Section 1 : La passivité de la victime dans les
procédures accélérées prévues
L'état actuel de l'ossature pénale ivoirienne
permet de constater que le législateur a prévu des
procédures qui permettent l'accélération de la
résolution de certains conflits. Le but essentiel de ces
procédures accélérées est d'éviter un
procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont
reprochés. Ici, il sera question d'analyser la protection de la victime
dans ces procédures qui visiblement sont en faveur de la personne
poursuivie et en faveur du soulagement de la justice pénale. Ce constat
trouve sa justification dans le fait que la mise en oeuvre de ces alternatives
est en fonction du comportement du délinquant et de l'accord
indispensable du chef de parquet.
Ces procédures sont, en fait, des opérations qui
se passent généralement entre le procureur de la
République et le délinquant. A cet effet, la victime est souvent
dans une position passive vis-à-vis de ces mesures. La passivité
de la victime sera analysée dans les procédures
accélérées phares. Il s'agit de la procédure de
transaction sur l'action publique (Paragraphe 1) et de la procédure de
la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Dans la procédure de transaction
sur l'action publique
Le législateur ivoirien a pris le soin de
définir cette mesure alternative. En effet, l'art. 14 du CPP prescrit
que : « la transaction consiste au paiement d'une amende
proposée par le procureur de la République dans les limites de la
peine d'amende prévue par la loi pour l'infraction constatée et
acceptée par le délinquant200. De cette
définition législative, il apparaît clairement que la
transaction sur l'action publique est une opération entre le chef du
parquet et le mis en cause (A). Toutefois certains articles suivant l'art. 14
du CPP définissent
200 L'appellation « délinquant » nous parait
inadéquate. Car le mis en cause, jusqu'à la reconnaissance des
faits qui lui sont reprochés ou à l'acceptation de la
transaction, jouit du principe de la présomption d'innocence. Il serait
donc approprié que le législateur emploie les expressions «
présumé délinquant » ou « mis en cause
».
65
le traitement qui est réservé à la
victime. Mais ce traitement nous parait inadéquat à certains
égards (B).
A - Une opération entre le procureur de la
République et le mis en cause
Au regard de l'art. 14 du CPP, c'est le procureur de la
République qui propose le paiement d'une amende au délinquant.
Cette opération ne serait mise en oeuvre qu'avec l'accord du
délinquant qui doit expressément accepter la proposition du
ministère public.
La subordination de la mise en oeuvre de la transaction
à la proposition du procureur et à l'acceptation de celle-ci par
le délinquant peut se justifier. En effet, ici, la transaction concerne
l'action publique dont l'exercice relève exclusivement de la
compétence du procureur de la République. Pendant cet exercice,
le procureur requiert l'application de la loi et partant, de la peine. On
comprend donc que la loi lui autorise de faire une telle proposition.
Par ailleurs, il faut souligner que le procureur de la
République a en principe l'exercice de l'action publique et non la
disposition de celle-ci. La disposition de l'action publique appartient
à la société. Partant de ce constat, le procureur de la
République ne peut donc pas transiger car la transaction constitue un
acte de disposition dans la mesure où elle éteint l'action
publique201. C'est donc de façon exceptionnelle que cette
possibilité est offerte au chef du parquet. Cette exception peut se
justifier par le souci d'accélération et d'efficacité du
procès, et de désengorgement des juridictions de jugement, mais
aussi et surtout par le souci d'éviter ou d'augmenter les cas de
classement sans suite.
En ce qui concerne l'accord indispensable du
délinquant, qui peut se faire assister d'un conseil pendant la
procédure202, la justification se trouve dans le fait qu'il
est le bénéficiaire de la transaction et la partie contre qui le
procureur requiert l'application de la peine. La procédure ne serait
donc possible sans son accord.
Cette procédure est donc avantageuse pour le
délinquant qui l'accepte. D'abord, elle lui permet de ne pas suivre une
longue procédure pour son jugement. Il ne va donc pas en principe durer
entre les mains de la justice s'il reconnait les
201 Article 14 in fine du CPP
202 Article 14 alinéa 2 du CPP
faits qui lui sont reprochés en acceptant la
proposition de l'amende faite à lui par le procureur.
