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Nomination des bourgmestres des communes de la ville de Kinshasa en novembre 2022. Une entorse à  la loi?


par Roberto MOLELE MOSIMBI
Université de Mazenod - Licence (LMD) 2024
  

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1.1.2.2. Autorité compétente

Ici on fait allusion à l'organisme ou instance chargé de nommer les bourgmestres. En République démocratique du Congo, c'est le Président de la République qui est l'instance chargée de nommer les bourgmestres. Les bourgmestres sont les chefs des communes et sont responsables de l'administration locale et de la gestion des affaires publiques au niveau communal.

En République démocratique du Congo, le système de nomination des bourgmestres par le président de la République peut parfois être source de controverses et de tensions politiques. Certains dénoncent une centralisation excessive du pouvoir et un manque d'indépendance des autorités locales, tandis que d'autres estiment que la nomination des bourgmestres par le chef de l'État permet de garantir une certaine cohérence et coordination au niveau national.

1.1.2.3. Pouvoirs du bourgmestre

On fait référence aux responsabilités et compétences attribuées au chef de l'administration communale. L'article 60 de la loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les Provinces dispose ce qui suit :

« Le Bourgmestre est l'autorité de la commune. Il est le Chef du Collège exécutif communal. A ce titre :

· Il assure la responsabilité de la bonne marche de l'administration de sa juridiction ;

· Il est officier de police judiciaire à compétence générale ;

· Il est officier de l'état civil ;

· Il est ordonnateur principal du budget de la commune ;

· Il représente la commune en justice et vis-à-vis des tiers ;

· Il exécute et fait exécuter les lois, les édits, et les règlements nationaux et provinciaux ainsi que les décisions et les règlements urbains et communaux ;

· Il assure le maintien de l'ordre public dans sa juridiction.

A cette fin, il dispose des unités de la Police nationale y affectée. D'après la disposition de l'article 60 de la loi précitée, je pourrais définir le bourgmestre comme étant le dirigeant ou l'autorité de la commune en République démocratique du Congo car il dirige ou est le chef du conseil exécutif communal ce qui veut dire qu'il assure la bonne gouvernance de la juridiction qui lui est soumise, qu'il est l'ordonnateur principale du budget alloué à la commune qui est sous sa tutelle, qu'il répond aux accusations portées contre la commune à sa charge devant les Cours et Tribunaux, qu'il met en pratique et fait mettre en pratique toutes les lois ainsi que les actes ayant force de loi et enfin qu'il veille au maintien de l'ordre public dans la juridiction qui est sous sa tutelle9(*).

1.1.3. Commune

Au Moyen Âge, le terme « Commune » désignait les villes auxquelles sont accordées un ensemble de franchises politiques, juridiques et civiles par leurs seigneurs. Les communes ont pris un développement particulier dans les Flandres où leur pouvoir est symbolisé par les beffrois qui conservent les chartes communales, elles deviennent parfois de véritables cité-états indépendantes et puissantes aux mains des oligarchies locales comme à Bruges, Gand, Tournai, Ypres, Arras entre autres. Certaines communes s'assemblèrent selon des intérêts communs.Ce fut notamment le cas de la Ligue Hanséatique qui groupait un grand nombre de communes commerçantes germaniques, comme Lübeck, Cologne, Dantzig, qui ont dominé économiquement et militairement toute la mer du Nord et la mer Baltique durant plusieurs siècles10(*).

Dans certains pays, une commune est une circonscription territoriale pouvant correspondre à une ville, à un bourg avec ses villages et hameaux ou à un groupe de villages. Dans la plupart des cas, la commune constitue la plus petite subdivision administrative. Elle est souvent dirigée par un maire ou bourgmestre11(*).

Selon Alexis De TOCQUEVILLE, la commune est définie comme une association qui soit si bon dans la nature, et qu'en tous endroits où l'on trouve des hommes qui vivent ensemble, il se forme une commune de soi-même.12(*)

Guy MELLERAY lui, dit que la commune est une cellule de base qui offre l'avantage d'être immédiatement vécue par les citoyens, une communauté naturelle ou une solidarité de fait13(*).

Le décret-loi N° 081 du 2 juillet 1998 portant Organisation territoriale et administrative de la République Démocratique du Congo tel que modifié et complété par le décret-loi N° 018/2001 du 28 septembre 2001en son 104e article définit la commune comme étant une entité administrative décentralisée qui est dotée de la personnalité juridique. Elle est une subdivision de la ville et elle se subdivise en quartier et/ou en groupements incorporés14(*).

La loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées etleursrapports avec l'Etat et les Provinces définit la commune, au 1er alinéa de son 46e article, comme :

· Tout chef-lieu de territoire ;

· Toute subdivision de la ville ou toute agglomération ayant une population d'au moins 20.000 habitants à laquelle un décret du Premier ministre aura conféré le statut de commune15(*).

Dans le cadre de notre production scientifique, la commune est une division administrative et territoriale de base, dirigée par un Conseil municipal ou un bourgmestre, chargée de l'administration et de la gestion des affaires publiques au niveau local. Elle a des compétences propres en matière d'urbanisme, de services publics locaux, d'éducation, de culture, etc. La commune est un acteur essentiel de la vie quotidienne des citoyens et un lieu de débat et de participation citoyenne.

1.1.4. Ville

Le terme « Ville16(*) » vient du latin « villa » qui signifie maison de campagne, propriété rurale qui prit dès les Vème?-?VIème siècles le sens de « groupe de maisons adossées à la villa », c'est-à-dire à peu près « village », puis regroupement plus important de population.

La ville est à la fois un milieu physique et humain où se concentre une population qui organise son espace en fonction du site et de son environnement, en fonction de ses besoins et de ses activités propres et aussi de contingences notamment socio-politiques. En tant qu'un milieu complexe qui ne peut cependant pas se résumer à une approche physique, car l'espace urbain est aussi la traduction spatiale de l'organisation dans l'espace et dans le temps des hommes et de leurs activités dans un contexte donné.

Ce contexte est autant physique, économique, que politique, social ou culturel. L'approche de la ville ne peut être que diachronique et l'histoire des villes, de chaque ville ou agglomération reste un élément d'analyse essentiel. La ville peut être comparée avec un écosystème qui interagit en permanence comme un milieu avec ses hôtes. Les principes qui régissent la structure et l'organisation de la ville sont étudiés par la sociologie urbaine, l'urbanisme ou encore l'économie urbaine.

Les premières villes importantes connues apparaissent à la fin du Néolithique, avec la culture de Cucuteni-Trypillia à partir de la fin du Ve millénaire av. J.-C., en Ukraine, Roumanie et Moldavie ; ces villes pouvaient atteindre plus de 15 000 habitants et s'étendre sur plusieurs kilomètres carrés, elles étaient très planifiées et organisées en plans elliptiques et concentriques17(*).

De grandes villes apparaissent ensuite entre 3500 et 1500 av. J.-C. dans les régions fertiles et limoneuses de Mésopotamie comprises entre le Tigre et l'Euphrate, aujourd'hui l'Irak, notamment avec la ville d'Uruk, le premier grand centre urbain du Proche-Orient ancien, puis en Syrie, en Égypte, dans les vallées du Nil et du Jourdain, et les vallées de l'Indus et du Yangzi Jiang18(*).

La ville est ainsi pensée en termes d'une culture « urbaine », mais aussi d'espace habité « citadin »19(*). La ville est un milieu complexe qui ne peut pas se résumer qu'à une approche physique.L'espace urbain peut aussi transformer l'organisation des hommes et de leurs activités dans l'espace et dans le temps, dans un contexte donné.

Dans la littérature scientifique et même profane, la ville est conçue de plusieurs manières découlant des facteurs idéologiques. Ces considérations sont prises en compte par différents auteurs20(*).

Ainsi, dans la conception d'Ecole de Chicago, la ville est un groupement humain, une agglomération permanente, habitée par une population d'une grande densité, avec un degré élevé d'hétérogénéité, etc. Dans cette optique, la ville devient un facteur explicatif de divers phénomènes sociaux observés. L'approche de l'Ecole de Chicago est culturaliste, car elle saisit la ville comme une culture, un mode de vie ayant une spécificité.

Selon l'approche historique de la ville, la ville est un produit de l'histoire d'une société humaine, produit apparaissant lorsque certaines conditions sont réunies. Cette nouvelle forme d'organisation humaine voit le jour à la suite d'une action de l'homme sur son environnement. Cette conception dynamique de la ville pose le problème de l'origine de la ville et non celui de son essence, de ce qu'elle est, de la façon dont elle s'organise et fonctionne.

