poursuites reflète dès lors la conception opposée qui laisse aux autorités de poursuite le soin d'apprécier l'utilité concrète de la répression et l'intérêt de la société à voir punir l'infraction commise59. L'intérêt pratique de ce pouvoir est d'éviter de poursuivre sans discernement toute infraction constituée sans évaluer la gravité, les circonstances de sa commission ou les traits de personnalité de son auteur. Il remédie aux lenteurs de la justice pénale, non seulement par les ressources qui lui sont attribuées et par la façon dont ces 57Conférence des procureurs généraux d'Europe 5e session organisée par le conseil de l'Europe en coopération avec le procureur général de Celle, Basse-Saxe sur : Les pouvoirs d'appréciation du ministère public : le principe d'opportunité ou de légalité, avantages et inconvénients, p.2 58Idem 59Idem 19 ressources sont utilisées, mais aussi par une meilleure définition des priorités dans la conduite de la politique criminelle60. Le pouvoir de discrétion permet au procureur d'opérer un filtre en ne soumettant au Juge61 que les affaires les plus graves. « L'intérêt public n'exige nécessairement pas que l'on poursuive tout le menu fretin impliqué dans une infraction ; l'important, c'est que le gros gibier soit traduit en justice62 ». Cet argumentaire reste tout de même discutable :« L'expérience prouve qu'une affaire se modifie parfois d'une façon considérable entre l'ouverture des poursuites et le jugement qui sera rendu : tel dossier se gonfle d'éléments nouveaux qui traduisent progressivement la gravité réelle de l'affaire ; dans tel autre, l'infraction commise prend des dimensions sensiblement plus modestes63». Néanmoins, ce pouvoir reste inévitable dans le cadre de notre système judiciaire caractérisé dans les grandes villes par une véritable inflation pénale et dont le fonctionnement est devenu impossible sans ce mécanisme d'auto-régulation.64 Dans cette perspective, le classement sans suite est devenu en quelque sorte, « la mesure de l'inapplicabilité de la loi65» garantissant une certaine flexibilité dans le traitement des affaires et désengorgeant les tribunaux, en adaptant la part des poursuites à la capacité des juridictions de jugement66. Notons tout de même que la disparité dans le taux de classement remet en cause l'égalité des citoyens devant la loi67, puisqu'une affaire similaire aura plus de chance d'être classée dans une grande juridiction que dans une plus petite, alors que la loi doit s'appliquer à toutes les personnes, à toutes les situations et sur tout le territoire 60La Recommandation n°R (87) 18 sur la simplification de la justice pénale adoptée par le Comité des ministres du conseil de l'Europe, le 17 septembre 1987 61L'on peut soutenir incontestablement que le dispositif du classement sans suite n'est plus un mécanisme sommaire qui corrige la rigidité excessive du principe de la légalité des poursuites appliqué dans sa conception la plus pure. Il devient un véritable mécanisme de régulation, filtrant le nombre de dossiers arrivant devant la juridiction répressive. 62Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990 63MERLE (R), VITU (A), Traité de droit criminel, op. cit. p.331 64DU JARDIN (J), La politique criminelle du ministère public, 1983, p.450 65MICHAUX (J), Chronique du parquet et de l'instruction, Revue de science criminelle, 1977, p.906 66SIMMAT-DURAND (L), Orientation et sélection des affaires pénales : une approche quantitative de l'action du parquet, Thèse, Université de PARIS-I, 1994, p. 342 67 L'art. 2 de la loi n°19-99 du 15 août 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°022-92 du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir judiciaire consacre l'égalité des citoyens devant la loi et devant les juridictions : « Les citoyens congolais sont égaux devant la loi et devant les juridictions ». 