2.1.3.
La dictée : un exercice controversé
La dictée est un bon outil d'évaluation mais
elle demeure un exercice trop complexe et ne permet pas vraiment d'apprendre
l'orthographe. Au cours d'une dictée, un élève doit en
effet transformer un matériau phonique en un matériau graphique,
c'est-à-dire faire correspondre des sons et des lettres. Il s'agit d'un
exercice très spécifique qui n'aide pas un scripteur à
maîtriser l'orthographe quand il est en situation de production
(Jaffré, 2004, p.46). Certains chercheurs l'a traite de « lambeaux
de phrases toujours sans intérêt », de « phrases
baroques, ne présentant aucun sens » (Chervel, 2010). Cela dit, le
côté rituel est également controversé. En effet, la
dictée placerait les élèves en échec parce qu'elle
nécessiterait la mobilisation de trop de compétences à la
fois. Elle est parfois également considérée comme le
symbole de l'oppression du maître sur l'élève, de la
culture sur un certain état de nature (Jeanjean, 2019).
Autre objet de débat depuis plus d'un siècle :
les barèmes de correction de la dictée. On note un
privilège exorbitant de la dictée avec « le zéro
éliminatoire » (Chervel, 1998, p.134). On reproche
fréquemment à la dictée sa tarification aveugle : c'est le
seul exercice « sanctionné par la négative ». On ne
prend pas en compte ce qui est juste, on retire des points pour ce qui est faux
(Bourgeois, 1891, p.152).
Par ailleurs, la dictée en situation d'apprentissage
est complexe et ne permet pas d'enrichit le vocabulaire (Ters, 1973, p.140).
Pour cela, Si la dictée ne permet pas d'enseigner le fonds utile, le
socle commun de la langue, il faut pratiquer des exercices qui insistent sur le
vocabulaire fréquent. Car c'est un exercice qui contient aussi les plus
redoutables pièges que dix années n'arrivent pas à
résorber (Sarraute, 1983, p.1080).
En outre, depuis longtemps, on a dénoncé le
dogmatisme sans appel de l'orthographe, qui inhibe l'activité
intellectuelle de l'élève : « Non seulement elle coûte
un temps précieux à nos enfants, mais c'est un des plus
sûrs moyens de les déshabituer de penser »(Bréal,
1976, p. 69). L'argument, de manière métonymique, est
invoqué sans cesse à propos de la dictée :
par la complexité de ses difficultés, [la
dictée] place l'élève en situation d'échec, puisque
les moyens ne lui sont pas fournis pour résoudre les problèmes
qu'il rencontre (hasards du texte qui ne correspondent pas à une
progression d'apprentissage) ; d'autre part, l'élève doit
transcrire une pensée et un style qui ne sont pas les siens et qu'il n'a
pas eu le temps d'assimiler (Chaumont, 1980, p. 164).
L'absence d'initiative laissée à
l'élève lors de la dictée constitue également l'une
des difficultés majeures de cette évaluation.
l'enseignant s'impose par sa prononciation, la vitesse de
lecture de ses phrases, la lecture et la spécificité de ce type
de parole durant cet exercice [...]. Aux multiples obstacles de l'orthographe
et de la grammaire, la dictée ajoute la contrainte pressante de
l'enseignant. [La passivité de l'élève] est absolue.
L'élève transcrit sans pouvoir créer quoi que ce soit
(Traimond, 2001, p. 164 et 225).
Parlant des difficultés qu'éprouvent les
élèves en français de façon générale
et en dictée de manière spécifique, Viau, (1998) dans un
article intitulé « Les perceptions de l'élève,
sources de sa motivation dans les cours de français »
démontre que :
comme leurs collègues d'autres disciplines, les
enseignants de français sont de plus en plus confrontés à
des élèves démotivés. En effet, il est devenu
courant pour un enseignant de constater qu'un bon nombre de ses
élèves ne montrent aucun engagement ni aucune
persévérance à accomplir les activités
pédagogiques qu'il leur propose. Ces élèves semblent
constamment appliquer le principe « minimax » : le minimum d'effort
pour le maximum de points. Si ces manifestations de la démotivation sont
bien connues par les enseignants, les raisons ou les sources qui en sont
à l'origine leur demeurent cependant inconnues (Viau, 1998, p.45).