Par ailleurs, l'approche écologiqueconsidère la villeavant tout comme un milieu habité, façonné d'une certaine manière. Ainsi comprise, la ville devient la résultante d'une action réciproque du facteur « homme » (ou la population), qui, en tant qu'agent, metteur en scène, penseur, agit sur l'environnement, celui-ci subit de l'homme.

L'environnement constitue la base matérielle de l'action de l'homme. Elle est aussi une action du facteur technologique : celle-ci est au départ une production de l'homme, son usage permet à l'homme une certaine production dans différents domaines de son activité. conçue par l'homme, la technologie se répercute ainsi sur la production économique, l'organisation sociale et sur la pensée de l'homme21(*).

La naissance des agglomérations urbaines ainsi que l'urbanisation sont essentiellement présentées comme des phénomènes sociaux. Et la ville se veut être une transposition des rapports sociaux. Elle est en somme un cadre matériel et socioculturel.

Dans ce contexte, la ville qui est conçue comme un contenant et un contenu est considérée comme l'urbain dont nous avons parlé plus haut. Mieux encore, la ville est l'enveloppe et la lettre qui constituent l'urbain. De notre part, nous considérons la ville comme une entité physique polarisée, comprenant une population d'au moins 20.000 habitants, lesquels s'exercent pour leur survie à une multiplicité d'activités et partagent une dynamique culturelle déterminée.

En République Démocratique du Congo, l'appellation de la ville est reconnue aux chefs lieu des provinces, à toute agglomération jugée stratégique et érigée en ville par une ordonnance ou un décret présidentiel22(*).

1.1.4.1. Fonctions des villes

Si les hommes se sont regroupés, c'est pour mieux exercer certaines formes d'activités. Ces activités constituent la fonction de la ville. La fonction, c'est en quelque sorte la profession exercée par la ville, c'est sa raison d'être.

Nous retiendrons comme fonction de la ville les activités qui justifient son existence et son développement et apportent les ressources nécessaires à sa survie. La fonction originelle de la ville est d'abord économique. En effet, les fonctions des villes sont diverses. Selon les pays, il existe des villes essentiellement administratives et d'autres essentiellement commerciales ou industrielles.

I.1.4.2. Typologie des villes

Du point de vue de la typologie, nous avons retenu avec Tshienke23(*) :

1. La ville-marché, commercial ou la ville portuaire dont la fonction commerciale domine les autres fonctions ;

2. La ville forteresse ou la ville militaire dont la fonction défensive est la plus importante ;

3. La ville industrielle ou la ville manufacturière (ville minière), dont la fonction industrielle est la plus importante ;

4. La ville religieuse ou la ville pèlerinage dont la fonction religieuse est la plus importante ;

5. La ville intellectuelle ou la ville universitaire (ville éducative) dont la fonction intellectuelle (universitaire) domine toutes les autres ;

6. La ville chef-lieu ou la ville administrative : La fonction administrative domine toutes les autres. Parfois, la ville chef-lieu joue également le rôle de la ville-capitale : siège des institutions politico administratives du pays. La ville chef-lieu est aussi appelée métropole ;

7. La ville satellite ou la ville relais est créée pour raccourcir la distance avec d'autres villes ou pour servir de relais ;

8. La ville nouvelle est créée pour décongestionner l'ancienne ville devenue incapable de contenir toute sa population ou tous ses services, etc.

Il faut retenir que de nos jours, il est difficile de trouver une ville qui ne remplit qu'une seule fonction. Généralement, toutes ces fonctions, ou du moins la plupart d'entre elles, se retrouvent dans la vie d'une ville ; c'est pourquoi on dit des villes qu'elles sont devenues cosmopolites, c'est-à-dire qu' elles remplissent plusieurs fonctions à la fois.Néanmoins une, deux ou trois fonctions dominent les autres et définissent le statut ou l'identité réelle de la ville.

Par rapport à notre étude, nous disons que la Ville-Province de Kinshasa, est une ville cosmopolite, parce qu'elle est à la fois une ville chef-lieu de la province de Kinshasa, capitale du pays et siège des institutions politiques, ville marché, industrielle et universitaire du pays.

Après avoir épuisé des concepts théoriques, nous nous faisons le devoir d'explorer les concepts opératoires.

1.2. Concepts opératoires

S'agissant de ce point, il convient de noter que trois concepts ont été mis en exergue et clarifiés. Il s'agit des concepts suivants : Etat, démocratie et bonne gouvernance.