Ensuite, la transaction peut éviter l'aggravation
éventuelle de la peine applicable au prévenu. En effet, devant le
procureur, le prévenu n'encourt que le paiement d'une amende. Mais
devant le juge, il est possible que la loi soit appliquée dans toute sa
rigueur ce qui aboutirait à un jugement condamnant le prévenu
à une peine d'emprisonnement, ou à des mesures de
sûretés.
Par ailleurs, il convient de préciser que la
transaction n'est possible qu'en matière délictuelle et
contraventionnelle. Elle concerne donc les infractions de faible ou moyenne
gravité. Ce qui exclut la transaction en cas de crime ou des
délits sévèrement réprimés. C'est pourquoi
la loi a limitativement prévu certains cas dans lesquelles la
transaction est impossible203. Ces cas sont :
1° les infractions commises sur les mineurs ou les
personnes incapables de se protéger ;
2° les vols commis avec les circonstances aggravantes ;
3° les infractions à la législation sur les
stupéfiants, les substances psychotropes et vénéneuses
;
4° les délits commis en matière de terrorisme
;
5° les délits en matière de blanchissement
des capitaux et de financement du terrorisme ;
6° les attentats aux moeurs ;
7° les évasions ;
8° les atteintes à l'ordre public et à la
sûreté de l'Etat ;
9° les outrages, les offenses au Chef de l'Etat ;
10° les infractions contre la paix et la tranquillité
publique ;
11° la connexité avec des infractions pour
lesquelles la transaction n'est pas admise ;
12° toutes autres infractions pour lesquelles la loi
n'admet pas la transaction.
La transaction vaut reconnaissance de l'infraction et
éteint l'action publique. Elle est constatée par un
procès-verbal contenant l'accord irrévocable des parties et
signé par elles. Ce procès-verbal contient les renseignements sur
l'identité des parties, le montant de l'amende et mention du paiement de
celle-ci et, s'il y a lieu les saisies ou restitutions. Ces renseignements sont
mentionnés sur un registre
66
203 Article 13 du CPP
67
tenu au parquet à cet effet204. Ensuite le
procès-verbal est transmis au président du tribunal pour
homologation. Le greffier en chef y appose la formule exécutoire. Il est
conservé au rang des minutes et n'est susceptible d'aucune voie de
recours205.
Cette analyse a permis de montrer que la transaction en
matière pénale n'intervient principalement que sur l'action
publique. Elle profite au prévenu qui, en réalité, a
commis l'infraction en causant du tort à la victime. Mais est-ce le cas
pour la victime qui est reléguée au second plan ?
B - Un traitement inadéquat de la
victime
L'art. 51 al. 4 dispose que : « le procureur de la
République peut, dans les cas où elle est possible, soit
d'office, soit à la demande de la victime, son
représentant légal ou son ayant droit, proposer la transaction au
délinquant ».
L'art. 14 al. 3 prescrit que : « s'il existe une
victime, le procureur de la République est tenu d'aviser celle-ci du
projet de transaction et recueille ses avis et observations préalables
».
De l'économie de ces deux dispositions, il ressort que
la victime peut prendre part à la transaction lorsqu'elle est à
l'origine ou non de ce projet. Dans le premier cas, elle y prend part parce
qu'elle propose au procureur la transaction. Dans le second cas, elle ne fait
pas de proposition, ce qui veut dire que c'est le procureur qui, d'office,
propose le projet au délinquant. Mais elle y prend part dans la mesure
où elle peut faire des observations et émettre des avis
lorsqu'elle est avisée par le procureur.
De ce point de vue, l'on ne peut dire que la victime est
soumise à un traitement inadéquat. Mais, l'idée du
traitement inadéquat est corroborée par le fait que le procureur
de la République n'est pas lié par les avis de la victime et par
le traitement qui est réservé à la victime lorsqu'elle
refuse de transiger. En effet, le procureur n'est pas lié par les avis
de la victime car le consentement de la victime n'est nullement requis pour la
mise en oeuvre de la transaction. Ainsi, l'avis de la victime importe peu et le
dernier mot revient au procureur. C'est ce qui ressort clairement de la lecture
de l'art. 18 al. 1er lorsqu'il dispose en ces termes : «
le
204 Article 15 du CPP
205 Article 17 du CPP
refus de transiger de la victime ne fait pas obstacle
à la transaction sur l'action publique entre le procureur de la
République et le délinquant ». La victime ne peut donc
s'opposer à la transaction sur l'action publique même si elle peut
la proposer au procureur. L'admission de la transaction pénale par le
ministère public en cas de refus de la victime est désavantageuse
pour la victime.
