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Le régime juridique du classement sans suite en procédure pénale congolaise


par Darchy ELIONTA
Université Marien Ngouabi  - Master  2024
  

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CHAPITRE I : LA REDEFINITION DE L'AUTORITE INCARNANT LE POUVOIR DE

L'OPPORTUNITE DES POURSUITES 63

Section 1 : L'instauration d'un juge d'opportunité des poursuites 63

Section 2 : La relégation du Procureur de la République à la fonction de poursuite 73

CHAPITRE II : LE RENFORCEMENT D'EFFICACITE DES PROCEDURES

ALTERNATIVES AU CLASSEMENT SANS SUITE 86

Section 1 : L'aperçu des procédures alternatives au classement sans suite 86

Section 2 : Les aspects à prendre en compte pour l'efficacité des procédures

alternatives au classement sans suite 98

CONCLUSION 111

BIBLIOGRAPHIE 116

TABLE DES MATIERES 122

1

INTRODUCTION

1- Le contexte général

Il n'y a pas aujourd'hui de question, touchant de près ou de loin la justice pénale, pour laquelle un rôle ne soit pas réservé au Procureur de la République. Considéré comme la véritable cheville ouvrière dans la réaction opposée par la société à la commission d'une infraction pénale1, cet acteur judiciaire incarne le pouvoir d'opportunité des poursuites.

L'article 28-1 du code de procédure pénale dispose : « Le Procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ». Apprécier2 la suite à donner aux plaintes et dénonciations, c'est jouir de l'opportunité des poursuites3, perçue comme « la reine des attributions »4 du Procureur de la République. Cette attribution lui permet de centraliser les plaintes qui lui sont adressées directement ou qui sont préalablement déposées auprès des services de police ou de gendarmerie. Sur la base des informations reçues ou complétées, le cas échéant, par les actes d'enquête effectués par les services compétents à leur initiative ou sur instruction du Procureur, ce magistrat va devoir prendre une décision adaptée compte tenu des exigences légales, de l'état du dossier de la procédure et de la finalité envisagée en appréciant la consistance et la pertinence des preuves recueillies ainsi que les possibilités légales qu'il offre sous l'angle de la poursuite5.

1DECHEPY-TELLIER (J), La procédure pénale en schémas, Paris, 2e édition, Ellipses, 2017, p.446

2 Selon un auteur, la légalité et l'opportunité constituent les éléments de base d'appréciation de la décision tant de poursuite que de classement sans suite. Une fois qu'il a apprécié la légalité et l'opportunité d'une poursuite éventuelle, le Procureur de la République est libre de fixer sa décision dans le sens qui correspond à son sentiment personnel. Il se décide aussi librement en ce qui concerne la légalité qu'en ce qui concerne l'opportunité. Voir en ce sens BOULOC (B), Procédure pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012, p.580

3GANZINO-NGOUNGA (C), L'audience pénale, Porto-Novo, 1e édition, Protic, 2021, p.50

4DE NAUW (A), La décision de poursuivre - Instruments et mesures, Rev. dr. pén., 1976-1977, p. 449. 5GUINCHARD (S), Procédure pénale, Paris, Litec, 2000, p.962

2

Ainsi, en vertu du pouvoir d'opportunité des poursuites, le Procureur de la République peut décider soit d'actionner, sur le clavier de l'action publique, la touche de la poursuite, soit d'activer la touche verte absolutoire du classement sans suite6.

La poursuite consiste à mettre en mouvement l'action publique en saisissant une juridiction d'instruction ou, directement, une juridiction de jugement. Le classement sans suite constitue une décision qui, à l'inverse, met fin à la procédure qui avait pu être initiée et entraîne le non-exercice de l'action publique, sous réserve du droit reconnu à la victime et à certaines administrations de mettre en mouvement l'action publique.

Contrairement au système légaliste7 qui impose au ministère public de poursuivre toute infraction parvenue à sa connaissance, quelles qu'en soient la gravité ou les circonstances8, le système d'opportunité donne toute la liberté au ministère public de ne pas déclencher9 des poursuites pour un fait pénalement qualifiable10 par une décision de classement sans suite.

Généralement, le classement sans suite peut être dicté par le défaut de la caractérisation de l'infraction, l'existence d'une cause d'impunité, l'extinction de l'action publique, le caractère mineur du trouble causé à l'ordre public et bien d'autres motifs non spécifiés par la loi. Cette décision ne signifie pas nécessairement que le Procureur

6VIOUT (J.O) en collaboration avec TALEB (A), La défense pénale devant le ministère public : les alternatives à la poursuite, in La Défense pénale, Actes du XIXe congrès de l'Association française de droit pénal, RPDP n° spécial 2010, p. 135. L'exercice du pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites par le procureur se réduit à un choix binaire. Soit il poursuit, soit il classe sans suite. Il s'agit d'une alternative légale : un magistrat du parquet ne peut sans outre-passer ses prérogatives, sortir des frontières délimitées par les deux seules options : classer ou poursuivre. Cependant, si la poursuite implique un mineur, le parquet peut user de médiation en toute discrétion en sortant de l'impératif binaire de poursuite. « On s'attachera, dans toute mesure possible, à traiter le cas des délinquants juvéniles en évitant le recours à une procédure judiciaire devant l'autorité compétente...Le parquet ou les autres services chargés de la délinquance juvénile ont le pouvoir de régler ces cas à leur discrétion, sans appliquer la procédure pénale officielle.

