2. Une éducation africaine au bout du
péril.
L'éducation africaine tire son origine des colons venus
de l'occident. Cette éducation a vu le jour « dans la plupart
des pays africains des nécessités coloniales. On peut même
dire que sa venue a été dictée par des
nécessités économiques même si les objectifs plus
humanitaires ont souvent officiellement justifié son implantation.
»64 Autrement dit l'école
63 Platon, La République : Livre
VII,Paris, Flammarion, 1489p.
64 Siméon ESSAMA OWONO, Cours de l'histoire de
l'éducation, Yaoundé, UCAC, 2018, Inédits.
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occidentale, de par son implantation sur le sol africain,
visait la formation des cadres auxiliaires de l'administration coloniale avec
un grand souci d'assimilation de ces derniers. En effet, la plupart des
systèmes éducatifs en Afrique sont modelés sur
l'idéologie coloniale de telle manière que ces systèmes ne
font que reproduire des administrateurs des bureaux, car d'aucuns pensent que
la réussite à l'école se traduit par l'occupation d'un
poste dans l'administration publique. Ce qui fait qu'aujourd'hui, il ne soit
plus surprenant de voir bien des jeunes diplômés trainer avec des
diplômes et qui chôment, parce qu'ils attendent
l'intégration à la fonction publique ; ceci dû à une
négligence de l'aspect professionnel dans le cursus éducationnel.
D'ailleurs, tout parent qui finance les études de ses enfants s'attend
toujours à ce que ces derniers deviennent « quelqu'un » ; et
devenir « quelqu'un » c'est devenir fonctionnaire. A l'heure
actuelle, l'on se rend à l'évidence que les systèmes
éducatifs actuels ne permettent pas une véritable insertion
sociale des jeunes après des longues études faites. Une telle
situation quasi dramatique a poussé bien des penseurs à plaider
pour une décolonisation, pour une réappropriation de
l'éducation en prenant compte du contexte africain.
Jean Marc Ela, dans son analyse, a d'une manière
repensée ce que John Dewey promouvait dans son école-laboratoire.
A cet effet Jean Marc pense qu'il est temps de repenser les systèmes
éducatifs y compris les manuels scolaires en considérant la
réalité africaine. Parce que cette éducation ne tient pas
compte de la réalité de l'Africain et le coupe de ses racines. Il
faut une « reconversion radicale de l'enseignement »65 car
« le but de l'enseignement n'est pas de former des salariés mais de
rendre les Africains capables de devenir eux-mêmes des
accélérateurs du développement d'ensemble de leur
congénère. »66 C'est dans cette logique que le
titre de son ouvrage La plume et la pioche se veut une invitation
« à réaliser la synthèse du livre et de l'outil ; il
(enseignement) devra donc apprendre à tenir à la fois la plume et
la pioche en d'autres termes devra être théorique et pratique. Ou,
si l'on préfère, il faut que la main et l'esprit collaborent
étroitement au développement de l'Afrique nouvelle
»67 puisqu'un « enseignement qui n'émane de la
culture d'un peuple ne peut produire que des ratés, des
complexés, des déchets, des épaves, c'est-à-dire en
somme, des gens qui n'ont absolument pas de racines et qui ne s'abreuvent
à aucune source véritable. »68 Il y a une urgence
à agir parce que l'éducation telle qu'elle est aujourd'hui «
serait à l'origine de tous les bouleversements sociaux profonds survenus
en Afrique noire. Elle n'a pas seulement entamé et
déstructuré le
65 Jean-Marc ELA, La plume et la
pioche, Yaoundé, CLE, 2011, p.17.
66 Ibid., p. 19.
67 Ibid., pp.99-100.
68 Ibid., p.21.
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paysage culturel africain en remettant en cause tout son
système de valeurs morales et symboliques, mais plus profondément
elle a défait le lien social. »69 C'est ainsi que
vouloir parler de la formation intégrale de l'homme, c'est vouloir
« investir dans une éducation au service du développement
intégral de l'Afrique. L'éducation doit viser la formation
intégrale de l'homme : le développement physique, la formation de
la conscience morale, l'acquisition des valeurs auxquelles la
société s'identifie et qui oriente son avenir.
»70 Cette formation intégrale de l'homme veut donc
prendre en compte les valeurs culturelles de l'Afrique tout en s'ouvrant aux
autres cultures. Celles-ci peuvent également contribuer au
progrès de la personne humaine. Il s'agit d'une « éducation
au service du développement intégral de l'humain.
»71 Par ailleurs, il nous faut nous libérer au plus vite
des structures de notre aliénation, du syndrome du mimétisme ou
du perroquet pour élaborer un système éducatif qui
promeuve la formation à la créativité, à
l'inventivité et à l'initiative. Au-delà de la
capacité de mémorisation, qui est encore exaltée de la
maternelle à l'université, il est urgent de chercher à
mettre à contribution les forces d'analyse, de réflexion et de
créativité des élèves72.
Prendre en compte les situations et problèmes
endogènes de nos sociétés et faire preuve de
créativité ne signifie pas que nous allons nous couper du monde
pour nous enfermer dans une coquille à force de slogan et
d'idéologie, loin de là. L'Afrique faire partie des sept
milliards de voisins qui peuplent l'humanité. Il y a donc un lien
historique, géopolitique, affectif avec les autres continents. Il
s'agira donc pour nous de promouvoir un principe de créativité
« au service d'un projet mondial de vie bâti à partir de
l'émancipation de nos esprit (...) pour construire de nouveau
modèles de connaissance irrigués par ce que l'évolution
des connaissances partout dans le monde permet d'imaginer »73.
L'école deviendra ainsi un lieu d'ouverture des africains à eux
même et aux forces positives de l'espace mondial. Ce qui permettra
à l'Afrique d'apporter une pierre originale à la construction de
la civilisation ou encore à l'intelligence de l'universel.
L'éducation africaine peut être encore
sauvée si elle prend en considération les aspects de chaque
culture et également si une importance est accordée à
l'aspect professionnelle ce qui limitera le taux de chômage et boostera
l'économie Africaine pour son développement. Qu'en est-il du
système éducatif Camerounais ?
69 Marcus NDONGMO, Education scolaire et lien
social en Afrique noire. Perspectives éthiques et théologiques de
la mise en place d'une nouvelle philosophie de l'éducation,
Yaoundé, 2004, ICERH, p.8.
70 Hermann HABIB KIBANGOU, Paulin Poucouta, le
serviteur de la parole de Dieu. Entretiens, Abidjan, Editions Paulines,
2016, pp.146-147.
71 Ibid., p.148.
72 Kä Mana, « Juguler la crise du
système éducatif en Afrique : le problème et ses
dimensions » in Michel FOA-LENG et Jean-Blaise KENMOGNE (dir).,
L'école dans les sociétés africaines en mutation.
Défis, enjeux et pers-pectives, Editions Terroirs, Yaoundé,
2009, p.23.
73 Ibid, p. 25.
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