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La protection de la victime devant les juridictions repressives ivoirienne


par Gneneindjomain Moussa OUATTARA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (UCAO) - Master en droit privé 2023
  

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Section 1 : La passivité de la victime dans les procédures accélérées prévues

L'état actuel de l'ossature pénale ivoirienne permet de constater que le législateur a prévu des procédures qui permettent l'accélération de la résolution de certains conflits. Le but essentiel de ces procédures accélérées est d'éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Ici, il sera question d'analyser la protection de la victime dans ces procédures qui visiblement sont en faveur de la personne poursuivie et en faveur du soulagement de la justice pénale. Ce constat trouve sa justification dans le fait que la mise en oeuvre de ces alternatives est en fonction du comportement du délinquant et de l'accord indispensable du chef de parquet.

Ces procédures sont, en fait, des opérations qui se passent généralement entre le procureur de la République et le délinquant. A cet effet, la victime est souvent dans une position passive vis-à-vis de ces mesures. La passivité de la victime sera analysée dans les procédures accélérées phares. Il s'agit de la procédure de transaction sur l'action publique (Paragraphe 1) et de la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Dans la procédure de transaction sur l'action publique

Le législateur ivoirien a pris le soin de définir cette mesure alternative. En effet, l'art. 14 du CPP prescrit que : « la transaction consiste au paiement d'une amende proposée par le procureur de la République dans les limites de la peine d'amende prévue par la loi pour l'infraction constatée et acceptée par le délinquant200. De cette définition législative, il apparaît clairement que la transaction sur l'action publique est une opération entre le chef du parquet et le mis en cause (A). Toutefois certains articles suivant l'art. 14 du CPP définissent

200 L'appellation « délinquant » nous parait inadéquate. Car le mis en cause, jusqu'à la reconnaissance des faits qui lui sont reprochés ou à l'acceptation de la transaction, jouit du principe de la présomption d'innocence. Il serait donc approprié que le législateur emploie les expressions « présumé délinquant » ou « mis en cause ».

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le traitement qui est réservé à la victime. Mais ce traitement nous parait inadéquat à certains égards (B).

A - Une opération entre le procureur de la République et le mis en cause

Au regard de l'art. 14 du CPP, c'est le procureur de la République qui propose le paiement d'une amende au délinquant. Cette opération ne serait mise en oeuvre qu'avec l'accord du délinquant qui doit expressément accepter la proposition du ministère public.

La subordination de la mise en oeuvre de la transaction à la proposition du procureur et à l'acceptation de celle-ci par le délinquant peut se justifier. En effet, ici, la transaction concerne l'action publique dont l'exercice relève exclusivement de la compétence du procureur de la République. Pendant cet exercice, le procureur requiert l'application de la loi et partant, de la peine. On comprend donc que la loi lui autorise de faire une telle proposition.

Par ailleurs, il faut souligner que le procureur de la République a en principe l'exercice de l'action publique et non la disposition de celle-ci. La disposition de l'action publique appartient à la société. Partant de ce constat, le procureur de la République ne peut donc pas transiger car la transaction constitue un acte de disposition dans la mesure où elle éteint l'action publique201. C'est donc de façon exceptionnelle que cette possibilité est offerte au chef du parquet. Cette exception peut se justifier par le souci d'accélération et d'efficacité du procès, et de désengorgement des juridictions de jugement, mais aussi et surtout par le souci d'éviter ou d'augmenter les cas de classement sans suite.

En ce qui concerne l'accord indispensable du délinquant, qui peut se faire assister d'un conseil pendant la procédure202, la justification se trouve dans le fait qu'il est le bénéficiaire de la transaction et la partie contre qui le procureur requiert l'application de la peine. La procédure ne serait donc possible sans son accord.

Cette procédure est donc avantageuse pour le délinquant qui l'accepte. D'abord, elle lui permet de ne pas suivre une longue procédure pour son jugement. Il ne va donc pas en principe durer entre les mains de la justice s'il reconnait les

201 Article 14 in fine du CPP

202 Article 14 alinéa 2 du CPP

faits qui lui sont reprochés en acceptant la proposition de l'amende faite à lui par le procureur.