Tout recours a des moyens extrajudiciaires exige le consentement de l'intéressé ou de ses parents ou de son tuteur. Il faut assurer la restitution des biens et l'indemnisation des victimes ». Art. 75alinéa 1-4 de la loi n°4-2010 du 14 juin portant protection de l'enfant en République Congo

7D'une manière plus générale, la distinction entre opportunité et légalité repose sur le présupposé que la décision en opportunité résulte d'un choix discrétionnaire, tandis que l'appréciation de la légalité serait une simple application d'une norme préexistante à une situation de fait, mais on sait bien qu'il faut au moins déterminer le texte applicable, puis l'interpréter et que ces opérations ne peuvent être accomplies sans un choix discrétionnaire. 8MERLE (R) et VITU (A), Traité de droit criminel, Paris, 4e édition, Tome II, Éditions Cujas, 1989, p.331 n°278 9 La plainte de la victime n'oblige pas le procureur de la République à poursuivre que l'absence ou le retrait de plainte ne le contraint à rester inactif et à ne pas poursuivre.

10GANZINO-NGOUNGA (C), Audience pénale, op. cit. p.50, définit l'opportunité des poursuites comme « le principe en vertu duquel le procureur de la République est libre de ne pas déclencher des poursuites pour un fait pénalement qualifiable ».

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de la République n'envisage pas à terme de poursuivre le présumé auteur, d'autant plus qu'une telle décision n'implique pas l'abandon des poursuites, dès lors que le ministère public peut à tout moment, pendant le délai de prescription, revenir sur sa position pour engager les poursuites. C'est dans cette perspective que Serge GUINCHARD et Jacques BOUISSON préfèrent l'expression « poursuite différée » à celle de classement sans suite, car le classement sans suite laisse place à une suite11.

2- La définition des concepts clés

Pour bien cerner notre sujet, nous allons procéder à la clarification des expressions suivantes : le classement sans suite, la procédure pénale et le régime juridique.

Le classement sans suite : le lexique des termes juridiques le définit comme une décision prise par le ministère public en vertu du principe de l'opportunité des poursuites, écartant momentanément la mise en mouvement de l'action publique12. Selon Jacques LEROY, « le classement sans suite est la décision du Procureur dans le cas où les poursuites ne sont pas engagées pour des raisons de légalité ou d'opportunité13». Serge GUINCHARD et Jacques BOUISSON l'appréhendent comme étant « la décision par laquelle le Procureur de la République, décidant de ne pas poursuivre, classe le dossier dans les archives de son parquet14 ». D'après d'autres auteurs, le classement sans suite est une « mesure administrative prise par l'officier du ministère public lorsque l'instruction ouverte à charge d'une personne ne semble pas soutenue par des preuves suffisantes pouvant lui permettre de fixer l'affaire. En ce cas, le Ministère public ne se dessaisit pas de l'affaire. Il la démet tout simplement de ses préoccupations actuelles en attendant que soient fournies des preuves complémentaires lui permettant de parachever son travail15 ».

11GUNICHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure pénale, Paris, 9e édition, LexisNexis, P. 969. Ces auteurs définissent la poursuite différée comme « la décision du ministère public de ne pas poursuivre immédiatement, pour bien marquer qu'une telle décision, quelle qu'elle soit, n'implique pas l'abandon des poursuites, dès lors que le ministère public a, à tout moment pendant le délai de prescription, la faculté de revenir sur sa position pour engager la poursuite », p.965

12GUINCHARD (S) et DEBARD (T), Lexiques des termes juridiques, Paris, 25e édition, Dalloz, 2017-2018, p.156. Voir aussi PUIGELIER (C), Dictionnaire juridique, Bruxelles, 2e édition, Larcier, 2015. Cet auteur définit le classement sans suite comme « une absence de poursuite d'une affaire décidée par le ministère public après le dépôt d'une plainte ».

13LE ROY (J), procédure pénale, Paris, Lextenso, 2013, p. 311

14GUINCHARD (S) BOUISSON (J), Procédure pénale, op. cit. p.966

15LUZOLO BAMBI LESSA (E) et BAYONA BA MEYA (N.A), Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011, p. 383

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En dépit de leur mérite, ces différentes approches définitionnelles ne permettent pas d'appréhender les contours de la notion de classement sans suite. C'est sur la base de ces considérations que nous pensons la définir comme une décision administrative prise par le Procureur de la République, suite à une plainte ou une dénonciation, en vertu de son pouvoir d'opportunité des poursuites, d'abandonner provisoirement ou définitivement les poursuites, pour des considérations objectives ou subjectives de légalité ou d'opportunité. Cette définition parait plausible en donnant un aperçu sur la nature de la décision, le moment auquel elle peut être prise et les éléments de son soubassement.

La procédure pénale : celle-ci est conçue comme l'ensemble « des règles qui définissent la manière de procéder pour la constatation des infractions, l'instruction préparatoire, la poursuite et le jugement des délinquants16 ».