1.2.1. Entorse

Etymologiquement, le terme « entorse » vient du latin « intorquere » qui veut dire en français ancien « entordre » devenu actuellement « tordre » ou « entorser ». C'est un concept polysémique qui veut dire :

1. Lésion traumatique d'une articulation résultant de sa distorsion brutale, avec étirement (entorse bénigne ou foulure) ou rupture (entorse grave) des ligaments. (En médecine) ;

2. Atteinte portée à quelque chose ; manquement (par exemple entorse au règlement)24(*). (En droit).

Quant à nous le terme entorse fait référence à une violation des règles, des principes ou des normes établis dans le cadre de l'exercice du pouvoir et de la gestion des affaires publiques. Il s'agit d'une atteinte à l'intégrité du système politique ou administratif, souvent commise de manière délibérée ou involontaire, et pouvant avoir des conséquences néfastes sur le bon fonctionnement des institutions et sur la légitimité des décisions prises.

1.2.2. Loi

En droit, la loi (du latin lex, legis, qui signifie loi, acte normatif) est une règle juridique. La notion de loi se définit par rapport au contrat et au traité (qui résultent d'une négociation entre égaux (sur le plan du droit)) mais aussi par rapport à d'autres sources de droit telles que la tradition (us et coutumes), la jurisprudence, les lois fondamentales (Constitution, « grande charte », etc.), et les règlements et autres actes écrits du pouvoir exécutif. La loi est l'oeuvre du pouvoir législatif, souvent incarné par un parlement représentant du peuple.

Dans les pays qui ont gardé des formes de démocratie directe, la loi peut être votée par l'ensemble des citoyens. La loi, dans son sens le plus large, correspond à une norme juridique ; quelle qu'en soit sa nature25(*).

La loi (ou législation) est le commandement volontaire d'une autorité. En droit, le terme loi a plusieurs sens, dont celui de source d'une norme juridique et d'acte réglementaire. Le droit juridique est « autoritaire », puisqu'il est édicté par un sujet généralement et valablement habilité à le faire (élément qui s'applique également, par exemple, à un dictateur, qui a une légitimité de fait). La loi juridique est « sanctionnante », prévoyant la production des conséquences pour la réalisation du cas d'espèce concret. A entendre aussi, et peut-être plus fréquent, au contraire, pour le cas d'inobservation de la prescription selon un schéma "précepte-sanction", : si "A" (précepte) se produit, "B" (sanction) se produit.

Le terme « Droit » est utilisé en droit avec une multiplicité de sens. Il peut, en effet, désigner : la règle de droit, l'acte réglementaire (loi au sens matériel), l'acte légal par lequel le pouvoir législatif exerce sa fonction (loi au sens formel), l'ensemble des normes juridiques qui constituent l'ordre juridique, c'est-à-dire le droit objectif.

Parmi ces significations, les deux premières et la dernière peuvent également se référer à des systèmes juridiques autres que l'Etat ; tandis que la troisième se réfère uniquement aux systèmes étatiques et, plus précisément, aux Etats dans lesquels le principe de la séparation des pouvoirs est en vigueur et où il y a un pouvoir législatif séparé d'autres pouvoirs dans un Etat de droit26(*).

En ce qui nous concerne, la loi est une règle ou un principe établi par les autorités compétentes afin de régir les comportements et les interactions au sein d'une société. Les lois sont généralement élaborées par le législateur, qui estl'organe désigné pour établir des normes juridiques contraignantes. Ces règles sont essentielles pour maintenir l'ordre social, protéger les droits des individus, et réguler les relations entre les citoyens et les entités gouvernementales.

1.2.3. Etat

Le concept « Etat » vient du latin status, dérivé du verbe stare qui signifie au premier sens « se tenir debout », et au sens figuré « la position »27(*). Le mot « Etat » apparaît dans les langues européennes dans son acception moderne aux alentours des XVe et XVIe siècles. Au XVIIIe siècle, l'Etat désigne également la condition d'une personne, son « état civil ». Le mot vient du latin statusreipublicae (traduit littéralement par « Etat de la chose publique ») qui signifie « la forme de gouvernement »28(*).