Ensuite, la transaction peut éviter l'aggravation éventuelle de la peine applicable au prévenu. En effet, devant le procureur, le prévenu n'encourt que le paiement d'une amende. Mais devant le juge, il est possible que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur ce qui aboutirait à un jugement condamnant le prévenu à une peine d'emprisonnement, ou à des mesures de sûretés.

Par ailleurs, il convient de préciser que la transaction n'est possible qu'en matière délictuelle et contraventionnelle. Elle concerne donc les infractions de faible ou moyenne gravité. Ce qui exclut la transaction en cas de crime ou des délits sévèrement réprimés. C'est pourquoi la loi a limitativement prévu certains cas dans lesquelles la transaction est impossible203. Ces cas sont :

1° les infractions commises sur les mineurs ou les personnes incapables de se protéger ;

2° les vols commis avec les circonstances aggravantes ;

3° les infractions à la législation sur les stupéfiants, les substances psychotropes et vénéneuses ;

4° les délits commis en matière de terrorisme ;

5° les délits en matière de blanchissement des capitaux et de financement du terrorisme ;

6° les attentats aux moeurs ;

7° les évasions ;

8° les atteintes à l'ordre public et à la sûreté de l'Etat ;

9° les outrages, les offenses au Chef de l'Etat ;

10° les infractions contre la paix et la tranquillité publique ;

11° la connexité avec des infractions pour lesquelles la transaction n'est pas admise ;

12° toutes autres infractions pour lesquelles la loi n'admet pas la transaction.

La transaction vaut reconnaissance de l'infraction et éteint l'action publique. Elle est constatée par un procès-verbal contenant l'accord irrévocable des parties et signé par elles. Ce procès-verbal contient les renseignements sur l'identité des parties, le montant de l'amende et mention du paiement de celle-ci et, s'il y a lieu les saisies ou restitutions. Ces renseignements sont mentionnés sur un registre

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203 Article 13 du CPP

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tenu au parquet à cet effet204. Ensuite le procès-verbal est transmis au président du tribunal pour homologation. Le greffier en chef y appose la formule exécutoire. Il est conservé au rang des minutes et n'est susceptible d'aucune voie de recours205.

Cette analyse a permis de montrer que la transaction en matière pénale n'intervient principalement que sur l'action publique. Elle profite au prévenu qui, en réalité, a commis l'infraction en causant du tort à la victime. Mais est-ce le cas pour la victime qui est reléguée au second plan ?

B - Un traitement inadéquat de la victime

L'art. 51 al. 4 dispose que : « le procureur de la République peut, dans les cas où elle est possible, soit d'office, soit à la demande de la victime, son représentant légal ou son ayant droit, proposer la transaction au délinquant ».

L'art. 14 al. 3 prescrit que : « s'il existe une victime, le procureur de la République est tenu d'aviser celle-ci du projet de transaction et recueille ses avis et observations préalables ».

De l'économie de ces deux dispositions, il ressort que la victime peut prendre part à la transaction lorsqu'elle est à l'origine ou non de ce projet. Dans le premier cas, elle y prend part parce qu'elle propose au procureur la transaction. Dans le second cas, elle ne fait pas de proposition, ce qui veut dire que c'est le procureur qui, d'office, propose le projet au délinquant. Mais elle y prend part dans la mesure où elle peut faire des observations et émettre des avis lorsqu'elle est avisée par le procureur.

De ce point de vue, l'on ne peut dire que la victime est soumise à un traitement inadéquat. Mais, l'idée du traitement inadéquat est corroborée par le fait que le procureur de la République n'est pas lié par les avis de la victime et par le traitement qui est réservé à la victime lorsqu'elle refuse de transiger. En effet, le procureur n'est pas lié par les avis de la victime car le consentement de la victime n'est nullement requis pour la mise en oeuvre de la transaction. Ainsi, l'avis de la victime importe peu et le dernier mot revient au procureur. C'est ce qui ressort clairement de la lecture de l'art. 18 al. 1er lorsqu'il dispose en ces termes : « le

204 Article 15 du CPP

205 Article 17 du CPP

refus de transiger de la victime ne fait pas obstacle à la transaction sur l'action publique entre le procureur de la République et le délinquant ». La victime ne peut donc s'opposer à la transaction sur l'action publique même si elle peut la proposer au procureur. L'admission de la transaction pénale par le ministère public en cas de refus de la victime est désavantageuse pour la victime.