Le régime juridique : il s'entend comme l'ensemble des lois, des règles, des procédures et des principes applicables à une notion. En réalité, il n'existe pas, à proprement parler, de régime juridique définissant les règles juridiques applicables en matière de classement sans suite en droit positif congolais ; sinon que l'énoncé du principe de l'opportunité des poursuites17. Chaque parquetier reste libre d'appliquer les règles de son choix18 dans la prise, la matérialisation et la communication de ladite décision ; ce qui alimente le risque d'arbitraire. Il n'est pas à nier que la raison d'être de l'organisation procédurale en matière de prévention et de répression des infractions à la loi pénale est d'éviter l'arbitraire19. Cependant, l'exercice du pouvoir d'opportunité des poursuites, par ricochet de classement sans suite, n'est pas encadré et laisse une brèche à l'orchestration des abus par le détenteur dudit pouvoir.

3- L'historique du sujet

Le système de poursuite adopté par le législateur congolais, puise ses racines du droit colonial français. En effet, n'étant pas consacré par le code d'instruction criminelle de 1807, dont le système de poursuite était, selon toute apparence légaliste, il a fallu

16GUINCHARD (S) et DEBARD (T), Lexiques des termes juridiques, op. cit. p.687

17Voir dans ce sens l'article 28 du code de procédure pénale

18Les pratiques en matière de classement ne correspondent pas à un traitement standardisé mais à des habitudes

propres à chaque parquet.

19BAMBA (S.L), Le déroulement du procès pénal : Essai de droit comparé Congo/France, Paris, L'Harmattan, 2019, p.5

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attendre l'adoption du code de procédure pénale de 1958, dont le choix de poursuite s'était orienté vers le modèle de l'opportunité des poursuites20. Trois ans juste après son accession à l'indépendance, la République du Congo adopte par la loi n°1-63 du 13 janvier 1963 le code de procédure pénale calqué sur le modèle français dans lequel il consacre le principe de l'opportunité des poursuites en son article 28-121, reprenant littéralement l'article 40 du code de procédure pénale français.

Dans le souci d'encadrer les pouvoirs du ministère public, éviter le risque d'arbitraire, protéger les droits des victimes et lutter contre l'impunité des auteurs d'infractions, plusieurs reformes ont été initiées au fil des années sous l'influence de différentes lois par le législateur français22, encadrant la pratique du classement sans suite. Au Congo, par contre, la pratique du classement sans suite, courante dans le cadre d'une procédure pénale, n'a connu aucune évolution de nature à la doter d'un régime juridique qui lui est propre pour l'encadrer, à l'instar du droit français.

Le texte23 fondateur, reconnaissant la possibilité au Procureur de la République de classer sans suite une plainte, doit être mis à jour à cause des lacunes critiquables qu'il comporte et qui constituent le revers de la médaille du système répressif dont la vocation tend à garantir un Etat de droit.

En effet, ce texte de référence ne définit nullement les critères susceptibles de guider le Procureur de la République dans ses décisions de classement, ne l'oblige pas à les motiver, les communiquer et à orienter la victime qui n'a pas le droit de recours, à

20Article 40 du code de procédure pénale français. Ce système offre au ministère public toute la latitude de décider d'engager ou non les poursuites après avoir apprécié les plaintes et les dénonciations reçues.

21« Le Procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ».

22La première évolution significative du régime du classement sans suite a été introduite par la loi sur la modernisation de la justice du 27 mai 2014. Celle-ci a consacré d'une part un droit de recours devant le procureur général pour les victimes qui estiment que leur plainte a été classée sans suite à tort. Elle a introduit d'autre part la notion de classement avec orientation vers une alternative aux poursuites. Ce nouveau régime permet au parquet, lorsqu'il estime que les faits sont établis mais que des poursuites ne sont pas nécessaires, de proposer à l'intéressé une alternative aux poursuites, telle qu'une médiation pénale. En août 2018, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a modifié le régime juridique du classement sans suite pour ces affaires. Ainsi, le parquet ne peut plus classer sans suite les affaires de violences sexuelles et sexistes sans avoir préalablement rencontré la victime. Cette disposition vise à mieux prendre en compte les victimes, à favoriser leur accompagnement, l'efficacité de la justice et à lutter contre l'impunité des auteurs des violences sexuelles et sexistes. En 2020, la loi de programmation par la justice a élargi le champ d'application du classement sans suite avec orientation à toutes les infractions punissables d'une peine d'emprisonnement, y compris les crimes. En outre, la loi a introduit la possibilité pour le parquet de renvoyer l'auteur présumé des faits devant le juge d'instruction même en cas de classement sans suite, si des éléments le justifient.

23 Art. 28-1 du CPP

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d'autres démarches. En réalité, cette disposition légale reconnait au ministère public une très large manoeuvre de choisir sans pouvoir se justifier, le motif de classement, le moment de prendre sa décision, la forme de la décision (implicite ou explicite), la communication ou non de la décision, bref, de faire ce qu'il veut. Dans une très large mesure, c'est sur l'intégrité personnelle du Procureur de la République qu'il faudra compter, pour que son pouvoir de classer les affaires pénales soit exercé avec toute la rectitude nécessaire24, dans le respect des droits de la victime. Or, il ne fait l'ombre d'aucun doute que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu'à trouver des limites.25». Autrement, tout pouvoir non encadré est enclin aux abus.

