SECTION I : LA PROCLAMATION CONSTITUTIONELLE DES
LIBERTES
PUBLIQUES.
La proclamation constitutionnelle doit être entendue ici
comme une reconnaissance publique et solennelle des libertés publiques
par le constituant camerounais. Les techniques de garantie varient d'une
constitution à l'autre dans les États africains. Si dans certains
États à
95ABA'A OYONO (J-C) « les fondements
constitutionnel du droit administratif (...) » op.cit. p.15
96 FAVOREU (L) et alii., Droit constitutionnel,
18ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris,
2016, p. 92.
97 OWONA (J) ; Droit constitutionnel et
régimes politiques africains ; op.cit.226
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l'instar du Benin98 du Tchad99 ou du
Gabon,100 le constituant a voulu consacrer tout un titre aux droits
et libertés fondamentaux,101à l'opposé dans
d'autres États tels que le Cameroun, l'on a plutôt opté
pour la technique de la définition des droits et libertés
fondamentaux dans le préambule. Pourtant, la problématique des
déclarations des droits et libertés en revanche reste immuable
dans tout le continent102. C'est suivant ce sillage que le Cameroun
adoptera la consécration des libertés publiques par le truchement
de la déclaration des libertés dans le préambule
(paragraphe 1) et la confirmation de celles-ci par la constitutionnalisation du
préambule (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : l'affirmation des libertés par le
préambule.
Depuis l'accession du Cameroun à l'indépendance
notamment avec la constitution du 04 mars 1960, il est une tradition
constitutionnelle constante103 : celle de la référence
aux grands textes internationaux dans le préambule. (A) Le constituant
de 1996 n'a pas dérogé à la règle. Partant de cela,
ce dernier va enrichir le texte constitutionnel en consacrant de nouvelles
libertés publiques à l'instar du droit de grève qui fait
l'objet de notre étude. (B)
A-La réception constitutionnelle des grands textes
internationaux.
La définition voire la consécration de la
garantie des droits fondamentaux dans les constitutions africaines s'est
fortement inspirée des textes soit de droit international soit de droit
étranger104. Le Cameroun ne sera pas en reste dans ce
sillage. C'est donc fort de cela que le constituant camerounais de 1996
n'hésitera pas à proclamer son adhésion non seulement aux
textes à caractère universels (1) mais également aux
textes à portée régionale. (2)
98 Loi n°90-32 du 11 décembre 1990
portant constitution de la république du Benin, qui consacre dans le
titre II du texte constitutionnel, l'énoncé « des droits et
devoirs de la personne humaine ».
99 Constitution tchadienne du 04 mai 2018 dont le
titre II est intitulé « des libertés, des droits
fondamentaux et des devoirs. »
100 Loi n°3/91 du 26 mars 1991 (modifiée) portant
constitution de la république gabonaise consacre dans un titre
préliminaire « des principes et droits fondamentaux»
101 KEUDJEU DE KEUDJE (J. R), « l'effectivité de
la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone
»op.cit. 106.
102 OWONA (J), Droit constitutionnel et régimes
politiques africains, op.cit. p.225
103 Idem.
104 Exemple des constitutions gabonaise et
sénégalaise qui reprennent le constituant français
notamment celui de 1958.
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1- L'adhésion aux conventions à
caractère universel : la charte des nations unies et la
déclaration des droits de l'homme.
L'internationalisation de la protection des
droits de l'homme constitue l'un des plus grands enjeux du droit international
contemporain.105 C'est ainsi que selon le professeur Joseph
Owona, il est une référence rituelle aux grands textes
internationaux dans les constitutions africaines106 ; de
manière à porter le droit public des nations à un niveau
de règles fondamentales communes. C'est donc dans cet esprit que la
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dispose dans son préambule
« le peuple camerounais (...) affirme son attachement aux libertés
fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des droits de
l'homme et la charte des nations unies. » comme pour souligner
l'adhésion de l'État du Cameroun aux grandes conventions
internationales relatives aux droits et libertés fondamentaux reconnues
dans un État de droit.
En effet, la charte des nations unies constitue au sens du
juge Keba Mbaye « l'instrument essentiel qui a
posé les fondements du droit international dans le domaine des droits de
l'homme »107.Au moment de sa rédaction, les États
étaient fortement marqués encore par les souvenirs d'une longue
période de guerre et de ses lourdes conséquences108.
C'est ainsi que les différents acteurs de la scène internationale
se sont engagés dans la consécration de la protection des droits
de l'homme et se sont résolus d'oeuvrer afin d'atteindre cet
objectif109.
C'est ce qui a justifié l'importance de la
déclaration universelle des droits de l'homme notamment celle du 10
décembre 1948 qui comme son nom l'indique était à la base
une simple déclaration solennelle de principes destinée à
être complétée par d'autres textes110. Au fil du
temps, elle a acquis une force morale incontestable et est quittée d'un
simple acte formellement déclaratoire, à un acte obligatoire qui
s'impose aux États à la fois au plan national qu'au niveau
international.
105 Lire pour d'amples développements, DONFACK SOKENG
(J), «le Cameroun et les conventions internationales.»
