CONCLUSION
Il est inconcevable d'imaginer un système d'application
de la loi pénale où aucune personne ayant autorité ne
serait appelée à décider, si une personne doit être
poursuivie ou non pour une infraction alléguée. En
procédure pénale congolaise248, ce pouvoir est
attribué au Procureur de la République. Contrairement au
système de légalité des poursuites, qui veut que toute
infraction portée à la connaissance du Procureur de la
République soit suivie des poursuites, le système
d'opportunité lui accorde le plein pouvoir de décider du
traitement à réserver à une affaire pénale : il
peut la renvoyer devant un juge ou la classer sans suite.
Le classement sans suite est une décision prise par le
Procureur de la République, lorsqu'il estime qu'il n'y a pas lieu de
poursuivre une affaire pénale, pour des raisons de
légalité ou d'opportunité. Cette décision signifie
que l'affaire ne sera pas portée devant le juge. Elle n'implique
cependant pas l'abandon des poursuites, dès lors que le ministère
public peut à tout moment, pendant le délai de prescription,
revenir sur sa position pour mettre en marche la machine judiciaire.
La décision de classement sans suite n'obéit pas
à un cadre juridiquement défini d'avance. Elle fait appel
exclusivement à la conscience, au jugement, à l'intime conviction
et à l'opinion personnelle du Procureur de la République.
Le mécanisme de classement sans suite est une
expression du pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère
public. Ce pouvoir signifie liberté d'appréciation, absence de
régulation et de contrôle. Dans une très large mesure,
c'est sur l'intégrité personnelle du Procureur de la
République qu'il faudra compter, pour que son pouvoir soit exercé
avec toute la rectitude nécessaire.
Positivement, ce pouvoir est un outil indispensable pour la
gestion des affaires pénales. Il permet au ministère public de
trier les affaires que les tribunaux doivent connaitre en raison de leur
importance, des ressources disponibles, des priorités et d'éviter
les poursuites inutiles, inopportunes et injustifiées249.
Toutefois, ce pouvoir
248Art. 28-1 du CPP
249KAVUNDJAN MANENO (T), Procédure
pénale, Paris, Espérance, 2022, pp. 459-460. Cet auteur
affirme que la mise en oeuvre du pouvoir d'appréciation reconnu au
Ministère public permet certains avantages dans le système
judiciaire. Il s'agit d'une part de filtrer les dossiers à soumettre au
juge, d'éviter des poursuites inutiles lorsque les faits sont prescrits,
amnistiés ou lorsqu'il s'avère impossible d'en découvrir
les auteurs, d'éviter aux personnes
112
connait quelques limites. Ainsi, le Procureur de la
République ne peut classer sans suite une plainte mettant en cause une
personne jouissant des privilèges juridictionnels, puisque ce pouvoir
relève de la Cour suprême. Il ne peut non plus classer une affaire
après la décision de poursuite car l'action publique devient
indisponible après sa mise en mouvement.
Négativement, à cause des lacunes légales
qu'il comporte, le pouvoir de discrétion aboutit immanquablement
à une application sélective, discriminatoire, et donc
inégale de la loi, devenant ainsi un vecteur d'abus.
Concrètement, ces lacunes sont traduites tout d'abord,
par la possibilité reconnue au Procureur de la République de
choisir en toute liberté, le motif de classement sans suite. Cette
liberté crée une disparité dans ses décisions,
encourage les abus qui ternissent l'image de la justice, alimentent les
soupçons de la présence du ver dans le fruit de la magistrature
et créent une justice à double vitesse. Une telle situation ne
saurait être remédiée que par la définition des
motifs qui orienteront les décisions du ministère public et
feront barrage à l'arbitraire.
Ensuite, l'absence d'obligation de motiver sa décision,
créant ainsi, une certaine opacité de son action. Ce
système ignore la nécessité de la motivation,
élément de pédagogie et de compréhension de la
décision par les justiciables et gage d'impartialité.
Bien plus, la liberté du choix du délai de
réponse d'une plainte reçue. Pratiquement, beaucoup de plaintes
trainent longtemps dans ses bureaux, laissant les victimes dans une totale
incompréhension et conduisant certaines affaires à la
prescription. L'idéal serait d'imposer un délai de réponse
de trois mois pour pallier ces abus.
En outre, le Procureur de la République
détermine la forme de la réponse à donner à la
victime. En réalité, il est tenu de prendre un acte de classement
sans suite comme il le fait pour les actes de poursuite. Malheureusement, en
pratique, il y a des classements silencieux, laissant la victime dans une
confusion et soif de justice. L'option de classement implicite traduit souvent
la crainte de porter à la connaissance
concernées les inconvénients de poursuites
injustifiées, à la société de troubles inutiles, et
de réduire l'encombrements des juridictions.
113
du plaignant une décision fantaisiste qui alimenterait,
les soupçons de corruption ou de trafic d'influence.
Enfin, le ministère public reste libre d'informer la
victime, oubliant que l'information est cruciale dans une procédure
judiciaire, afin de permettre à la victime d'envisager d'autres
démarches et de savoir que sa plainte a été prise en
compte.
Le comble des lacunes du système actuel se traduit
visiblement par l'absence des voies de recours placées entre les mains
de la victime pour contraindre le ministère public à revoir sa
position ou à sortir de son silence. Or, le recours permet d'assurer le
contrôle de la décision prise et de redresser une situation mal
traitée.