En fait, si le délinquant accepte de payer l'amende
proposée par le ministère public, la transaction a lieu et cela
met fin à l'action publique. Par conséquent, le dossier est
classé sans suite pour cause de transaction et le délinquant est
libéré automatiquement s'il était gardé
provisoirement ou détenu. Cependant, la victime, après avoir
perdu un puissant allié, le procureur de la République, est
renvoyée à saisir les juridictions répressives pour
statuer sur les intérêts civils car la transaction vaut
reconnaissance de l'infraction. Nous assistons donc à un rejet de la
partie civile à qui possibilité est donnée de demander au
procureur la proposition de la transaction au
délinquant206.
Ce renvoi occasionne le déboursement de frais
supplémentaires pour la victime. En fait, la victime prendra attache
avec un commissaire de justice pour saisir les juridictions répressives
aux fins de statuer sur les intérêts civils conformément
aux dispositions de l'art. 396 nouveau du CPP. Or, cela engendre des frais
supplémentaires pour la victime et elle est laissée pour compte
sans l'intervention du ministère public. Une telle procédure
n'est pas à l'avantage de la victime. Nous proposons, pour éviter
d'éventuelles dépenses à la victime qui souffre
déjà, qu'il soit permis au procureur de la République de
citer le prévenu devant la juridiction répressive de jugement. Ce
jugement portera donc uniquement sur les intérêts civils.
De ce qui précède, nous avons remarqué la
passivité voire la fragilisation de la victime dans la procédure
de transaction sur l'action publique. De même, qu'en est-il du traitement
de la victime dans la procédure de comparution sur reconnaissance de
culpabilité ?
68
206 Article 51 alinéa 4 du CPP
69
Paragraphe 2 : Dans la procédure de comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)
Contrairement à la transaction, il n'existe pas de
définition légale de la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité. Mais l'art. 522 al. 1er permet de
mentionner que c'est une opération au cours de laquelle le procureur de
la République propose au prévenu d'exécuter une ou
plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues. De cette
mention, on voit que cette mesure est une alternative aux poursuites. Mais
l'analyse des art. 521 et s. qui régissent la CRPC donne de constater
que ce projet dépend des volontés du procureur de la
République et du mis en cause (A) et qu'un traitement approprié
n'est pas accordé à la victime dans cette opération
(B).
A - Le recours à la CRPC soumis aux
volontés du procureur de la République et du mis en
cause
Aux termes de l'art. 521 du CPP, « le procureur de la
République peut, d'office ou à la demande du prévenu,
recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité... ». On constate clairement
que la mise en oeuvre de cette procédure résulte de la
volonté du procureur de la République ou de la demande faite
à lui par le prévenu qui plaide coupable.
La subordination du recours à cette procédure
aux volontés du procureur et du mis en cause trouve justification.
En effet, la CRPC concerne l'action publique dont l'exercice
relève exclusivement de la compétence du procureur de la
République. Pendant cet exercice, le procureur requiert l'application de
la loi et partant, de la peine. On comprend donc que la loi lui autorise, de
façon exceptionnelle, de faire une telle proposition. Cela permet
d'éviter l'encombrement de la justice pénale, le classement sans
suite des affaires dont est saisi le parquet.
En ce qui concerne la possibilité donnée au mis
en cause de demander au procureur de recourir à la procédure de
« plaider coupable », il faut noter que cela tend au renforcement des
droits de la défense. Aussi, c'est le prévenu qui est le
destinataire voire le bénéficiaire de cette procédure. Il
est donc concevable qu'il
70
puisse demander au procureur de recourir à la CRPC. La
mise en oeuvre de cette procédure évite au prévenu une
procédure éventuellement longue.
Mais, si le procureur et le prévenu sont libres de
recourir à la CRPC, leurs volontés d'y recourir doivent respecter
le domaine et la procédure de cette mesure.