L'Etat est l'organisation d'une communauté historique, elle-même définie par ses traditions et sa morale vivante en institutions solidaires qui lui permettent d'agir, c'est-à-dire de prendre conscience des problèmes qui se posent à elle, d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions propres à résoudre ses problèmes. Au nombre de ces institutions, figurent le gouvernement, le parlement, le système judiciaire, mais aussi le peuple. Le peuple, politiquement actif est en effet distinct de la population ; il est institué par la loi fixant par exemple l'âge de la majorité légale.

Ainsi, l'Etat devient la superstructure d'une réalité plus fondamentale, plus vraie et plus essentielle ; la forme extérieure d'un « esprit » qu'il suffit de saisir dans le butde comprendre l'Etat comme un épiphénomène29(*). L'Etat n'existe pas en lui seul ni par lui-même. Il est l'organisation d'une communauté historique et d'une société particulière, et celle-ci lui en possède (puisqu'elle se l'est donnée dans son histoire) la possibilité de décisions, de la réflexion pratique et de l'action consciente. Ainsi, il ne peut lui être assigné d'autres buts que celui de durer en tant qu'organisation consciente.

L'Etat comme organisation informe donc l'ensemble de la communauté. Il est la forme de la communauté agissante. Quant à la finalité de son action, elle est d'abord de permettre à la communauté historique de se perpétuer comme telle. Cette finalité détermine deux objectifs politiques majeurs à savoir : l'indépendance et l'unité de cette communauté. Ces deux objectifs politiques font une nécessité à l'homme d'Etat de concilier, dans une situation toujours particulière et changeante, les impératifs de la justice et ceux de l'efficacité. Ce problème fondamental est celui de tout gouvernement dans un Etat moderne : les impératifs de l'efficacité commandent à la communauté de s'adapter à un monde en perpétuelle évolution sur le plan des techniques de production et d'organisation du travail social30(*).

Éric WEIL ne perd pas de vue la dimension selon laquelle l'Etat moderne est caractérisé par l'emploi de la violence. En tant qu'organisation politique de la communauté, l'Etat apparaît comme un appareil de contrainte, un instrument d'oppression par rapport à l'individu et à tout groupe pour autant que ceux-ci refusent de se soumettre à la raison qui, sur ce plan, n'est rien d'autre que l'intérêt de la communauté dans sa totalité vivante. Les éléments tels que la police, le percepteur d'impôts, l'administration, le conseil de guerre, éléments sur lesquels il s'appuie pour rendre effectif l'usage de la violence, sont là pour rafraîchir la mémoire de ceux qui, sur ce point, se seraient portés à la distraction31(*).

Mais l'Etat moderne n'est pas simplement caractérisé par la violence ; il est aussi un Etat de droit, ce qu'Eric WEIL lui-même appelle Rechtsstaat. Il s'agit là de l'Etat qui voit l'essentiel non dans le monopole de la violence, mais dans le fait que son action, de même que celle de tout citoyen, est réglée par les lois. L'Etat ne peut pas faire usage de la violence n'importe comment, n'importe où et n'importe quand. Il le fait selon les circonstances déterminées par la loi prenons les cas de trouble à l'ordre public ou de menace extérieure provenant d'un Etat voisin. Il est le lieu de la raison32(*).

Ce qui constitue l'Etat moderne, selon Éric WEIL, c'est que, d'une part le fait que la loi soit formelle et universelle (c'est-à-dire qu'elle s'applique à tous sans exception), et d'autre part, le fait que, pour la délibération et la décision, le gouvernement, organe exécutif de l'Etat, s'appuie sur l'administration. C'est le gouvernement qui, dans l'Etat moderne, forme le seul ressort de l'action. C'est lui seul qui parle au nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur33(*).

De ce qui précède, il ressort que l'Etat peut se définir comme une entité politique, administrative et juridique. L'Etat est le produit d'une rationalisation croissante de la vie politique. C'est une communauté d'hommes régie par les mêmes lois et vivant sous une même autorité politique et administrative devant défendre les intérêts matériels et moraux conformément aux lois et aux normes réglementant la Cité. L'Etat est caractérisé par l'occupation permanente d'un territoire donné, le monopole de la législation pour l'espace et la concentration du pouvoir de décision entre les mains d'un petit nombre.

