4.6. Discussion des
résultats
La réussite scolaire passe inéluctablement par
la parfaite maitrise de la langue d'enseignement. L'élève doit
maitriser l'orthographe pour espérer réussir ses études.
S'agissant de l'évaluation des compétences en français,
l'un des outils dédiés à cette fin est la dictée.
C'est une épreuve qui permet d'évaluer le niveau d'acquisition de
compétences orthographiques des élèves en français
(Cogis, 2005). Elle est très redoutée par la plupart des
apprenants à cause des mauvaises notes qu'ils obtiennent. Les
résultats de notre recherche révèlent qu'au premier cycle
de l'Inspection de l'Enseignement du Secondaire Général du Grand
Lomé Ouest, les élèves ont non seulement une perception
négative de l'épreuve de dictée, mais également ils
ne pratiquent pas les activités qui devraient les aider à
réussir cette discipline. Notre discussion s'articule autour de deux
points fondamentaux.
Les perceptions négatives qu'ont les
élèves de la dictée constituent le premier aspect de notre
discussion. En effet, les résultats de nos recherches sur l'impact des
perceptions négatives qu'ont les élèves de
l'épreuve de dictée sont en conformités avec ceux de
Bégin (2009). C'est une recherche menée au Québec pendant
plus de trois ans et qui a porté entre autres sur le rôle des
facteurs socioaffectifs dans l'apprentissage de l'orthographe lexicale (ou
d'usage) chez les élèves québécois de 6e
année du primaire. Dans cette étude, il a montré que les
élèves faibles en orthographe se distinguent des
élèves forts par le fait qu'ils éprouvent une motivation
extrinsèque plus élevée. Les élèves qui ont
une mauvaise représentation de l'orthographe ont également de
mauvaises notes dans cette discipline. La concordance des deux
résultats, bien que ce soit dans deux contextes différents (Togo
et Québec), pose le problème de la motivation des
élèves dans les activités d'apprentissage. Ceci s'explique
par le fait que :
plus l'élève est apte à orthographier
correctement, plus les commentaires qu'il reçoit sont positifs et,
à l'inverse, moins il est compétent en orthographe, plus les
commentaires qu'il entend sont négatifs. L'élève
développe ainsi son sentiment de compétence en se basant sur ses
performances antérieures en orthographe dans un premier temps, il peut,
dans un second temps, s'appuyer sur la rétroaction qu'on lui donne par
rapport à cette performance (Bégin, 2009, p.151).
Il ressort donc que l'élève doit trouver un
intérêt personnel en vue de s'engager à réussir
aisément la dictée ; Viau (1998) parle à cet effet de
« la perception de la valeur d'une activité ». Selon
lui :
la perception de la valeur d'une activité se
définit comme étant le jugement que l'élève porte
sur l'intérêt ou l'utilité d'une activité en
fonction des buts qu'il poursuit. Des interrogations comme : « Pourquoi je
ferais les lectures que le prof m'a demandé de faire ? » ; ou
« Discuter entre nous des romans qu'on doit lire ! À quoi cela va
me servir plus tard ? », traduisent bien le peu de valeur que certains
élèves accordent à des activités
pédagogiques qui leur sont proposées dans les cours de
français. Un élève qui ne voit aucun intérêt
ou aucune utilité aux activités qu'il doit accomplir est
généralement démotivé. Ainsi, si un
élève ne voit pas l'intérêt ou l'utilité de
lire, d'écrire ou de s'exprimer oralement, il y a de fortes chances
qu'il ne s'engagera pas dans ces activités sous prétexte qu'elles
ne lui apportent rien (Viau, 1998, p. 46).
Les faibles performances qu'ont les apprenants en
dictée viennent du fait qu'ils perçoivent la dictée comme
une évaluation qui consiste à dicter un texte d'auteur et
à sanctionner les erreurs commises (Jaffré, 1992). Cette
situation démotive les apprenants à s'engager
véritablement dans les activités qui peuvent leur permettre
d'améliorer leurs notes en dictée. Ceci nous permet d'aborder le
deuxième volet de notre discussion. En effet, l'analyse des
résultats de notre recherche démontre clairement que les
dictées d'apprentissage qui devraient permettre d'améliorer la
performance scolaire des élèves ne sont pas pratiquées. Ce
résultat est comparable aux études de Brissaud et Cogis, (2011)
qui ont déduit que la pratique quotidienne de la dictée permet de
consolider les connaissances déjà acquises qui seront
appliquées à des contextes variés.il pensent à cet
effet qu' :
de nombreuses pratiques encore désignées sous le
terme de dictées apportent des variations importantes au dispositif
d'origine, pour qu'il devienne un véritable temps d'apprentissage actif
et plus seulement un temps d'évaluation et de sanction (...) On peut
raisonnablement penser que ces pratiques amènent l'élève
à travailler de façon plus explicite et sera plus efficace en
dictée (Brissaud et Cogis, 2011, p. 78).