20 de manière égalitaire68. C'est dans ce sens que le système de l'opportunité des poursuites paraît contredire le principe de l'égalité devant la loi. Il conduit à l'application à géométrie variable de la loi. Or la garantie d'égalité constitue l'un des piliers de la procédure pénale ainsi que l'un des fondements de sa crédibilité pour le justiciable69. Le pouvoir discrétionnaire, en dépit de ses vertus, n'est pas à l'abri des critiques en raison des abus qui accompagnent son exercice. En portant un regard appuyé sur son centre de gravité qu'est le Procureur de la République, il ne fait pas de doute qu'il soit pointé du doigt en classant certaines affaires pour obéir aux injonctions du gouvernement, pour favoriser certains coupables haut placés, pour recevoir en échange les pots-de-vin, alors qu'il existe les soupçons sérieux de commission d'une infraction. Or, le classement sans suite n'est qu'un pouvoir réaliste d'adaptation à certaines situations bien ciblées, utilisé de manière très marginale. Le pouvoir de classement, « confié à la conscience des magistrats, par fonction indépendants et impartiaux70 », et tel qu'il est présenté dans les textes ne devrait pas reposer sur des appréciations arbitraires, purement subjectives et personnelles, mais sur des données objectives. Le maniement éclairé du pouvoir d'opportunité va de pair avec la qualité de magistrat reconnue aux procureurs71. Le recours constant au classement pour inopportunité des poursuites, apparaît comme un facteur criminogène prédisposant ceux bénéficiant de son application à la perpétration de la délinquance avec une garantie, non la moindre, d'échapper à la poursuite, parce qu'ils trouveront souvent en elle une sorte de cause légale de non- imputabilité ou une immunité légale implicite. Toute action ou idée de prévention et de lutte efficace contre la criminalité par conséquent se révèle impossible dans le système judiciaire congolais actuel où le classement pour inopportunité des poursuites est souvent décidé sur ordre de la hiérarchie politique ou judiciaire ou dicté par les considérations partisanes et pécuniaires du magistrat. 68Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit. 69Bertrand de LAMY. « L'égalité devant la justice pénale dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : à propos, notamment, de la nécessaire courbure d'un principe essentiel », Titre VII [en ligne], n° 4, Le principe d'égalité, avril 2020. URL complète : https://www.conseilconstitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-egalite-devant-la-justice-penale-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-a-propos 70SEGAUD (J), ESSAI SUR L'ACTION PUBLIC, Thèse, UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE UFR Droit et Sciences Politiques, 2010, p.121 71Rapport du sénat français, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit. 21 Le mauvais maniement du pouvoir de classement est une situation nuisible et dangereuse. Il donne l'impression que le système judiciaire est trop laxiste envers les uns et trop punitif envers d'autres. Il encourage les auteurs d'infractions à persévérer dans la voie délictueuse, développe le sentiment d'insécurité et de méfiance à l'égard de la justice et démobilise les services de police et de gendarmerie, qui constatent que leur action n'est pas vraiment relayée par celle de la justice72. Cette situation pousse à porter voix à un plaidoyer pour que l'exercice de ce pouvoir soit suffisamment encadré et limité afin d'éviter toute apparence d'injustice et d'impartialité73. La légitimité d'un choix de poursuite ne doit occulter qu'il faut restituer à la justice sa vocation première. Cette vocation est de rendre justice, qui, dans sa dimension la plus noble, peut être assimilée au propos de Cesare BECCARIA en 1764 : « Le châtiment ne doit pas forcément être sévère mais il doit nécessairement être inéluctable74 ». Le pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère public en matière de poursuite ne lui donne pas un chèque en blanc pour poursuivre qui il veut, ni choisir les infractions qu'il veut poursuivre et laisser de côté certaines infractions et certaines personnes. L'intérêt de son pouvoir est de lui permettre de mieux traiter les affaires pénales en fonction de leur nature, de leur gravité et des circonstances particulières de chaque cas. Ainsi, il doit concilier les objectifs de l'action publique, tels que la prévention de la criminalité, la protection des droits des victimes et la répression des auteurs d'infractions, avec les exigences de la justice et du respect des droits de l'auteur présumé des faits en préservant la présomption d'innocence, et garantissant que les poursuites ne sont engagées que lorsque cela est justifié par les preuves et les circonstances de l'affaire. En réalité, ce n'est pas le système qui est mauvais, mais les hommes qui en font l'usage. Il ne fait aucun doute que ce qui importe au premier chef dans un système de poursuite, ce sont les qualités du titulaire de la charge de poursuite : force de caractère, intégrité personnelle, respect des principes de l'indépendance et de la représentation impartiale de l'intérêt public75. 