Max WEBER, dans son oeuvre intitulée« Économie et société » entend par « Etat » une entreprise politique à caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné. Donc, pour Weber, une entreprise politique à caractère institutionnel ne peut être un Etat que pour autant que sa structure administrative réussit à être la seule, directement ou par délégation (délégation de service public, externalisation), à faire respecter les lois à travers l'armée, la justice et la police. Dans le cadre de la sociologie de WEBER, la souveraineté résulte de la capacité de l'Etat à travers son appareil administratif à s'emparer du monopole de la violence physique et symbolique34(*).

Selon David GRAEBER et David WENGROW, c'est le philosophe et juriste allemand Rudolf VON JHERING qui a, en premier lieu, proposé une définition de l'Etat reposant sur la notion de « monopole de l'usage légitime de la force physique sur un périmètre donné », à la fin du XIXe siècle35(*).

Certains courants de la sociologie politique insistent sur le fait que l'Etat dispose également d'une capacité à exercer une violence symbolique sur ses citoyens, ce que Pierre Bourdieu a appelé la « magie d'Etat ». Cette notion renvoie à la capacité de l'Etat de catégoriser ses citoyens, grâce à un nom au travers de l'Etat civil ou un numéro d'immatriculation (comme le numéro de sécurité sociale en France), ou par ses Tribunaux en les déclarant coupables ou innocents.

Pour qu'un Etat soit reconnu internationalement (selon les termes de la convention de Montevideo), quatre caractéristiques constitutives doivent être constatées de manière évidente36(*) :

· L'existence d'un territoire délimité et déterminé ;

· L'existence d'une population résidante sur ce territoire ;

· L'existence d'une forme minimale de gouvernement ;

· La capacité d'entrer en relation avec d'autres Etats.

a. Territoire délimité et déterminé

C'est une condition indispensable pour que l'autorité politique s'exerce efficacement. Maurice HAURIOU déclare à ce sujet : « l'Etat est une corporation à base territoriale. » L'assise territoriale implique une délimitation précise et la notion de frontière apparaît indispensable. Toutefois, la précision frontalière est à nuancer ; c'est ainsi que la Pologne fut reconnue comme Etat indépendant le 11 novembre 1918 soit avant la fixation de ses frontières par le Traité de Versailles de 1919. Le quatrième alinéa du deuxième article de la Charte des Nations unies insiste sur le respect, par les Etats-tiers et par les gouvernants de l'intégrité de tout territoire national et de ses frontières37(*).

Celles-ci peuvent être naturelles ou artificielles. Les frontières naturelles sont par exemple un segment de fleuve, de rivière ou d'une montagne. Les frontières artificielles sont déterminées par un traité qui en fixe les limites. En règle générale, la délimitation des frontières est négociée dans le cadre d'une commission mixte rassemblant toutes les parties en cause. Le territoire joue un rôle fondamental : il contribue à fixer la population en favorisant l'idée de nation et détermine le titre et le cadre de compétence de l'Etat. Rôle essentiel car les autorités publiques doivent disposer de la plénitude des compétences pour imposer des obligations aux individus et faire respecter le droit. La souveraineté d'un Etat est abolie au-delà de ses frontières. Hors de ses frontières, un Etat est présent par ses représentations diplomatiques (ambassades et consulats). Par convention, ces lieux sont censés faire partie intégrante du territoire de l'Etat représenté et bénéficient à ce titre ainsi que du personnel rattaché d'une immunité juridique exceptionnelle.

b. Population résidante

La population d'un Etat se présente comme une collectivité humaine. Cet ensemble doit être également délimité par une appartenance (la nationalité) et un contenu exprimé en termes des droits et devoirs ; tous les individus présents sur le territoire d'un Etat sont soumis, sans concurrence possible, au même ordre juridique.L'expression de la souveraineté de l'Etat qui s'applique aux nationaux comme aux étrangers.

Pour que l'Etat fonctionne et se maintienne, l'unité de la population nationale doit résulter d'une certaine harmonie et/ou homogénéité entre l'ensemble de ses membres.Des caractéristiques communes comme la langue, l'ethnie, l'histoire communepar exemple aident à préserver cette unité nationale. Cependant, de nombreux Etats se trouvent être fondés sur une diversité plus ou moins contrastée de populations telle que la pluralité de langues, d'ethnies, de religions, d'économies, etc. Il revient donc à l'Etat de préserver la cohésion nationale et à tout le moins le respect des minorités existantes sur son territoiredans ces cas de figure38(*).