En outre, s'agissant de l'importance de la langue de
communication à la maison sur les performances des apprenants en
dictée, les résultats de notre étude sont similaires aux
résultats du rapport de l'UNESCO, (2016). Ce rapport indique qu'il
existe une corrélation possible entre le fait de maîtriser la
langue d'enseignement et la réussite des élèves.Zirotti,
(2006) quant à lui a montré dans une étude que le fait de
n'avoir pas accès à l'instruction dans la langue qu'on comprend,
a des conséquences négatives sur les apprentissages. Selon
Benson, (2004) ; Bühmann et Trudell, (2007) ; et Pinnock, (2009), les
enfants apprennent mieux lorsque la première langue d'enseignement est
leur langue maternelle. Ces études bien que faisant l'apologie des
langues maternelles sont conformes à nos résultats parce qu'elles
montrent également l'impotence de la langue de communication à la
maison sur la réussite scolaire. Cette variable est à manipuler
avec beaucoup de réserves parce que la réussite scolaire
liée à la langue d'enseignement et la langue de communication
à la maison, peut toutefois avoir des effets négatifs quand,
à cause de l'enseignement dans la langue dominante, les enfants
n'acquièrent pas la maîtrise de la langue qui est celle de leur
famille et de leur entourage et perdent ainsi le contact avec leur propre
héritage culturel (Ball, 2014).
Par ailleurs, plusieurs études comparées
à la nôtre ont montré l'absence d'activités de
lecture chez les élèves. Pourtant c'est une activité
déterminante dans l'apprentissage d'une langue. Shahar-Yames et Share
(2008) ; Ouellette (2010) ont démontré que la lecture
engendre une meilleure mémorisation de l'orthographe des mots
étudiés. Dans cette optique, Compaoré et
al.,(2009) ont démontré dans une étude que les
habitudes de lecture des élèves impactent les performances
scolaires de ceux-ci. Selon eux, les élèves qui ont de mauvaises
notes en français sont ceux qui ne lisent pas ou qui lisent très
peu. Ils sont parvenue à la même conclusion que nous en ce sens
que la présence d'une bibliothèque peut être un
élément incitateur à sa fréquentation et par
conséquent à la l'amélioration du rendement scolaire en
dictée grâce à la pratique de la lecture par les
élèves. Nous pensons que cette étude est à bien des
égards comparable à nos résultats dans la mesure où
elle démontre que la motivation d'un élève à
pratiquer la lecture dépend de la disponibilité des manuels de
lecture ou des bibliothèques. A cet effet ces auteurs affirment
que :
si les infrastructures abritant les centres de lecture sont
inexistantes ou éloignées des établissements, on peut
enregistrer un nombre réduit d'élèves lecteurs et de
livres lus. Et en conséquence le nombre d'apprenant ayant de mauvaises
notes en français serait élevé. L'éloignement d'un
centre de lecture constitue un handicap pour l'élève qui veut
lire. Il est possible que le nombre réduit de livres lus par les
élèves soit dû à des attitudes qui
défavorisent la lecture. Peut-être les élèves
trouvent que la lecture n'est pas essentielle (Compaoré et al.,
2009, p. 132).
Bien que tout le monde s'accorde sur le fait que les manuels
scolaires sont des outils indispensables pour l'apprentissage de la langue
française, nos établissements scolaires surtout ceux du primaire
n'en disposent nullement pas. Or c'est à ce niveau que les
élèves doivent apprendre à lire et développer le
goût à la lecture. Au Togo, la relation entre le nombre
d'élèves et le nombre de manuels de lecture dans les
écoles primaires publiques pour l'année scolaire 2017-2018 est de
0,7 soit un manuel pour moins de deux élèves (RESEN Togo, 2018,
p. 82). La situation n'est pas meilleure dans les autres pays. Le ratio
élèves / manuels scolaires au Bénin pour le compte de
l'année scolaire 2011-2012 est de 0,8 soit environ 10 % des
élèves qui ne disposent dans les faits d'aucun livre pour
soutenir leur apprentissage en lecture (RESEN Bénin 2014, p. 202). En
Côte d'Ivoire, le coefficient de détermination entre le nombre de
manuels de français et le nombre d'élèves par école
est à peine de 0,27. Ceci indique que dans 73 % des écoles, le
nombre de manuels n'est pas en relation avec le nombre d'élèves
(RESEN Côté d'Ivoire, 2016, p.131). Au Mali, le pourcentage des
établissements du premier cycle fondamental qui n'ont pas de
bibliothèques pour l'année scolaire 2010-2011 est de 96,9 % et
pour l'année scolaire 2014-2015 est de 93,7 % (RESEN Mali, 2017,
P.121).
Les établissements scolaires ne disposent pas de
bibliothèques ni de manuels de lecture ; les élèves
non plus n'en disposent pas à titre personnel parce que leurs parents ne
préfèrent qu'acheter les livres de mathématiques ou de
sciences physiques. Cependant, « à la fin du premier cycle
d'enseignement secondaire ce sont désormais les mathématiques qui
posent le plus de difficultés d'apprentissage aux élèves,
contrairement à la fin du cycle primaire» (RESEN, 2017, p.65).
Cette situation suscite plusieurs interrogations : Quelles sont les
raisons explicatives de ce choix par les parents ? Et quels sont les
facteurs explicatifs des mauvaises performances des apprenants en
mathématiques malgré ce choix des parents ? En fin, quels
doivent-être les mécanismes de financement, de production, de
distribution et de gestion des manuels en vue de les rendre plus accessible et
inciter par la même occasion les apprenants à s'adonner à
la lecture ? Telles sont les questions qui méritent d'être
posées lors des prochaines recherches.
|