La victime peut néanmoins contourner le refus d'agir du
Procureur de la République, en engageant les poursuites devant les
juridictions répressives.
En un mot, le maniement du pouvoir de classement sans suite
conduit à une application à géométrie variable de
la loi, devient une source de revenus pour les magistrats sans scrupules, un
moyen pour faire passer leurs proches, leurs amis ou les hommes influents de la
société à travers les mailles du filet de la
répression et un facteur criminogène.
L'antidote pour remédier aux dysfonctionnements de la
machine judiciaire au premier regard, résiderait d'une part dans la
définition des pouvoirs et des obligations du Procureur de la
République et d'autre part dans la prise en compte des droits du
plaignant notamment le droit à l'information, à l'orientation
vers d'autres démarches, à une réponse motivée dans
un délai relativement court et le droit de recours devant le procureur
général.
Cette approche a tout de même ses faiblesses qui ne
permettront pas de rendre à notre justice ses lettres de noblesse
à savoir : l'absence d'indépendance du Procureur de la
République vis-à-vis de sa hiérarchie judiciaire et
politique ; son irrécusabilité combien même il existerait
les soupçons d'impartialité ou de corruption, exposant ainsi la
victime à une décision arbitraire et enfin son
irresponsabilité sauf prise à partie dont la preuve n'est pas
toujours aisée à rapporter.
La construction d'un système efficace passe par la
création d'un juge d'opportunité des poursuites.
Indépendant, récusable et responsable de ses actes, ce magistrat
traitera les plaintes reçues par le ministère public dans un
délai d'un mois. Apres
114
examen, il pourra rendre soit une ordonnance de poursuite
communicable au ministère public pour le déclenchement des
poursuites dans un délai de dix (10) jours ; soit une ordonnance de
conciliation pour motif d'opportunité défini d'avance ou soit une
ordonnance de classement sans suite motivée, notifiable et contestable
par le ministère public et la victime devant la chambre d'accusation.
Faute d'une indépendance décisionnelle, le
ministère public se contentera de recevoir les plaintes, d'ordonner une
enquête préliminaire ne pouvant dépasser deux mois et de
soumettre les dossiers au juge d'opportunité des poursuites pour
appréciation.
Dans le souci de garantir le droit d'accès au juge pour
la victime de classement sans suite, il est nécessaire de renforcer
l'efficacité des procédures alternatives au classement sans suite
notamment la constitution de partie civile devant le juge d'instruction et la
citation directe.
Cette efficacité sera assurée par leur
détachement au pouvoir du ministère public qui s'érige
souvent en obstacle pour leur déclenchement et aboutissement par son
inertie à prendre les réquisitions exigées dans les
dossiers pleins d'enjeu ; la définition d'un délai minimum
au-delà duquel si le ministère public ne prend pas les
réquisitions attendues, la juridiction saisie pourra passer outre ; la
réduction de leur coût et l'obligation pour le juge saisi
d'émettre gratuitement les mandats contraignants selon leur usage ; la
simplification de tout acte de saisine du juge en une simple plainte sans
formalisme rigoureux ; l'élargissement de la procédure de
citation directe aux crimes ; la suppression de l'intervention d'un huissier de
justice dans la procédure de citation directe pour réduire son
coût et permettre son effectivité sur tout le territoire national
; l'instauration de la collégialité dans les cabinets
d'instruction, pour la célérité et la lutte contre la
corruption et la création des centres d'aide aux victimes
composés des juristes qui les accompagneront dans leur
démarche.
La question sur le régime juridique du classement des
affaires pénales doit être traitée de manière
générale et pertinente. Il n'est pas rare de voir certains
dossiers dont les poursuites sont portées devant une formation de
jugement, s'ensabler définitivement, alors que ceux ayant donné
lieu à une instruction, se solder par un abandon des poursuites,
jusqu'au constat de la prescription de l'action publique. C'est donc à
tort que cette question reste focalisée uniquement sur le parquet, alors
que celui-ci ne constitue qu'un maillon de la chaine de traitement de la
délinquance.
115
L'élargissement de la notion de classement sans suite
est nécessaire, car elle touche toute la chaine pénale. Chaque
fois que la réponse pénale n'est pas appropriée
après la commission d'une infraction, à cause de l'inaction de
celui qui devrait la dénoncer, porter plainte auprès des
autorités compétentes, autoriser les poursuites, mettre en
accusation le présumé auteur, le poursuivre, le juger et
exécuter la décision rendue, il s'agit sans l'ombre d'aucun doute
d'un classement sans suite.
Le traitement en profondeur de cette question dans tous ses
contours et à tous les niveaux de la chaine pénale contribuera
à éjecter le ver qui ronge le fruit succulent de la justice,
à lutter contre l'arbitraire, à réhabiliter l'image de
l'appareil judiciaire et à éloigner la protection accordée
à certains présumés auteurs d'infractions.
Le magistrat congolais, présenté souvent comme
le plus corrompu de la société par le pouvoir politique ; le
système judicaire, traité de malade sans perspective de
guérison par le peuple, retrouveront leurs lettres de noblesse perdues
en prenant des décisions de classement sans suite claires, impartiales
et respectueuses des droits de la victime.
Finalement, la prise en compte de la recette proposée
constitue la véritable matrice pour l'implémentation et la
promotion d'un système répressif efficace, égalitaire,
équitable, digne de confiance et répondant aux standards d'un
Etat de droit.
116
|