72DROPET (O), Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit. 73LE GALL (E), L'opportunité des poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle insuffisant, op. cit. p.500 74 BECCARIA (C), Des délits et des peines, Dei delitti e delle pene, ENS, France, 2009, p. 446 75 Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990 22 PARAGRAPHE 2 : Les limites du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République en matière de classement sans suite n'est pas absolu. Il peut être limité par l'injonction venant du supérieur hiérarchique ordonnant le déclenchent des poursuites76. Toutefois, nous n'allons pas nous attarder sur cette hypothèse moins solide puisque le Procureur de la République peut passer outre l'instruction reçue77. Les limites du pouvoir de discrétion qui nous intéressent sont liées aux privilèges de juridiction dont jouit certaines personnalités publiques (A) empêchant ainsi au Procureur de la République d'exercer sa liberté d'apprécier l'opportunité des poursuites, et l'indisponibilité de l'exercice de l'opportunité des poursuites après la mise en mouvement de l'action publique (B). A- L'empêchement de classement d'une plainte dirigée contre une personne jouissant des privilèges de juridiction Un prévenu doit normalement être jugé devant la juridiction territorialement compétente. Toutefois, sous certaines conditions, il est possible d'être jugé par une autre juridiction au titre du privilège de juridiction. Le privilège de juridiction peut se comprendre comme un droit accordé à certains dignitaires ou fonctionnaires au regard des fonctions qu'ils assument de comparaitre devant une autre juridiction que celle normalement territorialement compétente78. Le privilège de juridiction est aussi appelé immunité de juridiction ou délocalisation. Comme on peut le constater, le privilège de juridiction n'est pas synonyme de l'immunité des poursuites. Si le privilège de juridiction se rapporte aux règles de compétence personnelles des juridictions répressives, l'immunité des poursuites est liée aux règles de procédure pénale ou des poursuites des auteurs présumés des infractions devant ces juridictions pénales. Néanmoins, faut-il le souligner, le privilège de juridiction viole le principe de l'égalité devant la justice qui exige que tous les 76 LE ROY (J), procédure pénale, op. cit. p.209. Cet auteur affirme que la liberté du procureur est limitée par la subordination hiérarchique 77 BOULOC (B), Procédure pénale, op. cit. p. 576. Le procureur de la République est libre de prendre les décisions en matière de poursuite. Il peut cependant recevoir des instructions de ses supérieurs hiérarchiques, lesquels ne peuvent pourtant pas se substituer à lui pour déclencher l'action publique, ni arrêter une action qu'il aurait mise en mouvement. 78KAPINGA NKASHAMA (Symphorien), Privilège de juridiction et lutte contre l'impunité en République Démocratique du Congo, disponible sur www. Creeda-rdc.org 23 justiciables se trouvant dans la même situation soient jugés par les mêmes tribunaux selon les mêmes règles de procédure et de fond. En présence donc d'une personnalité jouissant des privilèges de juridiction notamment les officiers de police judicaire79, les élus locaux80et les magistrats81, la loi commande au Procureur de la République de s'abstenir d'activer l'opportunité des poursuites, susceptible de le conduire au classement ou aux poursuites de l'affaire portée à sa connaissance. Cette interdiction tient du fait que le pouvoir de statuer, en matière de règlement de juge, est exclusivement confié au bureau de la Cour suprême82. Ce dernier est habilité à désigner la juridiction d'instruction ou de jugement chargée de connaître de l'affaire. Il s'agit là d'une question préjudicielle au déclenchement de l'action publique, cause de nullité de l'acte de saisine. Celle-ci se distingue bien d'une exception préjudicielle au jugement, sur laquelle une autre juridiction doit statuer. Néanmoins, le Procureur de la République joue un rôle essentiel dans la préparation de la décision. C'est lui qui transmet au bureau de la Cour suprême les renseignements nécessaires, car c'est lui qui les a reçus tout d'abord, étant donné que c'est vers lui que convergent toutes les indications relatives à la commission d'une infraction83. 