En effet, le recours à la CRPC n'est possible que
lorsque les faits poursuivis sont constitutifs d'un délit passible d'une
peine d'emprisonnement de cinq ans au plus et le prévenu reconnaît
les avoir commis207. Dans ce cas, le procureur peut proposer au
prévenu d'exécuter une ou plusieurs des peines principales ou
complémentaires encourues. Lorsqu'une peine d'emprisonnement est
proposée, sa durée ne peut être supérieure à
un an, ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement
encourue. A l'issue de la procédure, un procès-verbal est
adressé sous peine de nullité208 et le
président du tribunal est saisi pour homologation.
En revanche, une catégorie de prévenus ne
peuvent bénéficier de la CRPC et partant, ne peuvent demander le
recours à celle-ci. En effet, l'art. 530 du CPP dispose en ces termes :
« les dispositions du présent chapitre ne sont applicables :
- lorsqu'un mineur est poursuivi ;
- en matière de délit de presse ;
- aux délits d'atteintes volontaires et
involontaires à l'intégrité des personnes ayant
entraîné une mutilation ou une infirmité permanente
;
- aux délits d'agressions sexuelles ;
- aux délits poursuivis selon une procédure
spéciale, non compris le flagrant délit ».
De ce qui précède, il résulte que seuls
le procureur et le prévenu sont à l'origine de la
procédure de comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité. La victime n'a donc pas la possibilité de demander
au procureur de recourir à cette alternative. Cette exclusion laisse
présager le traitement défavorable de la victime dans cette
procédure.
207 Article 521 du CPP
208 Article 528 du CPP
71
B - Le traitement inapproprié de la
victime
La procédure de comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité n'accorde pas de traitement convenable
à la victime. Cela est corroboré par la place réduite
qu'occupe la victime dans cette procédure.
En effet, si le législateur ivoirien, dans la
procédure de transaction, a permis à la victime d'être
à l'origine de la procédure, d'y émettre des avis et de
faire des observations, dans la procédure de CRPC, il la prive de ces
possibilités. Au fait, l'accord de la victime n'est nullement
exigé pour recourir au CRPC. Elle n'a donc pas la possibilité de
s'opposer personnellement à sa mise en oeuvre. Pire, sa présence
n'est nulle part autorisée lors de la phase de comparution de la
personne poursuivie devant le chef du parquet. La victime est donc exclue de la
phase pendant laquelle son présumé auteur reconnaît
l'infraction dont elle souffre et pour laquelle elle cherche réparation.
La présence éventuelle de la victime pourrait se solder par un
certain accord entre elle et le prévenu ce qui permet de
préserver ses intérêts civils. Pendant la procédure,
si la victime est identifiée elle est simplement informée sans
délai par tout moyen de cette procédure209. Cette
information n'est pas donnée dans le but de permettre à la
victime d'intervenir immédiatement dans la procédure. Son
intervention se produit tardivement.
En effet, selon l'art. 527 du CPP « elle est
invitée à comparaitre en même temps que l'auteur des faits,
accompagnée le cas échéant de son conseil, devant le
président du tribunal ou le juge délégué par lui
pour se constituer partie civile et demander réparation de son
préjudice ». C'est donc lors de la phase de l'homologation que
la victime intervient pour se constituer partie civile et demander la
réparation. Or, devant le président du tribunal, on peut assister
à une audience formelle et expéditive génératrice
de frustrations pour la victime.210 Une telle audience est possible
dans la mesure où l'homologation a lieu le même jour que le
président vérifie la réalité des faits et leur
qualification juridique retenue pendant la procédure de
CRPC211.
Par ailleurs, la non comparution de la victime à
l'audience d'homologation ne constitue pas un obstacle à l'homologation
car le président ou le juge délégué par
209 Article 527 du CPP
210PIGNOUX (N.), la réparation des
victimes d'infractions pénales, op.cit., p. 478 in NIAMBE (K. R.),
« La participation de la victime au procès pénal
», thèse, Université Alassane OUATTARA de Bouake, 2020,
p.478
211 Article 523 du CPP
72
lui peut, au regard de l'art. 527 du CPP, statuer sur la
demande. La partie civile peut faire appel de l'ordonnance conformément
aux dispositions de l'art. 558-3° du CPP.
De tout ce qui précède, nous constatons que dans
les procédures accélérées prévues par le
législateur ivoirien, la victime est soumise à un traitement
inadapté. Ce qui limite sa protection recherchée en droit
ivoirien. Cette protection est davantage limitée par l'absence de
procédures qui mettent en avant la réparation du dommage
causé à la victime.
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