4- La motivation sur le choix du sujet

Le choix de cette thématique n'est pas anodin, ni moins encore le fruit d'une génération spontanée. L'exercice non encadré du pouvoir de classement sans suite, placé entre les mains des magistrats dépourvus d'éthique et d'indépendance, devient souvent « un rouleau compresseur des droits de certaines victimes ». Il constitue, en effet, une insécurité juridique pour les victimes, en les exposant aux abus et caprices du Procureur de la République et offre une certaine garantie d'impunité à certains présumés auteurs d'infractions impliqués dans la procédure.

Favorisé par l'absence très remarquée de l'encadrement de la pratique de classement sans suite, la dépendance du ministère public au pouvoir politique, l'érosion des vertus éthiques de la part de certains magistrats et l'absence de consécration des garanties solides pour la victime, le spectacle des abus observés lors de notre stage au parquet, en qualité d'auditeur de justice a éveillé notre curiosité et nous a poussé à placer le curseur de notre champ de recherche sur cette question cruciale en procédure pénale.

En principe, la faculté de classement accordée au Procureur de la République se doit d'être utilisée « avec réflexion et prudence et exige de sa part des références éthiques et morales lui évitant de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte ou l'amitié. Il importe qu'en toute circonstance, le Procureur de la République évite de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment d'abandon à la victime et l'impression de

24Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990

25MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, (1748), Paris, Garnier frères, 1973, (contrib. R. DERATHE), p. 142.

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laxisme à ses concitoyens26 ». Malheureusement, le tableau que la pratique nous présente est loin d'atteindre cet idéal.

L'objectif visé par cette étude est d'adresser un réquisitoire contre le système actuel et de faire un plaidoyer pour son remodelage, en proposant un nouveau cadre légal, qui consacrera d'une part les droits de la victime et d'autre part un juge incarnant les garanties d'indépendance, investi du pouvoir d'opportunité des poursuites, soumis aux obligations légales clairement définies et à un contrôle, afin d'éviter tout risque d'arbitraire.

5- L'intérêt du sujet

Au regard, sans doute, des lacunes évidentes observées dans le régime juridique du classement sans suite, avec les abus qui s'ensuivent, cette thématique suscite un intérêt significatif d'ordre théorique, pratique, législatif, social, économique et politique.

Théoriquement, la thématique du régime juridique du classement sans suite n'a pas laissé la doctrine indifférente. Jacques LEROY affirme que le classement sans suite est une décision non revêtue de l'autorité de la chose jugée. Il est toujours provisoire, et la poursuite demeure possible jusqu'à l'expiration du délai de prescription. Il n'empêche pas à la victime de déclencher elle-même les poursuites27. Philipe CONTE pense que « le classement sans suite est un mode controversé de clôture de l'enquête, qui peut laisser penser que la justice n'a pas été rendue ou que l'auteur de l'infraction a bénéficié d'une impunité déguisée28 ». Selon Marc Robert, « le classement sans suite est souvent perçue comme une victoire pour les auteurs d'infraction, mais il peut également être une victoire pour les victimes si celles-ci ont obtenu réparation de leur préjudice en dehors de la voie pénale29 ».

Pratiquement, conscient des dérives qu'entraine l'exercice du pouvoir de classement sans suite, et de l'absence des garanties solides reconnues aux victimes de classement sans suite, cette étude contribuera à doter la pratique de classement sans suite d'un régime juridique propre, qui placera en son sein un acteur judiciaire indépendant et impartial, avec des pouvoirs et des obligations strictement encadrés,

26DROPET(O), Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, disponible sur

https:/ www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513-mono.html

27LE ROY (Jacques), procédure pénale, Paris, Lextenso, 2013, p.311

28CONTE (Ph), auteur de « L'enquête pénale » Editions Dalloz, 2021

29Robert (M), ancien président de la conférence nationale des procureurs de la République.

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et garantira les droits de la victime, éloignera le risque d'arbitraire et l'éventuelle protection accordée à certains présumés coupables. En connaissant ses obligations, les motifs de classement, les droits de la victime, la procédure à suivre et les éléments à prendre en compte avant et après la décision de classement, la tâche du magistrat sera simplifiée.

Sur le plan législatif, cette étude tend à inciter le législateur à corriger les insuffisances du dispositif actuel de classement sans suite pour le rendre équitable à trois niveaux : confier d'abord le pouvoir d'opportunité des poursuites à un acteur judiciaire indépendant, qui rendra les décisions de classement sans suite motivées, transparentes, justes et susceptibles de voie de recours ; améliorer ensuite le fonctionnement des procédures pouvant servir d'alternative et de contrepoids au classement pour garantir un meilleur accès au juge pénal et reconnaitre, enfin, à la victime le droit à l'information, à une décision dans les plus brefs délais avec la possibilité de la contester devant une juridiction.

Socialement, il faut reconnaitre que le système répressif congolais n'inspire pas confiance à l'égard de la société qui le traite de tous les maux30, au regard des abus qui ternissent son image31, créent une justice à double vitesse et confortent les propos du Président de la République qui dénonce la présence du « ver dans le fruit32 » de la magistrature. En redéfinissant le régime juridique de classement sans suite, ce travail contribuera à modifier le sentiment d'incompréhension, de méfiance et d'exaspération croissante de l'opinion publique vis-à-vis de la justice.