79L'article 608 du code de procédure pénale dispose : « Lorsqu'un officier de police judiciaire est susceptible d'être inculpé d'un crime ou d'un délit, qui aurait été commis dans la circonscription où il est territorialement compétent, hors ou dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi de l'affaire est tenu d'adresser immédiatement une requête à la chambre judiciaire de la cour suprême. Sous huitaine, celle-ci procède et statue comme en matière de règlement de juge et désigne la juridiction chargée de l'instruction et du jugement de cette affaire ». 80L'article 42 de la loi n°7-2003 du 6 février 2003 portant organisation et fonctionnement des collectivités locales dispose : « Lorsqu'un conseiller est susceptible d'être poursuivi pour un crime ou un délit commis hors ou dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République, saisi de l'affaire présente sans délai une requête à la chambre pénale de la cour suprême qui procède et statue comme en matière de règlement de juge et désigne la juridiction chargée de l'instruction ou du jugement ». 81L'article 601-1 code de procédure pénale dispose : « Lorsqu'un membre de la cour suprême ou un magistrat de l'ordre judiciaire, est susceptible d'être inculpé d'un crime ou d'un délit commis hors l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi de l'affaire, présente requête à la cour suprême qui procède et statue comme en matière de règlement de juge et désigne la juridiction de l'instruction et du jugement de l'affaire, si le bureau de la cour suprême estime qu'il y a lieu à poursuite Lorsqu'une des personnes énumérées à l'article 601 est susceptible d'être inculpée d'un crime ou d'un délit commis dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi transmet sans délai le dossier au procureur général près la cour suprême qui engage et exerce l'action publique devant la cour suprême ». L'article 603 alinéa 1 et 2 du CPP précise les pouvoirs du bureau de la cour suprême après la réception du dossier : « Si le bureau de la cour suprême estime qu'il y a lieu à poursuite, le procureur général requiert l'ouverture d'une information ». 82Selon l'article 17 de la loi n°17-99 du 15 avril 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°025-92 du 20 août 1992 et de la loi n°30-94 du 18 octobre 1994 portant organisation et fonctionnement de la cour suprême, le bureau de la cour suprême comprend : le premier président, le procureur général, le vice-président, le premier avocat général, des présidents de chambre et les cinq avocats généraux. 83 BOULOC (B), Procédure pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012, p.576 24 Dès lors qu'il est saisi d'une plainte impliquant les bénéficiaires des privilèges de juridiction, le Procureur de la République saisit immédiatement et sans délai la Cour suprême. L'emploi par le législateur des expressions « transmet sans délai le dossier ; présente requête ; présente sans délai une requête, tenu d'adresser immédiatement la requête » illustre sans doute, l'interdiction faite au procureur d'apprécier le dossier, de décider de la suite à donner et son obligation de saisir immédiatement la Cour suprême. Il faut relever tout de même, qu'au regard des articles 601 et 603 combinés du code de procédure pénale, le rôle du bureau de la Cour suprême saisie de l'affaire concernant un magistrat n'a pas pour impératif la désignation de la juridiction d'instruction ou de jugement. Il reste seul compétent pour poursuivre84, instruire85 et juger86 l'affaire en premier et dernier ressort87, en violation du principe du double degré de juridiction. Son intervention consiste à apprécier l'opportunité des poursuites et non à désigner la juridiction à connaitre de l'affaire. La décision de poursuivre un magistrat, présumé auteur d'un crime ou délit commis hors ou pendant l'exercice de ses fonctions ne peut venir que de la Cour suprême. Lorsqu'elle juge qu'il n'y a pas lieu à poursuite, la procédure s'arrête. Dans le cas contraire, lorsqu'elle estime opportune d'engager les poursuites, elle instruit et juge. Il n'est pas inutile de signaler que le pouvoir d'opportunité des poursuites du bureau de la Cour suprême n'a pas de contrepoids comme celui du procureur de la République. En effet, lorsque le Procureur de la République classe sans suite une plainte, la victime peut mettre en mouvement l'action publique par voie de citation directe ou de constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Par contre, quand le classement est effectué par la Cour suprême, la loi n'offre pas à la victime la possibilité de contester cette décision, ni la possibilité de mettre en mouvement l'action publique. La voie civile demeure la seule option pour la victime. Ce dispositif considéré 84Article 603 alinéa 1 du CPP 85Article 604 alinéa 1 du CPP 86Article 5 de la loi n°17-99 du 15 avril 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°025-92 du 20 août 1992 et de la loi n°30-94 du 18 octobre 1994 portant organisation et fonctionnement de la cour suprême 87Article 25-2 de la même loi dispose : « Elle (la chambre pénale de la cour suprême) juge en premier et dernier ressort les crimes et délits commis par les magistrats non justiciables de la haute cour de justice ». 