2.1.2.
Exploration des écrits sur le rendement scolaire des
élèves
L'institution scolaire a toujours été
perçue a la fois comme « instance de sélection et
mécanisme d'unification dans la mesure où elle unifie en
socialisant et divise en sélectionnant » (Cherkaoui, 1999, p.41).
Si l'école divise, il est alors légitime de s'interroger sur les
déterminants et les conséquences les plus importantes des
mécanismes sélectifs qu'est la réussite ou l'échec.
En effet, la communauté scientifique reste relativement unanime sur ce
qu'est la performance en tant que critère scolaire mais cette
unanimité est très loin d'être atteinte quant à ses
déterminants (Kalamo, 2011).
La question de savoir ce qui explique la réussite ou
l'échec scolaire a toujours suscité plus qu'un débat. Pour
certains auteurs, l'origine sociale est le facteur essentiel qui explique la
réussite ou l'échec à l'école mais pour d'autres
par contre, les facteurs scolaires ou encore les facteurs individuels seraient
les mieux indiqués pour rendre compte d'un tel phénomène.
Selon Cherkaoui (1999), les théories explicatives de la réussite
scolaire peuvent être brièvement classées en deux groupes.
Les théories déterministes avec des tenants comme Bernstein,
Bourdieu, Hyman, Kahl, qui privilégient les facteurs relatifs au
passé de l'individu et soulignent les différences qualitatives
entre les sous-cultures de classe dans lesquelles les individus sont
socialisés et les théories actionnistes ou individualistes
développées par des économistes néo-classiques et
certaines écoles sociologiques dont celle de Boudon. Ces derniers
s'appuient plutôt sur les variables liées à l' avenir, aux
projets sociaux et scolaires ainsi qu'au pouvoir de décision rationnelle
des individus. Mais s'il existe plus qu' un débat controversé
autour de ce qui pourrait expliquer mieux ou pas la réussite ou
l'échec scolaire, l'origine sociale est cependant une conclusion
à laquelle aboutissent la plupart des études empiriques sur les
questions de réussite et d'échec scolaires (Saoudi, 2017).
En effet, les résultats de nombreuses recherches
établissent des relations entre les performances scolaires et les
variables de l'origine sociale. Parmi ces recherches, on peut retenir entre
autres les écrits de sociologues, sociolinguistes et psychologues aussi
bien aux Etats-Unis, en Europe qu'en Afrique et bien sûr au Burkina
Faso.
C'est ainsi qu'en Europe, Bourdieu et Passeron (1964),
soutiennent l'idée d'une liaison entre la culture des étudiants
et leur origine sociale. Pour ces deux auteurs, le langage et la culture
utilisés à l'école sont ceux de la classe dominante par
conséquent, l'école n'est pas un facteur de mobilité
sociale mais bien au contraire un des facteurs les plus efficaces de
conservation et de reproduction sociale. Il faut noter que de telles
idées doivent être relativisées car des études ont
également abouti à la conclusion selon laquelle malgré des
conditions socio-économiques particulièrement difficiles,
certains enfants issus de milieux défavorisés arrivent
grâce à l'école à aboutir à une
mobilité sociale ascendante (Bennacer, 2010).
De même, chez l'enfant, « les variables de la
réussite dans l'enseignement post primaire sont la profession de son
père, le niveau d'instruction de ses parents, l'habitat, la motivation
de la famille vers les savoirs et l'instruction » (Gras, 1974,
p.142). Selon lui, tout comme Coster et Hothyat, (1999), ces facteurs
influencent sur les succès à venir autant que les dispositions
intellectuelles et le caractère de l'enfant. Mais bien avant, Sauvy
(1970), avait prouvé que les enfants de classes favorisées
réussissent plus à l'école que ceux issus de classes
sociales défavorisées. Les conclusions de son étude sont
proches de celles de Baudelot et Establet (1971).
Notons par ailleurs que l'intelligence ou l'aptitude telle que
mesurée à l'école en terme de réussite scolaire est
avant tout sociale. Ainsi :
ce qui est mesurée, n'est pas
héréditaire, ni l'intelligence ou l'aptitude d'un individu mais
plutôt le langage ou le raisonnement verbal qui est le produit culturel
des couches favorisées de la société. Par
conséquent, on ne doit pas s'étonner de voir des
différences de réussite scolaire entre les enfants des classes
favorisées et ceux des couches sociales
défavorisées(Hussen, 1975, p.87).
Entwistle (1978), aborde également dans le même
sens. Il estime que la classe sociale est un facteur déterminant
incontestable de l'éducation car la distribution des étudiants au
niveau de l'enseignement secondaire et supérieur est
corrélée avec le niveau de revenu et d'occupations des parents.
Et comme les améliorations des services sociaux pour libérer les
écoles de la pauvreté n'ont pas permis d'atteindre un taux
élevé d'enfants de classe défavorisée dans
l'enseignement secondaire et supérieur en France. Il pense que cela doit
conduire les sociologues à examiner les relations culturelles,
psychologiques et les indices économiques de classe sociale dans
l'explication de la performance scolaire. Il en va de même de certaines
conclusions d'analyses en sociolinguistique scolaire.