Economiquement, le fait de savoir que les autorités judiciaires prennent des décisions de classement de manière objective et respectueuse des droits des personnes aura des effets positifs sur l'économie, en réduisant l'incertitude juridique pour les

30La crédibilité de tout système de justice réside dans sa capacité réelle à convaincre les justiciables de son indépendance et de son impartialité susceptible de leur garantir leurs droits. En l'absence de telles garanties, le système ne peut nullement inspirer confiance au public duquel dépend pourtant sa légitimité.

31MAKOSSO (A.C), Les nouvelles figures de la délinquance mal saisies par le droit pénal des mineurs, Annales de l'Université Marien Ngouabi, 2019 ; 19 (2) ; 33-59, Sciences juridiques et politiques, p.53

32Extrait de l'allocution du Président de la République Denis SASSOU NGUESSO prononcée le 27 mars 2023 lors de la réunion du conseil supérieur de la Magistrature disponible sur https/www. Rfi.fr

9

entreprises et les particuliers, et contribuera à renforcer la confiance des acteurs économiques dans le cadre légal et institutionnel33.

Sur le plan politique, l'autorité incarnant le pouvoir d'opportunité des poursuites est regardée souvent comme une caisse de résonnance ou le bras judiciaire du pouvoir politique par sa subordination au ministre de la justice.

En confiant, d'un côté, le pouvoir d'opportunité des poursuites à un juge indépendant qui n'est soumis qu'à l'autorité de la loi, ce sujet contribuera à empêcher l'intrusion du gouvernement dans les affaires judiciaires individuelles et imposera le respect de la séparation des pouvoirs. En renforçant, de l'autre côté, l'indépendance des procédures alternatives au classement sans suite vis-à-vis du ministère public, cela empêcherait à l'exécutif d'instrumentaliser le ministère public pour faire échec aux démarches initiées par la victime en vue de porter son action devant le juge34.

6- Revue de la littérature

Ce sujet, tel que formulé, n'a pas fait l'objet d'une étude particulière. Néanmoins, plusieurs de ses aspects ont été abordés par quelques auteurs comme :

- Cyprien GANZINO-NGOUNGA35 qui, traite la question de l'opportunité des poursuites, comme un pouvoir reconnu au procureur de la République de classer une affaire pénalement qualifiable.

- Serge GUINCHARD et Jacques BOUISSON36 qui assimilent le classement sans suite, à un archivage du dossier dans les archives du parquet. Le dossier classé peut à tout moment, dans le délai de prescription, être soumis à une juridiction par le ministère public.

- DELMAS-MARTY Mireille37 qui affirme qu'en vertu de l'opportunité des poursuites, le Procureur de la République peut « classer les affaires à son gré pour des raisons qu'il

33 Car, nul entrepreneur averti et rationnel, fût-il natif du pays, ne courra le risque d'investir son capital dans une société au sein de laquelle le système de justice n'est pas crédible.

34 Cette thématique donnera un coup d'accélérateur aux procédures pouvant servir d'alternative à la décision de classement sans suite et garantira leur dénouement heureux. Elle va permettre aux procureurs de la République de s'affranchir des pressions hiérarchiques et de travailler sous l'autorité de la loi, sans crainte d'une mauvaise notation, d'une lourde sanction disciplinaire qui affecterait leur carrière.

35GANZINO-NGOUNGA (C), L'audience pénale, op. cit. p.50

36GUNICHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure pénale, op. cit. P. 967

37DELMAS-MARTY (M), les chemins de la répression, Paris, PUF, 1980, p263

10

n'a pas à indiquer, qu'elles soient d'ordre juridique, matériel, économique, d'équité, ou même de politique ».

- Jean-Marie SHANGO OKOMA38 qui souligne que dans bien des circonstances, le classement sans suite est devenu un moyen pour les magistrats du ministère public d'abuser de leur pouvoir.

- HAENEL Hubert qui évoque39 la nécessité de clarifier les décisions de classement sans suite pour permettre leur compréhension par les victimes.

- Ernest NILLES, Martine SOLOVIEFF et Georges OSWALD40 qui mentionnent les correctifs aux décisions de classement sans suite abusives aux nombres desquels le recours hiérarchique devant le Procureur Général et le droit de la victime de mettre elle-même en mouvement l'action publique.

- Anatole Collinet MAKOSSO41qui affirme que le classement sans suite est un moyen permettant au Procureur de la République d'affirmer son autorité sur l'opportunité des poursuites. Cette décision signifie un abandon des poursuites, qui n'honore pas toujours le pouvoir judiciaire, souvent accusé de laxisme, de complicité ou de complaisance.

Eu égard aux divers aspects évoqués par lesdits auteurs, la présente étude ne s'attèlera pas à dresser le portrait du régime juridique du classement sans suite qui, d'ailleurs, n'existe pas. Elle ne traitera pas, non plus, la question des droits pour la victime d'obtenir réparation après le classement sans suite. Elle se propose plutôt d'analyser de manière très critique, les différentes lacunes légales du régime juridique du classement sans suite y compris les abus qui en résultent dans la pratique et les pistes de solution pour le parfaire.