La nation est généralement conçue comme une collectivité humaine dont les membres sont d'une part unis les uns aux autres par des liens à la fois matériels et spirituels et, de l'autre, se distinguent des membres des autres collectivités nationales. Deux conceptions de la nation se sont affrontées entre l'Allemagne (conception dite objective de la nation) et la France (conception dite subjective de la nation). La première, l'Ecole allemande dont le philosophe allemand Fichte privilégie les phénomènes objectifs dans la définition de la nation. En effet, celle-ci est définie à partir de faits ou de phénomènes objectivement ou encore expérimentalement observables (langue, religion, caractéristiques physiques...). Et la seconde, l'École française, qui privilégie les éléments subjectifs ; il faut prendre en considération un élément psychologique, la communauté de pensée et le vouloir vivre de façon collective39(*).

Les idées d'Ernest RENAN se retrouvant dans une conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882, s'interroge sur « Qu'est-ce qu'une nation ? ». Un passé commun, un présent commun et un désir de vivre ensemble demain « c'est un plébiscite de tous les jours ». En privilégiant l'élément psychologique (le vouloir vivre collectivement), l'École française entend montrer la supériorité de la volonté sur le fait, c'est-à-dire la supériorité du contrat social sur les données naturelles et la supériorité du droit sur les phénomènes physiques.40(*)

c. Forme minimale de gouvernement

Le troisième élément constitutif d'un Etat est son gouvernement. Le concept « Etat » implique en partie une organisation politique. Cette organisation bénéficie de la puissance publique, de la capacité de commander et de se faire obéir. Un gouvernement doit être légitime pour susciter l'obéissance. C'est pour cela que, pour maintenir l'ordre sur le territoire, il doit être légitime et respecter les règles en vigueur dans la société. Concrètement, pour Marc LEROY, l'acceptation sociale de l'impôt renvoie à la légitimité de l'Etat et des politiques publiques. La notion de gouvernement a un double sens. Le premier sens, utilisé communément, désigne l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Le deuxième sens, plus strict, ne concerne que le chef du gouvernement et son équipe41(*).

d. Gouvernance et relations

En termes de gouvernance et de relations, chaque Etat est en lien avec d'autres Etats soit par des liens officiels soit par des liens diplomatiques. Et, de manière plus ou moins formalisée, avec d'une part des entités supra-étatiques au niveau mondial (par exemple l'Organisation des Nations-Unies) ou continental ou « régional » (par exemple l'Union européenne) ; d'autre part des entités infra-étatiques (souvent confondues en France avec les collectivités territoriales ou locales), mais qui peuvent être variées, plus ou moins autonomes ou fédérées (en fonction du degré de décentralisation), dotées ou non de personnalité juridique, et qui représentent à des titres divers toutes les parties prenantes de la communauté nationale nous citons :les partis politiques, les syndicats de salariés ou professionnels, les mouvements et les associations, les communautés, les minorités, etc42(*).

Au niveau international, la notion de l'Etat est reliée à celles de souveraineté et de sujet du droit international. Une définition fonctionnelle est toutefois ardue, en raison de différents points de vue. La théorie constitutive stipule qu'une structure devient un sujet du droit international uniquement lorsque d'autres Etats le reconnaissent comme Etat souverain. Selon Lassa OPPENHEIM, le « droit international ne prétend pas qu'un Etat n'existe pas tant qu'il n'a pas été reconnu mais il n'en tient pas compte avant sa reconnaissance. C'est seulement et exclusivement par ce biais qu'un Etat devient une personne et un sujet du droit international43(*) ». La théorie déclarative stipule qu'une structure devient un Etat souverain lorsqu'il remplit les quatre critères suivants, indépendamment de la reconnaissance par d'autres Etats : « être peuplé en permanence, contrôler un territoire défini, être doté d'un gouvernement et être apte à entrer en relation avec les autres Etats »44(*).

Pour nous, l'Etat désigne la personne morale de droit public qui, sur le plan juridique, représente une collectivité, un peuple ou une nation, à l'intérieur d'un territoire déterminé et bien délimité sur lequel elle exerce un pouvoir suprême et une souveraineté.

* 9 Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les Provinces, article 60,in Journal officiel de la RDC, numéro spécial 49e année, Kinshasa, 10 octobre 2008.

* 10 Les collectivités locales en chiffres 2023 | collectivites-locales.gouv.fr [archive] », sur www.collectivites-locales.gouv.fr, (consulté le 19 août 2023).