106 OWONA (J), Droit constitutionnel et régimes
politiques africains op.cit.p.225
107 MBAYE (K), les droits de l'homme en AFRIQUE, Paris éd.
A. Pedone, 1992, P.78
108 SUDRE (F), « la dimension internationale et
européenne des libertés et droits fondamentaux », p.29, in
CABRILLAC (R) et alii. (dir.) libertés et droits fondamentaux,
9e éd., Paris, Dalloz, 2003.
109 Idem.
110 Ce texte n'est à la base qu'une simple proclamation
de droits sans véritable portée ni valeur juridique. Cela dit,
comme le relève M. PENKOV celle-ci n'est ni un traité ni une
convention. En conséquence, elle ne saurait être
considérée comme « une source d'obligation juridique
à l'image des accords internationaux » tout au moins poursuit-il,
en tant que acte international, elle revêt « une portée aussi
bien morale, idéologique, politique que juridique. » lire PENKOV
SAVA, « nature juridique et portée de la déclaration
universelle des droits de l'homme », publié en ligne par Cambridge
University Press : 19 Avril 2010.
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C'est donc ainsi que le constituant de 1996 a consacré
en faisant référence aux grands textes internationaux un large
éventail de droits et libertés au Cameroun. Par ailleurs, la
réforme constitutionnelle de 1996 comme sa devancière de 1972
marque également au plan régional un fort attachement à la
charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
2- L'adhésion constitutionnelle à la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples.
Encore appelée charte de Banjul,111 la
charte africaine des droits de l'homme et des peuples a été
adoptée en 1981 à Nairobi par la conférence des chefs
d'États de l'ancienne organisation de l'unité africaine (O.U.A)
qui aujourd'hui est devenue l'U.A, c'est-à-dire l'union africaine. Elle
entrera effectivement en vigueur le 28 octobre 1986 c'est-à-dire 5
années après son adoption112.
En effet, la charte a été adoptée plus de
vingt-ans après les indépendances de la plus part des pays
africains dans un moment où le continent était le
théâtre de graves violations des droits de l'homme. Seulement,
écrira le professeur Alioune Badara Fall, peu de places
furent consacrées aux droits de l'homme dans ladite
charte.113 L'idée était celle de privilégier
les États en « insistant sur la lutte contre le colonialisme et la
politique à mener pour la libération des peuples africains
»114 en d'autres termes il s'agissait davantage d'affermir la
souveraineté nationale et de renforcer le principe de
non-ingérence auxquels les gouvernants semblaient alors attachés.
Toutefois convient-il de dire de manière générale que
quelques dispositions dans la charte sont consacrées aux droits et
libertés fondamentaux.
D'emblée, une lecture combinée des articles 2 et
6 de la charte des droits de l'homme et des peuples révèle que
toute personne sans distinction aucune, dispose de droits et libertés
consacrées dont l'exercice voire la jouissance ne doivent pas être
remis en cause. La garantie des libertés publiques quant à elles
de manière générale et des manifestations publiques plus
spécifiquement, est perceptible au regard tout d'abord de l'article 8 de
la charte qui dispose : « la liberté de conscience (...) la
pratique libre de la religion sont garanties, (...) nul ne peut être
l'objet de mesures de contraintes visant à restreindre la manifestation
de ces libertés ».Également,
111 FALL (A.B), « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme» dans
Pouvoirs2009/2 (n° 129), pp. 77-100
112Idem.
113 Période postcoloniale fortement marquée par
des régimes autoritaires impulsés par l'idéologie de
construction nationale cf. infra.
114 FALL (A.B), « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme»
op.cit. pp. 77-100.
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l'on peut lire par la suite dans l'article 11 du même
texte : « toute personne peut se réunir librement avec
d'autres(...) ».
Voilà de manière schématique
présentées les libertés publiques et plus
précisément la liberté de manifester dans la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples. Ainsi formulée cette
charte parait au sens de François Gonidec comme «
un espoir pour l'homme et le peuple africain. »115. Cet espoir
voué à la charte semble remis en cause du fait de
l'indétermination du contenu même à donner au concept de
« peuple » qui n'est pas véritablement définit dans la
charte. L'ambiguïté de la notion de peuple qui tantôt renvoie
à l'idée de « peuple État »116,
tantôt à celle de peuple dominé entre autre117 ;
justifie l'inquiétude du professeur Paul Gérard
Pougoué quant à la portée d'un tel concept dans
l'affirmation des droits de l'homme en Afrique.118 En tout
état de cause la charte africaine des droits de l'homme et des peuples
est un texte novateur au plan régional dans la protection des droits et
libertés fondamentaux de l'homme et du peuple africain.119
C'est ainsi qu'elle sera réceptionnée dans les constitutions des
États africains parmi lesquels le Cameroun, qui dans son
préambule proclame son attachement à ladite charte africaine des
droits de l'homme et des peuples. C'est partant de ces textes internationaux
que l'on évoluera dans l'ordre juridique camerounais vers une
consécration explicite du droit de grève.
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