En fait, si le délinquant accepte de payer l'amende proposée par le ministère public, la transaction a lieu et cela met fin à l'action publique. Par conséquent, le dossier est classé sans suite pour cause de transaction et le délinquant est libéré automatiquement s'il était gardé provisoirement ou détenu. Cependant, la victime, après avoir perdu un puissant allié, le procureur de la République, est renvoyée à saisir les juridictions répressives pour statuer sur les intérêts civils car la transaction vaut reconnaissance de l'infraction. Nous assistons donc à un rejet de la partie civile à qui possibilité est donnée de demander au procureur la proposition de la transaction au délinquant206.

Ce renvoi occasionne le déboursement de frais supplémentaires pour la victime. En fait, la victime prendra attache avec un commissaire de justice pour saisir les juridictions répressives aux fins de statuer sur les intérêts civils conformément aux dispositions de l'art. 396 nouveau du CPP. Or, cela engendre des frais supplémentaires pour la victime et elle est laissée pour compte sans l'intervention du ministère public. Une telle procédure n'est pas à l'avantage de la victime. Nous proposons, pour éviter d'éventuelles dépenses à la victime qui souffre déjà, qu'il soit permis au procureur de la République de citer le prévenu devant la juridiction répressive de jugement. Ce jugement portera donc uniquement sur les intérêts civils.

De ce qui précède, nous avons remarqué la passivité voire la fragilisation de la victime dans la procédure de transaction sur l'action publique. De même, qu'en est-il du traitement de la victime dans la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité ?

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206 Article 51 alinéa 4 du CPP

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Paragraphe 2 : Dans la procédure de comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité (CRPC)

Contrairement à la transaction, il n'existe pas de définition légale de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Mais l'art. 522 al. 1er permet de mentionner que c'est une opération au cours de laquelle le procureur de la République propose au prévenu d'exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues. De cette mention, on voit que cette mesure est une alternative aux poursuites. Mais l'analyse des art. 521 et s. qui régissent la CRPC donne de constater que ce projet dépend des volontés du procureur de la République et du mis en cause (A) et qu'un traitement approprié n'est pas accordé à la victime dans cette opération (B).

A - Le recours à la CRPC soumis aux volontés du procureur de la
République et du mis en cause

Aux termes de l'art. 521 du CPP, « le procureur de la République peut, d'office ou à la demande du prévenu, recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité... ». On constate clairement que la mise en oeuvre de cette procédure résulte de la volonté du procureur de la République ou de la demande faite à lui par le prévenu qui plaide coupable.

La subordination du recours à cette procédure aux volontés du procureur et du mis en cause trouve justification.

En effet, la CRPC concerne l'action publique dont l'exercice relève exclusivement de la compétence du procureur de la République. Pendant cet exercice, le procureur requiert l'application de la loi et partant, de la peine. On comprend donc que la loi lui autorise, de façon exceptionnelle, de faire une telle proposition. Cela permet d'éviter l'encombrement de la justice pénale, le classement sans suite des affaires dont est saisi le parquet.

En ce qui concerne la possibilité donnée au mis en cause de demander au procureur de recourir à la procédure de « plaider coupable », il faut noter que cela tend au renforcement des droits de la défense. Aussi, c'est le prévenu qui est le destinataire voire le bénéficiaire de cette procédure. Il est donc concevable qu'il

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puisse demander au procureur de recourir à la CRPC. La mise en oeuvre de cette procédure évite au prévenu une procédure éventuellement longue.

Mais, si le procureur et le prévenu sont libres de recourir à la CRPC, leurs volontés d'y recourir doivent respecter le domaine et la procédure de cette mesure.