25 comme protecteur de la fonction du magistrat empiète aussi sur ses propres droits et à ceux des victimes. En conclusion, les privilèges de juridiction constituent un obstacle pour le procureur de la République d'activer son pouvoir discrétionnaire d'appréciation, et par conséquent, de classer sans suite une plainte. La mise en mouvement de l'action publique paralyse ou empêche tout de même l'activation par le procureur de la République de son pouvoir discrétionnaire d'appréciation. B- L'empêchement de classement après la mise en mouvement de l'action publique La décision de classement sans suite relève des prérogatives du ministère public. Cependant, elle ne peut pas être prise à n'importe quel niveau de la procédure pénale. Elle ne peut intervenir qu'au stade préliminaire de l'enquête, c'est-à-dire avant la mise en mouvement de l'action publique. C'est à ce stade que le procureur de la République exercice son pouvoir d'opportunité des poursuites, en appréciant les plaintes et en décidant de la suite à donner : la poursuite ou le classement sans suite. Son pouvoir d'initiative est alors très restreint à ce stade88. La règle s'applique par le souci de respecter l'indépendance des juridictions d'instruction et de jugement. Au-delà de cette phase, le ministère public ne peut plus se questionner sur son pouvoir d'opportunité des poursuites. Il ne peut plus faire marche arrière c'est-à-dire revenir sur sa décision ou renoncer aux poursuites. La saisine d'une juridiction a pour effet de rendre indisponible l'action publique. « L'indisponibilité de l'action (publique) a pour pendant non seulement que le choix de ne pas poursuivre est révocable, mais également que celui de poursuivre devient irrémédiable89 » Le ministère public devient définitivement partie principale au procès qu'il a ainsi engagé, sans disposer du pouvoir de dessaisir la juridiction saisie. La mise en mouvement de l'action publique interdit au ministère public soit d'opérer un classement 88GIRAUD (P), Le pouvoir discrétionnaire du procureur de la cour pénale internationale, rapport de recherche pour l'obtention du certificat de recherche approfondie (2012), p. 10 89 Anne-Sophie CHAVENT-LECLÈRE, Désistement, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale Dalloz, 2010 (actualisation : avril 2015), n°13 26 sans suite, soit de choisir une autre voie de poursuite90. Il n'a pas la disposition de l'action publique dans le cadre de l'exercice des poursuites. Le classement est une décision provisoire qui peut être révisée aussi longtemps que les faits sont couverts par la prescription. La poursuite par contre est une décision sans appel91, irrévocable et définitive lorsqu'elle s'est manifestée par un acte mettant l'action publique en mouvement. Dès qu'une juridiction est saisie, le ministère public est sans pouvoir pour retirer l'action : il demeure partie au procès ; il va de soi que si, en cours de procédure, il apparaissait au ministère public que son action est mal dirigée ou mal fondée, il devrait requérir le renvoi des poursuites. Il n'a plus de pouvoir de solliciter l'appréciation une fois que les poursuites sont engagées : il ne peut pas demander l'acquittement pour des raisons d'opportunité, alors que les faits infractionnels sont établis92. Il est tenu de prendre des réquisitions et d'exercer l'action publique jusqu'à la clôture de l'affaire. Quand une juridiction d'instruction est saisie, elle ne peut plus être dessaisie jusqu'à la clôture de l'information. Sa seule option reste la voie d'appel devant la chambre d'accusation, s'il estime que les charges retenues contre l'inculpé ne sont pas suffisantes pour qu'il soit renvoyé devant le tribunal ou la cour d'appel. Si le ministère public saisit une juridiction de jugement, il doit soutenir l'accusation. S'il estime que les faits reprochés contre le prévenu ne sont pas délictueux, il ne peut que requérir la relaxe. Ce dispositif consacre l'immutabilité du procès pénal. Il est vrai que dans certains systèmes pénaux, le pouvoir d'opportunité des poursuites du ministère public s'exerce à tous