* 11 https://fr.wikipedia.org/wiki/Commune, (consulté le 25/06/2024).

* 12 A. De TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Livre 1er, Flammarion, Paris, 1984, p.122.

* 13 G. MELLERAY, La tutelle de l'Etat sur les communes, Paris, Sirey, 1981, p.24.

* 14 Décret-loi N° 081 du 2 juillet 1998 portant Organisation territoriale et administrative de la RDC tel que modifié et complété par le décret-loi n° 018/2001 du 28 septembre 2001 (textes coordonnés et mis à jour au 28 septembre 2001), article 104., in Journal officiel de la RDC, numéro spécial, Kinshasa, 28 septembre 2001.

* 15 Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les Provinces, article 46 alinéa 1, in Journal officiel de la RDC, numéro spécial 49e année, Kinshasa, 10 octobre 2008.

* 16 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville, (Consultée le 27 Décembre 2022 à 12h).

* 17science-et-vie.com/article-magazine/megacites-a-la-decouverte-des-premieres-villes, (Consulté le 27/3/2024 à 12h).

* 18science-et-vie.com/article-magazine/megacites-a-la-decouverte-des-premieres-villes, (Consulté le 27/3/ 2024 à 12h).

* 19 I. MAYAYA., Intégration urbaine de Lubumbashi, Approche sociologique, Thèse de doctorat en sociologie, UNAZA, Campus de Lubumbashi, Lubumbashi, 1978, pp.60-66.

* 20 R.V. KAPALAYI., Séminaire de Sociologie urbaine, destiné aux apprenants du Troisième cycle en

Sociologie, UPN, Kinshasa, 2022-2023.

* 21Idem, p.28.

* 22 L. DE SAINT MOULIN., Histoire des villes du Zaïre, Etudes d'histoire Africaine, éd. UNAZA, Lubumbashi, 1974, p. 34.

* 23 D. TSHIENKE KANYONGA., Mbuji-Mayi : diamant et pauvreté d'une ville. Approche sociologique, Thèse de doctorat en Sociologie, UNIKIN, Kinshasa, 2012, pp.30-35.

* 24 Dictionnaire Larousse, édition 2010, p. 651

* 25 M. VILLEY.,Le droit et les droits de l'homme, éd. PUF, Paris, 1983, pp. 122-125.

* 26 M. VILLEY., Op.cit., p.123.

* 27Larousse étymologique, Paris, 1971, p.58.

* 28 H. ARENDT, Essai sur la révolution, éd. Gallimard, Paris, 2013, p.4

* 29 E. WEIL, Philosophie politique, éd. J.Vrin, Paris, 1984, p.142.

* 30 P. CANIVEZ et E. WEIL, La question du sens, Philo-philosophes, collection dirigée par Jean-

Pierre Zarader, Ellipses / édition Marketing S.A., Paris, 1998, p.68.

* 31 E. WEIL, Op.cit, p.31.

* 32Idem., p.32.

* 33Ibidem.,

* 34 M. WEBER, Économie et société, éd. Pocket, Paris, 2003, p. 97.

* 35 D. GRAEBER et D. WENGROW, Au commencement était... : une nouvelle histoire de l'humanité, éd.

Traduction d'Elise Roy, Paris, 2021, p.4.

* 36Idem, p.5.

* 37 https://juspoliticum.com/article/Maurice-Hauriou-constitutionnaliste-1856-1929-75.html, (Consulté le 02/07/2024 à 15h)

* 38 D. GRAEBER et D. WENGROW, Op.cit, p.6.

* 39 https://fr.wikipedia.org/wiki/Etat, (Consulté le 02/07/2024 à 15h)

* 40 E. RENAN, « Qu'est-ce qu'une nation ? » éd. La Sorbonne, Paris, 1882, p.35.

* 41 M. LEROY, La Sociologie de l'impôt, éd. P.U.F., Paris, 2002, p.16.

* 42 D. GRAEBER et D. WENGROW, Op. cit, p.10.

* 43 L. OPPENHEIM, « International law », Revue internationale de droit comparé , vol. I, 1956 8-2,

pp. 342-343.

* 44 C. DUVAL et F. ETTORI, « États fragiles... ou États autres ? Comment repenser l'aide à leur

développement, notamment en Afrique ? », Géostratégiques, n°25,ý 2009,

pp.1-10.

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