7- Problématique

Le caractère peu perceptible et lisible dans le code de procédure pénale et l'application à géométrie variable par le ministère public du régime juridique du classement sans

38SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite en droit procédural Congolais, disponible sur www.iosrjournals.org

39Rapport du sénat français « Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée » disponible sur https:/ www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513-mono.html

40NILLES (Ernest), SOLOVIEFF (Martine) et OSWALD (Georges), Avis commun du parquet général et des parquets près les tribunaux d'arrondissement de Luxembourg et de Diekirch, 2020, p. p.23-26

41MAKOSSO (A.C), Les nouvelles figures de la délinquance mal saisies par le droit pénal des mineurs, op. cit. p.53

11

suite sont évocateurs de la problématique de ses lacunes et de la nécessité d'envisager leur mise à jour. Cela nous conduit alors à nous poser les questions suivantes : quelles lacunes peut-on relever dans le cadre juridique régissant le classement sans suite ? Quelles sont les perspectives d'amélioration envisageables pour combler ces dites lacunes, afin d'ériger un système répressif efficace ? évocateur

8- Les hypothèses de recherche

La réponse à ces préoccupations commande à ce qu'on jette une lumière sur les différentes lacunes caractérisant le régime juridique du classement sans suite, en évaluant leur impact sur les droits des plaignants.

L'amélioration du système actuellement défaillant passe par la création d'un juge indépendant, chargé d'évaluer l'opportunité des poursuites et le renforcement de l'efficacité des procédures alternatives au classement sans suite.

9- Les méthodes de recherche

Les méthodes utilisées pour parvenir aux objectifs définis dans le cadre de cette recherche incluent trois approches différentes : la fouille documentaire, les entretiens et l'analyse prospective. L'étude fouillée de la documentation dédiée aux différents éléments touchant notre thématique nous a permis de recueillir des informations utiles au traitement de cette question à travers les textes de lois, les livres, les rapports, les thèses, les mémoires, les articles de revues et les sites web. Les entretiens avec les praticiens nous ont permis de se faire l'idée sur la pratique du classement grâce à leurs expériences et leurs opinions. L'analyse prospective a porté sur la pratique courante du classement sans suite par le ministère public, les différents textes légaux relatifs au pouvoir d'opportunité des poursuites et ceux consacrant la possibilité pour la victime de mettre en mouvement l'action publique, afin déceler les lacunes et de proposer les solutions.

10- L'annonce du plan

Nos travaux de recherche, ayant pour centre de gravité le régime juridique du classement sans suite, vont explorer avec un regard critique les lacunes observées dans le système actuel de classement sans suite (Première partie), avant de les orienter vers les perspectives de son amélioration (Deuxième partie).

12

PREMIERE PARTIE

LES LACUNES DU REGIME JURIDIQUE DU CLASSEMENT

SANS SUITE

13

Le refus de l'impunité des infractions s'inscrit dans la consécration assumée d'une galaxie d'institutions judiciaires au service d'une obligation de les poursuivre. Le centre de gravité de cet ordonnancement juridique est le Procureur de la République en ce qu'il conduit et engage les poursuites42. Il n'est pas cependant obligé d'agir quand une infraction est portée à sa connaissance, par une décision de classement sans suite.

Toutefois, beaucoup de questions demeurent sans réponses : sur quel critère doit-il le faire ? Sous quelle forme (écrite, orale, explicite ou implicite) et quand ? Quelle est la valeur de cette décision ? Qui doit contrôler sa légitimité ? Quelles sont les obligations qui pèsent sur l'auteur du classement à l'égard de la victime ? Doit-il l'informer ou un simple silence prolongé suffit à justifier le classement ? Que doit faire la victime face à un classement sans suite ? Dispose-t-elle d'un droit de le contester ou d'une alternative efficace pour le contourner ? Ces questions pertinentes, nécessitant des réponses claires du législateur, sont finalement sans réponse et constituent par conséquent les lacunes du système de classement sans suite.

La décision de classement sans suite prise par le ministère public à l'occasion de l'enquête préliminaire est caractérisée en droit congolais par une absence totale des règles transparentes liant l'autorité compétente chargée de la prendre, et l'absence de garanties pour les plaignants. L'article 28-1 du code de procédure pénale ne se contente que d'énoncer le principe d'opportunité des poursuites sans dégager les règles applicables, si jamais le ministère public décide d'un classement sans suite. Sa pratique relève du choix discrétionnaire du procureur de la République d'abandonner les poursuites s'il estime qu'elles sont inopportunes.

Ce vide juridique attaché à une décision mettant fin à la procédure engagée par le plaignant met à nu les faiblesses de ce dispositif juridique qu'il convient de scruter. Deux aspects majeurs révèlent les insuffisances décriées : l'absence d'encadrement du pouvoir de l'autorité chargée de prendre une telle décision notamment le Procureur de la République (Chapitre I) et le manque de lisibilité de ses obligations et des droits du plaignant (Chapitre II).

42 LE GALL (E), L'opportunité des poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle insuffisant, Revue internationale de droit pénal, 2013/3 vol.84/pp. 495-514

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CHAPITRE I : L'ABSENCE D'ENCADREMENT DU POUVOIR DE CLASSEMENT SANS SUITE DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

L'application du principe de l'opportunité des poursuites rend le Procureur de la République titulaire d'un pouvoir discrétionnaire dans le choix des poursuites43. Son pouvoir absolu se caractérise par la possibilité qui lui est reconnu de mettre fin à une procédure engagée en appliquant justement son pouvoir discrétionnaire44. Ce pouvoir reconnu au Procureur de la République de classer sans suite une plainte fera l'objet de la première section (Section 1), avant d'envisager ses implications pratiques (Section 2).