les niveaux, en fonction de l'évolution de la vie de l'affaire. Il ne s'exerce pas seulement au niveau de la mise en mouvement de l'action publique mais aussi de l'exercice de celle-ci. Cela signifie qu'une fois les poursuites commencées, il peut abandonner l'accusation et arrêter le cours du procès, malgré la saisine des juridictions d'instruction et de jugement compétentes. La liberté du 90GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure pénale, op. cit. P.984 91 Jl n'y a pas de recours possible contre la décision de mise en mouvement de l'action publique. Elle n'a pas l'autorité de la chose jugée et n'établit évidemment pas la culpabilité de la personne poursuivie, qui continue de bénéficier de la présomption d'innocence. L'appréciation que le procureur de la République avait porté sur la légalité de la poursuite et sa recevabilité sera d'ailleurs révisée par les juridictions d'instruction ou de jugement qui auront examiné l'affaire. 92RUBBENS (A), Le droit judicaire congolais : L'instruction criminelle et la procédure pénale, op. cit. p. 117118 27 ministère public est donc entière, aussi bien pour la mise en mouvement que pour l'exercice des poursuites. Elle permet de tenir compte des évolutions survenues dans les affaires. Certains auteurs relèvent en effet que « l'expérience prouve qu'une affaire se modifie parfois d'une façon considérable entre l'ouverture des poursuites et le jugement qui sera rendu : tel dossier se gonfle d'éléments nouveaux qui traduisent progressivement la gravité réelle de l'affaire ; dans tel autre, l'infraction commise prend des dimensions sensiblement plus modestes. En reconnaissant au ministère public la possibilité d'arrêter le cours de l'action répressive, on renonce à l'idée d'une immutabilité du procès jusqu'à la décision juridictionnelle, mais on accorde plus d'importance à la « vie » de l'affaire et à ses transformations93». En droit positif congolais, cette possibilité reconnue au ministère public de renoncer aux poursuites n'existe pas. Certes, le ministère public a la faculté d'abandonner les poursuites, mais cet abandon n'a aucun effet sur l'action publique dont l'extinction ne peut provenir que des juridictions. Une fois lancée, l'action publique ne peut prendre fin que par une décision juridictionnelle (non-lieu de la juridiction d'instruction, jugement de relaxe ou de condamnation de la juridiction de jugement)94. En effet, malgré l'abandon du ministère public, la juridiction répressive est tenue de se prononcer sur l'action publique ; cet abandon ne lie pas le juge, qui peut prononcer une condamnation malgré le changement de position adopté par le ministère public à l'audience. L'abandon de l'action publique par le ministère public peut se traduire par le fait que celui-ci requiert à l'audience la relaxe ou l'acquittement, malgré un acte de poursuite contraire à ses réquisitions orales. En un mot, la décision de classement ne peut être prise que lors du déclenchement des poursuites. Elle peut être revue en raison de son caractère provisoire et non juridictionnel. Dès lors que le ministère public ou la victime décide d'engager les poursuites, le ministère public ne peut plus revenir sur sa décision ou sur celle de la victime pour la convertir en classement sans suite. La mise en mouvement de l'action publique présente un caractère irréversible, irrévocable et définitif. Donc, le Procureur (ni personne d'autre) ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire en arrêtant le 93MERLE (R), VITU (A), Traité de droit criminel, op. cit. p.331 94 PRADEL (Jean), procédure pénale, Paris, 17e édition revue et augmentée à jour au 15 juillet 2013, Cujas, 2013, P.538 28 mécanisme de la répression, ni renoncer aux recours que la loi ouvre, ni se désister de ceux qu'il aurait formés. Apres avoir cerné le pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère public et ses limitations en matière de classement sans suite, il est nécessaire d'étudier ses implications pratiques dans notre système répressif. SECTION 2 : Les implications pratiques du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République lié au classement sans suite Le pouvoir discrétionnaire du ministère public échappe à toute réglementation. Il implique la liberté pour le procureur de la République de choisir un motif de classement sans avoir à se justifier (Paragraphe 1), et celle de choisir la forme et le délai qu'il veut de la décision de classement sans suite (Paragraphe 2). |
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