Les résultats de ces études dégagent
trois constantes. La première réside dans le fait que les
élèves débutants ont généralement des
perceptions plus favorables à l'égard des activités de
français que leurs camarades du secondaire. Plusieurs raisons peuvent
être invoquées pour expliquer cet écart entre ces
perceptions. Il peut être dû, par exemple, au programme du
ministère, aux méthodes d'enseignement ou aux modes
d'évaluation. L'épreuve de dictée qui est un outil
d'évaluation en français est également mal perçue
non seulement par les apprenants mais également elle est redoutée
par les adultes. Dans cette logique, Meirieu (2021), pense qu'il est normal que
même les adultes se retrouvent dans une situation éminemment
anxiogène lorsqu'il s'agit de se soumettre à l'exercice de la
dictée. Car, non seulement parce que le maniement de la langue
française est complexe, mais encore parce que l'écriture n'est
jamais un acte innocent ni facile. Ainsi, pour beaucoup d'élèves,
la dictée n'est pas seulement un exercice fabuleux, c'est simplement une
souffrance. Pour l'écrivain aussi, dira-t-on, écrire est, bien
souvent, une souffrance, mais une souffrance portée par des enjeux
« extraordinaires », au sens le plus fort du terme. Pour
l'élève, la souffrance de l'échec est tristement ordinaire
: écrire n'est pas se libérer, c'est se soumettre. Il conclut
qu'un apprentissage technique préalable devrait être
effectué par les enfants.
former des lettres et des mots, comprendre comment ils
s'agencent, apprendre du vocabulaire, maîtriser l'orthographe et la
grammaire seraient des préalables techniques à acquérir
impérativement avant d'entrer dans l'écrit. Sans cette
préparation comment voulez-vous que l'enfant s'exprime par écrit
s'il ne sait pas d'abord écrire et s'il ne maîtrise pas les
règles de l'écriture ? La liberté que vous lui octroyez
ainsi n'est qu'une liberté du vide ! (Meirieu, 2021, p.27).
La complexité de cette évaluation peut
être liée aux différentes représentations que les
apprenants se font de cet exercice. Car, la dictée ne devrait pas
seulement être un instrument de mesure et donc d'évaluation mais
aussi un outil permettant de faire acquérir aux apprenants l'orthographe
française (Toczek et al, 2012).
Les multiples interférences linguistiques peuvent en
outre expliquer cette difficulté de la dictée. Les langues
locales agissent sur la production écrite des apprenants et des
enseignants qui dictent. Car, on note un usage culturel de communication
à l'école par l'appropriation du français dans les classes
et hors de la classe surtout dans les milieux ruraux (Cisse, 2002).La situation
de l'enseignement dans le milieu rural très critique en raison d'un
ensemble de difficultés. Les méthodes d'enseignement de
français langue seconde posent d'énormes difficultés aux
apprenants. Car, les dispositifs d'enseignement/apprentissage du
français ne prennent pas en compte les acquis linguistiques et culturels
des apprenants. Or, Trop peu d'élèves qui parlent une langue
africaine à la maison parviennent à maîtriser l'oral et
l'écrit dans une langue qui, bien qu'officielle dans leur pays, leur
demeure plus ou moins étrangère. Il semble donc nécessaire
d'adapter les méthodes d'enseignement du français au contexte
sociolinguistique environnant (Konan, 2012).
La dictée étant un outil d'évaluation des
acquis à la fin du premier cycle, les difficultés
qu'éprouvent les élèves en français s'ils ne
cherchent pas à les surmonter par la lecture, ils traineront ces lacunes
jusqu'à l'université. Les difficultés d'apprentissage
liées à la maitrise du français en milieux universitaire
de ce fait impacteront les résultats des étudiants (Awokou,
2011). De plus, que l'insuffisance du temps accordé aux
élèves pour la lecture en classe, la mauvaise transmission des
règles de grammaire, de conjugaison constituent des difficultés
d'apprentissage de l'orthographe (Togo, 2018).
Cette analyse confirme l'idée selon laquelle,
l'épreuve de dictée est, et demeure l'une des causes de
l'échec des apprenants aux différents examens. Dans cette
même optique, Lodonou (2015), dans l'élaboration de son travail
sur la question des langues, a essayé d'analyser les impacts des
dispositifs d'enseignement du français à l'école primaire
et au premier cycle du secondaire sur les niveaux de compétences des
élèves du CM2 et de la 3e. Son analyse quantitative a
révélé, à travers les différentes
données que les élèves du CM2 et de la 3e qui
ont été testés que ceux-ci ont des difficultés en
française. Il a ainsi démontré que cette difficulté
ne dépend pas du type d'établissement public ou privé,
mais des dispositifs de l'enseignement. Ses résultats ont
confirmé les faiblesses des dispositifs d'enseignement de l'expression
de la langue française dans les écoles et collèges du
Togo.
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