SECTION 1 : Le classement sans suite : une décision relevant du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République

Le classement sans suite est une décision traduisant le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République. La notion du pouvoir discrétionnaire est inconnue à la procédure pénale. Elle relève plutôt du droit administratif où elle est opposée aux cas dans lesquels l'administration est en situation de compétence liée. Celle-ci est comme l'écrit le professeur René CHAPUS, « le pouvoir de choisir entre deux décisions ou deux comportements (deux au moins) conformes à la légalité45».

En procédure pénale, la doctrine l'utilise pour appréhender le pouvoir d'appréciation reconnu au Procureur de la République au stade de la décision sur l'engagement ou non des poursuites46. La compréhension du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République en matière de classement sans suite passe par son analyse (Paragraphe 1) avant de montrer ses limites (Paragraphe 2).

43 LE GALL (Elise), L'opportunité des poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle insuffisant, Revue internationale de droit pénal, 2013/3 vol.84/p.p 495-514

44VILLARD, Katia Anne. Opportunité des poursuites et conflits de compétences : notes sur les articles 8 al. 2 let. c et 8 al. 3 CPP. In: Dodécaphonie pénale : Liber discipulorum en l'honneur du Professeur Robert Roth. Genève : Schulthess, 2017. p. 131-144 disponible sur https://archive-ouverte.unige.ch//unige:102745

45CHAPUS (R), Droit administratif général, Paris, 15e édition, Lgdj, 2001, p.119

46GIRAUD (P), Le pouvoir discrétionnaire du procureur de la cour pénale internationale, rapport de recherche pour l'obtention du certificat de recherche approfondie (2012), p. 13

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PARAGRAPHE 1 : L'analyse du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République

L'analyse du pouvoir de discrétion du Procureur de la République commande qu'on examine cette notion (A) et sa portée (B).

A- La notion du pouvoir discrétionnaire du procureur de la République

Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République est une notion juridique qui désigne la capacité qu'à le procureur de décider de l'opportunité et de l'orientation des poursuites pénales. Il peut décider de poursuivre les auteurs présumés des infractions, mais également décider de ne pas le faire, décider d'engager des poursuites à l'égard de certains auteurs de façon plus sévère que pour d'autres. En réalité, les décisions du Procureur de la République sont prises au cas par cas, en fonction des éléments recueillis durant l'enquête préliminaire, des critères d'opportunité tels que l'intérêt général et les orientations de la politique pénale. Certains auteurs considèrent que le pouvoir discrétionnaire du procureur se manifeste surtout dans ses décisions négatives47 c'est-à-dire de classement sans suite alors que l'infraction est constituée et l'auteur identifié.

La notion du pouvoir discrétionnaire peut être entendue de trois manières : le pouvoir d'appréciation, de décider en dernier ressort et sans être lié par les normes préexistantes.

Le pouvoir d'appréciation renvoie à la nécessité de faire appel, dans l'application d'une norme, au jugement du ministère public plutôt que de pouvoir se contenter de son application mécanique48. Il n'est pas inutile de préciser que cette application peut porter aussi bien sur l'existence des faits auxquels cette norme s'applique y compris les problèmes juridiques de preuve que cette question soulève que sur la signification des normes elles-mêmes, et leur importance respective49lorsque, pour des raisons de droit ou de fait, un choix s'impose entre plusieurs normes au niveau de leur application.

47En ce sens, STITH (K), The arc of the Pendulum ; Judges, Prosecutors and the Exercise of Discretion, Yale Law Journal 2008 ; pp 1420 à 1422 « In the context of the criminal law, to exercise discretion means, most simply, to decide not to investigate, prosecute, or punish to the full extent avalable under the law », cité par VAN DE KERCHOVE (M) : fondement et limites du pouvoir discrétionnaire du ministère public. Aux fins de la légalité, disponible sur https:// doi.org./10.7202/001384

48DWORKIN (Ronald), Taking Rights, Cambrige, Mass, Harvard University Press, 1978, p.31

49RAZ (Joseph), Legal principle and the limits of law, dans yale law journal, Vol.81, 1972, p.846

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Le pouvoir discrétionnaire au niveau de l'engagement des poursuites ne peut se faire de manière purement mécanique et fait donc appel au jugement du Procureur de la République. Une administration enchainée par la loi, sans aucune marge de liberté dans l'appréciation des faits et dans la prise des décisions entrainerait une sorte de robotisation de l'action du ministère public.

Ce jugement consistera pour lui dans l'examen de la réalité des faits délictueux commis dans leur qualification juridique et dans l'interprétation de la loi pénale. En cela, ses fonctions s'apparentent manifestement à celles du juge, car il est appelé aussi à connaitre de l'affaire au fond, exactement comme le ferait le juge de jugement et à prendre une décision qui s'apparente à celle que rend ce dernier. C'est en ce sens, d'ailleurs, que l'on dit parfois que « le parquet est le premier juge de l'affaire50 ».