En effet, Bernstein (1975) fait partie des auteurs qui ont
beaucoup écrit sur les rapports entre le langage parlé et
écrit des différentes classes sociales et la réussite
scolaire des jeunes. Ces travaux s'inscrivent dans le cadre de la dialectologie
sociale (étude des dialectes d'une langue en rapport avec les
sociétés qui les parlent). C'est à partir du constat
classique de l'échec scolaire des enfants de couches
défavorisées, qu'il a entrepris d'étudier les causes
profondes d'un tel phénomène. C'est ainsi qu'à la suite de
ses recherches, il en est arrivé à la conclusion selon laquelle
le langage agirait comme variable intermédiaire entre le milieu
d'origine et les comportements scolaires des individus. Selon sa
théorie, les relations de classes génèrent, distribuent,
reproduisent et légitiment des formes distinctes de communication qui
donnent lieu à des codes dominants et dominés. Les individus sont
donc différemment positionnés socialement par ces codes dans le
processus de leur acquisition scolaire. Car, le langage "formel" utilisé
par les couches favorisées est plus élaboré que le
langage, "public" des couches défavorisées et le fait qu'il soit
privilégié par l'école, donne à ces enfants un
avantage décisif sur le plan des apprentissages scolaires.
À l'instar de Bernstein, les travaux de Labov (1976)
s'inscrivent également dans le cadre des recherches de la dialectologie
sociale qui ont cherché à expliquer les problèmes
linguistiques dans les ghettos noirs américains. Ainsi, les travaux de
Labov sur les stratifications sociales aux Etats Unis ont permis de montrer que
les classes favorisées employaient un langage considéré
comme supérieur et différent de celui des milieux
défavorisés. Ce qui représente un facteur favorisant ces
classes dans le processus de leurs acquisitions scolaires.
Les résultats de certaines études menées
en Afrique corroborent également avec ceux d'Europe et d'Amérique
car Clignet (1974) en est arrivé à ces mêmes conclusions en
Côte d'Ivoire. Pour l'auteur, il ne fait aucun doute qu'il existe un lien
entre la culture familiale et la réussite puisque la proportion des
élèves qui réussissent mieux augmente au fur et à
mesure que le niveau de scolarité de leurs parents
s'élève.
Dans le contexte Burkinabé, au terme de son
étude dont l'objet était d'identifié les causes des
déperditions scolaires dans la ville de Ouagadougou afin de proposer
quelques solutions, Maiga (1990) a conclu de ses analyses que les enfants des
couches sociales défavorisées (paysans, manoeuvres, artisans...)
étaient les plus exposés au phénomène de
déperdition par rapport à leurs copains issus de milieux
favorisés économiquement (commerçants, fonctionnaires,
militaires...). En effet, cela est rendu possible par le fait que les plus
défavorisés soient les plus incapables à garantir à
leurs enfants de bonnes conditions de travail faute de moyens
économiques et matériels. Il conclut ainsi que l'échec
scolaire s'explique par les mauvaises conditions de travail et par
conséquent l'origine sociale serait un facteur déterminant des
déperditions scolaires dans la mesure où l'incapacité
à supporter la scolarité de son enfant est fonction de la
catégorie socio- professionnelle des parents. Cette idée revient
également chez Compaore (1996). Pour lui, de nos jours, la scolarisation
d'un enfant nécessite un véritable engagement de sa famille
à réunir les meilleures conditions de travail lui permettant de
réussir. Outre la cotisation annuelle au niveau de l'APE, les familles
doivent assurer l'achat des fournitures scolaires, l'habillement et la
restauration des élèves. Autant de dépenses qui ne font
qu'alourdir le prix à payer pour la scolarisation des enfants. Cette
situation est donc favorable aux enfants issus de familles aisées.
De même, Lokpo (1999), après analyse des
données de son étude qui a pris en compte le nombre total de
redoublement des élèves pendant leur cursus scolaire, a conclu
que les élèves ayant des tuteurs de classes populaires
(agriculteurs, éleveurs, ouvriers...) sont les plus exposés aux
échecs scolaires par rapport à ceux issus de tuteurs
aisés. Pour Lokpo, le manque accru de moyens qui se traduit par
l'incapacité des tuteurs de couches défavorisées à
offrir à leurs filleuls de meilleures conditions d'étude justifie
cette situation. S'il est vrai que plusieurs études empiriques ont
permis de mettre en relation l'origine sociale et le rendement scolaire, peut-
on pour autant nier la responsabilité de l'école dans
l'échec ou la réussite scolaire ? En effet, à
côté des facteurs liés à l'origine sociale, certains
facteurs d'ordre scolaire et personnel peuvent influencer les résultats
(Kablan, 2015).
Tout comme les études environnementalistes
établissent un lien entre l'origine sociale et les performances
scolaires, des études ont également constaté qu'en
dépit d'une certaine mobilité sociale ascendante, certains
enfants de milieux défavorisés parviennent, grâce à
l'école à se hisser dans l'échelle sociale (Lenoir, 2012,
p.36). Les facteurs externes comme l'origine socio-économique restent
prépondérants et l'appartenance sociale se répercute dans
l'individu, notamment dans ces représentations. Simultanément,
des enfants de milieux aisés pour lesquels l'école serait faite
« sur mesure » échouent dans leurs études :
l'influence de la classe sociale sur la réussite change
de façon substantielle lorsque l'on prend en considération le
type d'enseignement. De ce fait, on constate une réduction
considérable des différences de réussite entre les classes
sociales. Plus précisément, en termes de relation entre les
classes, on note une détérioration relative de la réussite
des enfants de cadres supérieurs-professions libérales et de
petits propriétaires d'une part, une amélioration relative de la
réussite des élèves issus de la classe ouvrière et
de la catégorie des employés d'autre part (Cherkaoui, 1999,
p.53).
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