En effet, le recours à la CRPC n'est possible que lorsque les faits poursuivis sont constitutifs d'un délit passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans au plus et le prévenu reconnaît les avoir commis207. Dans ce cas, le procureur peut proposer au prévenu d'exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues. Lorsqu'une peine d'emprisonnement est proposée, sa durée ne peut être supérieure à un an, ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue. A l'issue de la procédure, un procès-verbal est adressé sous peine de nullité208 et le président du tribunal est saisi pour homologation.

En revanche, une catégorie de prévenus ne peuvent bénéficier de la CRPC et partant, ne peuvent demander le recours à celle-ci. En effet, l'art. 530 du CPP dispose en ces termes : « les dispositions du présent chapitre ne sont applicables : - lorsqu'un mineur est poursuivi ;

- en matière de délit de presse ;

- aux délits d'atteintes volontaires et involontaires à l'intégrité des personnes ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;

- aux délits d'agressions sexuelles ;

- aux délits poursuivis selon une procédure spéciale, non compris le flagrant délit ».

De ce qui précède, il résulte que seuls le procureur et le prévenu sont à l'origine de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La victime n'a donc pas la possibilité de demander au procureur de recourir à cette alternative. Cette exclusion laisse présager le traitement défavorable de la victime dans cette procédure.

207 Article 521 du CPP

208 Article 528 du CPP

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B - Le traitement inapproprié de la victime

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité n'accorde pas de traitement convenable à la victime. Cela est corroboré par la place réduite qu'occupe la victime dans cette procédure.

En effet, si le législateur ivoirien, dans la procédure de transaction, a permis à la victime d'être à l'origine de la procédure, d'y émettre des avis et de faire des observations, dans la procédure de CRPC, il la prive de ces possibilités. Au fait, l'accord de la victime n'est nullement exigé pour recourir au CRPC. Elle n'a donc pas la possibilité de s'opposer personnellement à sa mise en oeuvre. Pire, sa présence n'est nulle part autorisée lors de la phase de comparution de la personne poursuivie devant le chef du parquet. La victime est donc exclue de la phase pendant laquelle son présumé auteur reconnaît l'infraction dont elle souffre et pour laquelle elle cherche réparation. La présence éventuelle de la victime pourrait se solder par un certain accord entre elle et le prévenu ce qui permet de préserver ses intérêts civils. Pendant la procédure, si la victime est identifiée elle est simplement informée sans délai par tout moyen de cette procédure209. Cette information n'est pas donnée dans le but de permettre à la victime d'intervenir immédiatement dans la procédure. Son intervention se produit tardivement.

En effet, selon l'art. 527 du CPP « elle est invitée à comparaitre en même temps que l'auteur des faits, accompagnée le cas échéant de son conseil, devant le président du tribunal ou le juge délégué par lui pour se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice ». C'est donc lors de la phase de l'homologation que la victime intervient pour se constituer partie civile et demander la réparation. Or, devant le président du tribunal, on peut assister à une audience formelle et expéditive génératrice de frustrations pour la victime.210 Une telle audience est possible dans la mesure où l'homologation a lieu le même jour que le président vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique retenue pendant la procédure de CRPC211.

Par ailleurs, la non comparution de la victime à l'audience d'homologation ne constitue pas un obstacle à l'homologation car le président ou le juge délégué par

209 Article 527 du CPP

210PIGNOUX (N.), la réparation des victimes d'infractions pénales, op.cit., p. 478 in NIAMBE (K. R.), « La participation de la victime au procès pénal », thèse, Université Alassane OUATTARA de Bouake, 2020, p.478

211 Article 523 du CPP

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lui peut, au regard de l'art. 527 du CPP, statuer sur la demande. La partie civile peut faire appel de l'ordonnance conformément aux dispositions de l'art. 558-3° du CPP.

De tout ce qui précède, nous constatons que dans les procédures accélérées prévues par le législateur ivoirien, la victime est soumise à un traitement inadapté. Ce qui limite sa protection recherchée en droit ivoirien. Cette protection est davantage limitée par l'absence de procédures qui mettent en avant la réparation du dommage causé à la victime.

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