Même si, une telle appréciation peut amener le ministère public à classer l'affaire sans suite, il importe cependant de noter qu'elle ne porte pas, dans ce cas, sur l'opportunité proprement dite des poursuites, mais bien sur leur légalité51. Il convient de souligner que l'appréciation porte aussi bien sur la légalité que sur l'opportunité avant que le Procureur de la République fixe sa décision dans le sens qui correspond à son sentiment personnel. Il se décide aussi librement en ce qui concerne la légalité qu'en ce qui concerne l'opportunité52.

Quant au pouvoir de décider en dernier ressort, il se traduit par le fait que la décision prise par le Procureur de la République n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours et d'être contrôlé ou modifié par une instance. C'est un pouvoir reconnu au ministère public d'apprécier sans contrôle du juge l'adéquation du fait à la règle de droit. Il constitue le domaine réservé qui échappe au contrôle juridictionnel qui se fait dans un cadre bien défini, sinon il ne relèverait plus du domaine de l'opportunité mais de celui de la légalité.

50FRANCHIMONT (A), cours de procédure pénale, t.I, Liège, 1984, p.40

51L'opportunité des poursuites ne veut pas dire que le procureur n'a pas à se préoccuper de la loi ; ce qui serait gravement inexact. Avant de prendre la décision de poursuivre ou de classer sans suite, le procureur de la République, souvent par le moyen d'une enquête préliminaire, vérifie si légalement l'infraction semble constituée. Cependant, le procureur de la République, même si les éléments constitutifs de l'infraction paraissent réunis, dispose encore de la faculté de classer sans suite. Voir Roger Perrot, Le rôle du Ministère Public dans les domaines pénal, civil et commercial, dans Conseil de l'Europe, dir., Le rôle du ministère public dans une société démocratique, Strasbourg, Editions du Conseil de l'Europe, 1997, 167 167. p. 174.

52BOULOC (B), Procédure pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012, p. 595.

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Sans doute faut-il rappeler que l'autorité de cette décision doit être entendue, dans un sens très différent de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à un acte juridictionnel, étant donné que le parquet peut revenir sur un classement effectué et mettre en mouvement l'action publique, même en l'absence de charges nouvelles53. Il apparait, par contre, que, dans les limites du pouvoir d'appréciation en opportunité à tout le moins, l'exercice de ce pouvoir ne peut en principe faire l'objet d'aucun recours et n'est donc pas susceptible d'être remis en question par une autre instance. En droit congolais, cette décision est sans appel, car insusceptible de voie de recours administratif (recours gracieux ou hiérarchique) et juridictionnel (devant un juge).

Enfin, le pouvoir discrétionnaire désigne le fait que le Procureur de la République prend la décision sans être lié à des normes préexistantes54. Il y a pouvoir discrétionnaire toutefois qu'une autorité agit librement sans que la conduite à tenir soit dictée à l'avance par une règle de droit55. Ce pouvoir est conçu comme affranchi de toute régulation juridique préexistante, et son exercice est caractérisé par l'absence d'un encadrement juridique, des normes sur lesquelles le ministère public doit se référer pour pouvoir décider.

Le monopole d'appréciation du ministère public ne consiste pas seulement à apprécier l'existence de l'infraction au regard de la loi, mais le pouvoir, une fois acquise, la conviction qu'une infraction a été commise et qu'aucun obstacle juridique n'empêche de la poursuivre, de classer sans suite les documents relatifs à des infractions réelles mais dont la poursuite lui parait inopportune. Il s'agit de ce pouvoir qui, alors que la condamnation parait devoir être certaine, permet au ministère public de décider néanmoins de ne pas poursuivre, estimant que la poursuite est inopportune56. Or selon une opinion largement partagée, une telle appréciation ne repose sur aucun critère proposé par le législateur et fait exclusivement appel à la conscience, à la prudence et au jugement du magistrat lui-même. Ce pouvoir discrétionnaire peut être mis en parallèle avec la mission qui revient au juge répressif d'individualiser la peine entre le minimum et le maximum fixés par la loi. L'exercice d'un tel pouvoir fait appel à une conviction subjective, que l'on qualifie parfois d'intime « conviction » parce qu'elle

53 Merle (R) et Vitu (A), op. cit. p.344

54DWORKIN(R), Taking rights seriously, op. cit. pp. 31 et s.

55 MOUBANGAT MOUKONZI (A.D), Le juge congolais face au pouvoir discrétionnaire de l'administration,

Mémoire pour l'obtention du Diplôme de l'E.N.A.M (filière Magistrature) Brazzaville 1988 p.58

56Raymond Charles, Du Ministère public, dans le journal des tribunaux, né 5218, 1992, p.553

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repose sur des éléments en partie rebelles à toute tentative de transmission logique et à une expérience objectivement incommunicable dans sa totalité. Or, « pour qu'un système judiciaire soit marqué au coin de l'équité, l'engagement des poursuites doit dans une certaine mesure obéir à des critères », l'antidote contre l'arbitraire.

En conséquence, la liberté de choix qu'implique l'existence du pouvoir discrétionnaire peut être compris comme une absence d'automatisme de la décision, une absence de contrôle et une absence de régulation. Le pouvoir discrétionnaire commence où le droit s'arrête.

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