B- L'évolution vers la consécration explicite
du droit de grève.
La consécration du droit de grève au Cameroun
n'est que très récente. Elle interviendra après une longue
période d'inexistence du moins au plan textuel. Ainsi
évoluera-t-on de la période relative à l'inexistence d'un
droit de grève consacré (1) pour converger vers la récente
consécration de ce droit au Cameroun. (2)
1- L'inexistence antérieure d'un droit de
grève consacré.
Au lendemain de l'indépendance, la protection des
libertés des citoyens ne semble pas être une priorité face
aux exigences de maintien de l'ordre. En effet, au plan interne, les
premiers
115 GONIDEC (F) cité par FALL (A.B), « La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme» ; op.cit. P.09
116 Idem. p
117 Idem.
118 POUGOUE (G) cité par FALL (A.B), « La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme» op.cit. pp.77-100.
119 FALL (A.B),) « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme» ;
op.cit. pp. 77-100.
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dirigeants africains étaient confrontés au
lendemain des indépendances à des risques relatifs à leur
viabilité, mais aussi à leur stabilité et donc à
leur durabilité.120 Il se posait la nécessité
d'affermir l'autorité de l'État,121 l'unité,
l'intégration nationale, ainsi que le développement
économique122. Dans ce vaste chantier relatif à la
construction de l'unité nationale, qui à cette époque ne
constituait pas encore une réalité acquise mais un idéal
recherché auquel les États africains aspiraient, le « chef
de l'État » se présentait alors comme un artisan du destin
collectif 123 ; c'est-à-dire à la fois « comme le maitre
d'oeuvre et le catalyseur de l'action d'unification et du développement
de la nation »124
C'est fort de cela que l'administration camerounaise
nouvellement établie décidera de s'inscrire dans une logique de
construction de l'unité nationale. Un tel contexte était alors
difficilement favorable à l'expansion des libertés publiques. En
effet, l'unité nationale s'est traduite au plan institutionnel par la
mise en oeuvre d'une administration autoritaire, d'une puissance publique
renforcée aux privilèges exorbitants. Ainsi, comme le relevait le
doyen Ondoa, sous le règne de l'idéologie de
construction nationale, « les structures d'autorité se renforcent,
le pouvoir règlementaire de l'autorité centrale s'hypertrophie,
les structures de dialogue disparaissent, les normes de liberté
s'effritent, le principe d'égalité n'a de valeur qu'incantatoire,
le contentieux s'épuise, la référence à la
liberté devient formelle. »125 Force est donc de
constater dans cette perspective que les libertés étaient alors
perçues comme un luxe dont les États ne pouvaient se
permettre.
L'exercice des libertés de nature contestataires,
revendicatives à l'instar des manifestations publiques ou plus
exactement des grèves, n'était alors à cette époque
ni consacré par le constituant ni règlementé par le
législateur. D'ailleurs celles-ci étaient
considérées comme des éléments potentiellement
subversifs, et lorsque le droit s'en saisissait, ce n'était pas pour les
encadrer ; c'était surtout pour leur appliquer un régime
sanctionnateur. Cela dit, les mouvements de grève évoluaient
alors non pas en dehors du droit, mais sous un système hautement
répressif.
120 Lire BEYEGUE BOULOUMEGUE (E.G) « la persistance de
l'idéologie de construction de l'unité nationale en
matière de police administrative. » in ONDOA (M) et ABANE ENGOLO
(P) ; Les fondements du droit administratif camerounais. Yaoundé,
l'Harmattan CERCAF, p.298
121 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.499.
122 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. pp.325-326.
123 KONTCHOU KOUOMEGNI (A) « le droit public camerounais,
instrument de construction de l'unité nationale », RJPIC, n°4,
oct.-déc., 1979, p.416
124 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.330.
125 ONDOA (M), le droit de la responsabilité publique
dans les États en développement. Cité par BEYEGUE
BOULOUMEGUE (E.G) ; op.cit. p.302.
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En tout état de cause, les mouvements contestataires
ont pendant plusieurs décennies animé la crainte des pouvoirs
publics qui voyaient alors en eux un facteur de trouble susceptible de
compromettre la construction de l'unité nationale. À cet effet,
aucun texte ne traitait expressément des questions relatives aux notions
de grève ou de manifestation publique. Et lorsque c'était le cas,
l'objectif visé était de réprimer de sanctionner voire
d'éradiquer. Cette frilosité des pouvoirs publics aura
plutôt favorisé pendant longtemps l'éclosion d'une
légalité d'exception et la permanence de l'état de
crise.126 Une évolution notable sera perceptible à
partir des réformes consécutives à la loi
constitutionnelle de 1996.
2- La consécration récente du droit de
grève au Cameroun.
Les années 1990 marquent en Afrique en
général et au Cameroun en particulier, un tournant décisif
dans la protection des libertés publiques. Cette période de
l'histoire du constitutionnalisme africain correspond au passage d'un «
ordre juridique globalement liberticide à un ordre juridique
résolu à se montrer protecteur des libertés.
»127 C'est ainsi que l'on assistera à ce que le
professeur Brusil Metou qualifie de révolution
juridique128, avec l'adoption le 19 décembre 1990 d'un
ensemble de textes législatifs régissant les libertés
publiques. S'en est suivi dans cette mouvance de démocratisation au
Cameroun, la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui permettra
une avancée notable en matière de libertés publiques.
En effet cette nouvelle réforme constitutionnelle
introduira dans l'ordre juridique camerounais selon le professeur Aba'a
Oyono une « gamme variée des droits et libertés du
citoyen (...) très enrichie par rapport à la dynamique
constitutionnelle antérieure »129. Si dans les
constitutions antérieures, le droit de grève ne faisait l'objet
d'aucune consécration textuelle, le constituant du 18 janvier 1996 s'est
illustré remarquablement en introduisant dans son préambule un
droit de grève désormais garanti dans les conditions
prévues par la loi. Même si le constituant ne définit pas
ce qu'il faut entendre par droit de grève, il démontre clairement
l'adhésion du Cameroun aux principes de l'État de droit.
En clair, la constitution du 18 janvier 1996 marque faut-il le
rappeler, un tournant majeur dans la protection des libertés publiques
au Cameroun. Si le droit de s'opposer, de contester voire de revendiquer figure
désormais parmi les droits fondamentaux reconnus et consacrés
dans le
126 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.499.
127 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »; op.cit., p.268
128 Idem
129 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa
graduelle transposition dans les Etats stables et instables de l'Afrique
francophone »; op.cit., p.15.
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préambule constitutionnel, Reste-t-il à se
demander en reprenant les propos du professeur Joseph Owona,
si les constitutions, et partant celle du Cameroun de 1996, « se
prétendant loi suprêmes de leurs États respectifs, (...)
peuvent se prévaloir d'être des chartes libertés publiques
dont l'intangibilité est garantie par des techniques
appropriées130». Une garantie effective du droit de
grève nouvellement consacré passera alors nécessairement
par la technique de constitutionnalisation du préambule.
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